Lundi 21 octobre 2024 à la Librairie Al Kitab de Mutuelleville à Tunis, ont eu lieu la présentation et la dédicace du livre d’art «Mon DESS-IN contre ce qui se dessine…» de Mohammed Guiga en présence de l’artiste, d’une part, et du poète suisse Bruno Mercier, d’autre part, qui a composé les poèmes accompagnant les dessins.
Aspect frappant, l’artiste Mohammed Guiga dessine comme s’il écrit. Il dessine des signes relevant d’une écriture singulière qui nous fait penser à un code dont il détient seul le secret. Depuis qu’ils sont publiés régulièrement à partir de 2010 sur la toile, ces dessins ont rencontré récemment l’inspiration intuitive du poète suisse Bruno Mercier pour lesquels il s’est mis à composer des vers. Le livre réunissant dessins et poèmes est édité à Genève en Suisse où il est sorti en juin 2024 aux Éditions des Sables dans la Collection Rose des Sables.
Du noir des pages dont l’absence de lumière est si parlante, percent les stries lumineuses des dessins de Mohammed Guiga, tel un cri. Vu le dur contraste formé avec le noir absolu, la lumière presque aveuglante des dessins les confine dans un insoutenable retranchement. D’ordinaire lorsqu’on se déplace de l’obscurité totale vers la clarté absolue du jour, on passe par toute une échelle de gris. Sans crier gare, l’artiste nous fait balancer d’un extrême à l’autre. Ce saut subi ne pourrait être, à notre avis, que la traduction de l’expression d’une vérité aussi tranchante, douloureuse que le massacre génocidaire auquel le monde entier assiste impuissant et en colère depuis une année ! Comme aussi l’occupation d’une terre, comme des enfants aux corps en lambeaux, les dessins décrivent une accumulation, une répétition, un espace rempli totalement ou presque vide.
Ce qui est sûr, c’est que ces dessins-signes dénotent une souffrance. Ils sont graves et nécessaires. Mohammed Guiga en parle en termes d’oxygène. Maintes fois, l’artiste affirme que s’il ne dessine pas régulièrement, il pourrait mourir de suffocation ! Il est de ces artistes à l’engagement humain sans faille quand il affirme qu’il est intolérable qu’on touche à l’intégrité humaine surtout lorsqu’il s’agit d’enfant.
Formé en design graphique à l’Institut Technologique d’Art d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis (Itaaut), actuel Institut Supérieur des Beaux-Arts de Tunis, pour Mohammed Guiga, dessiner au stylet graphique sur une tablette ou à la craie sur une ardoise d’écolier ou à la peinture sur un grand support de carton ou de toile, tel est l’outil de base de l’artiste. Peu importe le format, pour lui, le geste du corps et l’attitude qui le supporte sont les mêmes. L’essentiel de son travail réside dans le premier jet, rien de plus, rien de moins.
Voilà qu’avec cette déclaration, on touche à la définition de l’art informel occidental et même à l’art gestuel dont l’origine extrême-orientale remonte à la nuit des temps. Chez les Chinois, leur écriture verticale appelée idéogramme ressemble étonnement à des dessins, comme on voit s’accomplir la même chose, mais de manière inverse, dans les dessins de l’ouvrage de Mohammed Guiga. Par ailleurs, si l’on prend l’exemple de la peinture sumi-e (peinture à l’eau) de la Chine et du Japon qui consiste à tracer en quelques traits suggestifs spontanément et rapidement l’essentiel et l’essence du sujet, on note qu’elle découle d’une attitude fondamentalement mystique.
Pour l’avoir fréquenté en tant que camarade à la faculté puis en tant que collègue et directeur à l’Institut supérieur des Beaux-arts de Tunis, je peux témoigner que le comportement dans la vie de tous les jours de l’artiste Mohammed Guiga brosse le portrait d’un personnage solitaire, distant et proche de la nature. En liant ces attributs au caractère austère et épuré des signes graphiques et autres que renferme son livre « Mon DESS-IN contre ce qui se dessine … », on ne peut pas s’empêcher de remarquer l’empreinte spirituelle. Par conséquent, le rapprochement esthétique du travail de Mohammed Guiga avec une vision mystique du monde s’impose.