Ils sont venus, ils étaient tous là: jeunes et vieux, amis, collaborateurs, banquiers, journalistes, officiels, citoyens lambdas, tous ceux qui, un jour, ont croisé son chemin et qu’il n’avait su laisser indifférents. Ils étaient tous venus lui dire adieu, avec sérénité, convivialité, au cours de la fête amicale qu’il avait souhaitée et demandée pour célébrer son départ.
Michael Cracknell était un être exceptionnel qui ne pouvait laisser indifférent. Gentleman anglais, cet homme élégant, de belle prestance et de discrète autorité, docteur en droit international, fut longtemps consultant dans des institutions de développement qui le menèrent à travailler dans plus de 80 pays.
C’est en suivant sa compagne et épouse, journaliste auprès des Nations unies, qu’il arriva à Tunis, porteurs tous deux d’un rêve magnifique : lancer un projet de développement, contribuer à la transformation positive de la société et à l’amélioration de la vie des Tunisiens les plus vulnérables. C’était, il y a 35 ans : Enda Interarabe naquit selon un modèle qu’ils avaient découvert au Sénégal, et qui devint la plus grande ONG du pays. L’aventure fut belle, difficile, décevante quelquefois, merveilleusement gratifiante le plus souvent. Résumer l’action d’Enda, son impact sur la société et la micro-économie, celle qui fonde les bases d’une société, demanderait un livre tout entier.
Contentons-nous d’évoquer le rôle précurseur, pionnier et visionnaire de Michael et d’Esma. Projets environnementaux, l’espace communautaire à la Cité Ettadhamen, le lancement du microcrédit en Tunisie, la création d’Enda Tamweel, de l’établissement de paiement, EndaTao, de l’Académie Enda pour la promotion de l’entrepreneuriat, les marchés solidaires, sont autant de réalisations qui témoignent de l’engagement indéfectible de cet homme discret venu de loin.
Un engagement qui, quand bien même il était appelé à œuvrer au niveau international, le portait à défendre avec fermeté et intransigeance la souveraineté de son pays d’adoption, la Tunisie. Ses collaborateurs évoquent le nombre de fois où il fut amené à refuser de négocier avec des bailleurs de fonds du Nord s’attachant à imposer des agendas ne correspondant ni aux besoins ni aux réalités de notre pays.
Tous — et il faut rappeler qu’il a contribué à la formation et à l’encadrement de plus de 2000 employés de Enda —tous évoquent sa modestie, son humilité, ses valeurs de respect et de compassion, son engagement au service des populations vulnérables.
Mais aussi son humour. Cet humour qui lui a fait demander dans une lettre posthume de célébrer son départ par une fête, sans pleurs ni larmes, mais dans la joie et la musique. Ses vœux furent exaucés.