La Presse — Depuis l’annonce du ministère de l’Éducation tunisien, le 12 novembre 2024, interdisant formellement les cours particuliers à domicile, une question subsiste : comment lutter contre la prolifération de ces cours sur internet ? Si l’objectif affiché est clair, à savoir assainir les pratiques éducatives et réduire les inégalités sociales, la réalité, elle, semble bien plus complexe. Les cours privés, loin de disparaître, se réinventent désormais dans la sphère numérique, échappant ainsi aux radars de la régulation.
La mesure a, sans surprise, suscité des réactions mitigées. Pour certains, comme Bilel, instituteur dans un établissement public, l’interdiction a du sens. Elle met un coup d’arrêt à une exploitation parfois abusive des élèves et libère leur emploi du temps, favorisant un équilibre entre vie scolaire et vie personnelle. Mais l’enseignant ne cache pas non plus les défis qu’elle engendre. «Avec des classes surchargées de 32 élèves et des programmes intensifs, il devient difficile de transmettre efficacement le savoir à tous. Beaucoup d’élèves se retrouvent en difficulté, sans filet de sécurité pédagogique», explique-t-il. De plus, pour des enseignants précaires, notamment les suppléants, ces cours représent une source de revenu indispensable face à des salaires souvent irréguliers.
Face à l’interdiction, ce sont les plateformes numériques qui tirent leur épingle du jeu et connaissent une explosion d’activité. Des enseignants, parfois les mêmes, qui animent des cours à domicile, proposent désormais leurs services via des outils en ligne, attirant une clientèle variée. Pour certains parents, c’est une alternative bienvenue, à la fois plus accessible et sécurisée.
Ainsi, Nadia, mère d’une adolescente scolarisée, confie avoir fait un choix radical: sa fille suit désormais l’essentiel de ses cours via une plateforme payante. «Cela coûte moins cher que l’inscription dans un lycée privé, et je me sens plus tranquille. Les conditions dans certains établissements publics sont devenues inquiétantes», avoue-t-elle. En fait, Nadia a inscrit sa fille dans un établissement public, rien que pour être en règle, mais l’adolescente n’y met pratiquement pas les pieds.
Ces plateformes, en pleine expansion, profitent d’un flou réglementaire : ni le ministère ni les entreprises concernées n’ont souhaité répondre à nos sollicitations pour le moment.
La migration des cours particuliers sur internet met en lumière une faiblesse structurelle des moyens de contrôle. Si les inspections pour vérifier le respect de l’interdiction à domicile se multiplient, les cours en ligne restent largement hors de portée des autorités. Ils sont souvent organisés via des applications courantes ou des espaces numériques privés, rendant toute traçabilité quasi impossible.
Cette situation pose un dilemme au ministère de l’Éducation. Comment encadrer des pratiques qui échappent par nature au contrôle physique ? Jusqu’ici, aucune solution concrète n’a été mise en pratique. L’État semble pris de court face à l’ingéniosité des enseignants et la demande croissante des familles, piégées entre des établissements publics débordés et des institutions privées proposant des prix inaccessibles pour beaucoup.
Mais soyons lucides un moment et rendons-nous à l’évidence, l’interdiction des cours particuliers, bien que motivée par une intention louable, révèle un mal plus profond dans le système éducatif. Le recours aux cours de soutien, qu’ils soient à domicile ou en ligne, n’est-il pas au fond le symptôme d’un besoin d’un enseignement de qualité, dans des conditions d’apprentissage décentes?