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Cybersécurité: Un enjeu stratégique pour la souveraineté économique de la Tunisie

La cybersécurité s’impose aujourd’hui comme un levier essentiel pour garantir la souveraineté économique des États dans un monde interconnecté. Nos infrastructures critiques télécommunications, santé, réseaux électriques, entre autres ainsi que nos données sensibles, sont au cœur des enjeux. De plus, l’économie numérique occupe une place de plus en plus prépondérante dans le développement des nations.

La Presse — Dans un contexte international marqué par des alliances géopolitiques en constante évolution, les choix diplomatiques et stratégiques de la Tunisie, combinés aux événements marquants des deux dernières années, exposent le pays à des cybermenaces importantes. Sami Ayari, expert senior en organisation IT et transformation des données, docteur de l’ENS Paris-Saclay, et cofondateur ainsi que coordinateur général de trois associations tunisiennes basées en France (Reconnectt, Tunisian AI Society et Tunisia CyberShield), a expliqué que ces menaces proviennent aussi bien d’ennemis identifiés que d’alliés dissimulés, notamment ceux « considérés comme proches et amis ». Dans certains cas, elles émanent même de puissances cherchant à exercer une forme de tutelle sur la Tunisie.

Des lacunes persistantes

Sami Ayari a également souligné que « la Tunisie, comme de nombreux pays en développement, fait face à des défis significatifs pour renforcer ses défenses en cybersécurité. Bien que des efforts notables aient été entrepris, notamment à travers la stratégie nationale de cybersécurité, plusieurs lacunes persistent : une infrastructure limitée, un manque de compétences humaines en cybersécurité et l’absence d’un écosystème de start-up spécialisées dans ce domaine ».

Selon lui, les ressources financières allouées à la cybersécurité restent insuffisantes, et le budget limité nécessite une orientation stratégique des soutiens et investissements internationaux (crédits, dons…). Ces fonds devraient être utilisés pour créer des incubateurs spécialisés en cyberdéfense, développer un Start-up Act 2.0 axé sur les besoins prioritaires de la Tunisie et non sur les facilités fiscales destinées à l’Europe. Par ailleurs, la position géographique stratégique de la Tunisie, à la croisée des influences géopolitiques en Afrique du Nord et en Méditerranée, la rend particulièrement exposée au cyber-espionnage, aux cyberattaques et aux risques provenant d’acteurs non étatiques.

Ce qu’il faut faire !

Pour faire face à ces menaces, Ayari propose que la Tunisie adopte une stratégie multidimensionnelle mêlant diplomatie, coopération internationale et renforcement de ses capacités internes.

Il développe : « Parmi les mesures envisageables, il y a la création d’une agence nationale pour la souveraineté numérique, affiliée au Conseil de sécurité nationale, pour coordonner les stratégies liées au numérique, à l’intelligence artificielle, aux données, aux télécommunications et à la recherche. Il est possible aussi d’établir une cellule d’intelligence numérique dédiée à la surveillance des cyber-risques, notamment ceux liés aux accords économiques et technologiques. Il faut, par ailleurs, encourager l’innovation technologique locale et mettre en place des mécanismes pour ralentir la fuite des cerveaux, tout en renforçant les compétences locales grâce à des formations spécialisées.

Il est, d’autre part, nécessaire d’instaurer des standards stricts en cybersécurité pour garantir un haut niveau de protection des infrastructures critiques et des partenariats internationaux en plus des efforts pour sécuriser et diversifier les alliances internationales, en évitant une dépendance excessive à un seul bloc géopolitique et en établissant des partenariats équilibrés avec plusieurs acteurs ».

Ces mesures permettraient à la Tunisie, d’après Ayari, de renforcer sa résilience face aux cybermenaces tout en favorisant son développement technologique et économique dans un cadre sécurisé et souverain.

Sonder les vulnérabilités tunisiennes

De son côté, Jihene Ben Naceur, experte en cybersécurité à Mediterranean Institute of Technology (MedTech), a affirmé que la cybersécurité, compte tenu des acteurs géopolitiques existants, pourrait altérer de manière significative la souveraineté économique de la Tunisie. Selon elle, bien que les cyberattaques ciblent principalement les grandes nations technologiquement avancées, il est temps pour la Tunisie de sonder ses propres vulnérabilités et de renforcer ses défenses cybernétiques.

Pour garantir son autonomie économique, la Tunisie doit impérativement prendre des mesures significatives en cybersécurité. A défaut, le pays risque de perdre le contrôle de ses politiques économiques et de subir l’influence de nations technologiquement plus avancées. « Assurer une cybersécurité robuste n’est pas seulement une question de protection des réseaux et des données, mais également un enjeu stratégique pour préserver l’indépendance économique et protéger l’avenir national contre les pressions extérieures », déclare-t-elle.

Ben Naceur a également noté que la Tunisie accuse un retard considérable par rapport aux avancées mondiales en cybersécurité, notamment dans l’utilisation de technologies basées sur l’intelligence artificielle. Ce retard est aggravé par le manque de reconnaissance de l’importance cruciale de la cybersécurité de la part des autorités et des organisations.

Améliorer les compétences des professionnels…

Pour combler ce retard, la Tunisie doit non seulement augmenter ses investissements dans les infrastructures, mais aussi développer des programmes complets de formation et de perfectionnement.

Ces initiatives devraient viser à améliorer les compétences des professionnels et à intégrer des technologies avancées. Par ailleurs, des partenariats public-privé stratégiques pourraient consolider les défenses en cybersécurité du pays.

Enfin, l’experte insiste sur le fait que « la Tunisie doit relever le défi d’établir des partenariats économiques et technologiques tout en se protégeant contre les cybermenaces et en préservant son autonomie économique et politique. Cela passe par la mise en place d’un cadre national robuste, l’amélioration des capacités locales, la coopération internationale avec des pays partageant les mêmes valeurs, et l’intégration de protocoles stricts dans tous les accords de partenariat. En investissant dans des technologies avancées et des formations continues, la Tunisie pourra sécuriser son infrastructure numérique et renforcer sa souveraineté économique face aux pressions géopolitiques ».

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