
Une exploration de cinq territoires en transition : Innsbruck, Lisbonne, Nantes, Tbilissi et Tunis donnant lieu à différentes lectures et autres réappropriations et interprétations sonores et audiovisuelles à travers les installations des artistes.
La Presse — Après des semaines de préparation, l’association L’Art Rue a accueilli, du 4 au 6 février dernier dans son local à Dar Bach Hamba à la Médina de Tunis, les fruits du premier Collab Lab du projet Slash Transition, lancé en 2016, piloté par Trempo (Nantes, France) et cofinancé par l’Union européenne dans le cadre de son programme Europe Creative. L’idée derrière ce projet est de voir comment un artiste sonore peut accompagner les mutations d’un territoire tout en consolidant sa carrière de manière plus vertueuse et comment il peut jouer un rôle dans la fabrique de la ville. La plateforme Slash rassemble des partenaires à travers l’Europe et au-delà, notamment des centres culturels, des universités, des municipalités, des festivals, des stations de radio, etc, dont la structure tunisienne L’Art Rue, créé en 2006 par le duo de danseurs Selma et Sofiane Ouissi. Leur ambition était de créer, poétiser et transformer les territoires de manière collective, avec l’urgence de faire ville et société ensemble. Ils sont derrière des projets d’envergure tels que le festival Dream City à la Médina de Tunis.
Durant quatre ans, Slash a mis en coopération sept partenaires pour explorer cinq territoires en transition : Innsbruck, Lisbonne, Nantes, Tbilissi et Tunis. Cela a donné lieu à différentes lectures et autres réappropriations et interprétations sonores et audiovisuelles à travers les installations des artistes: Fanch Dodeur de France, la Tunisienne Amal Yaakoubi, l’Autrichienne Ursula Winterauer alias Gischt, la Portugaise Larie et le Géorgien Giorgi Koberidze. Le projet de ce dernier ne figurait pas parmi les installations exposées entre Dar Bach Hamba et Minassa à la Médina durant les 3 jours de l’événement. Le premier lieu a présenté en continu les œuvres en son, en lumières et en images.
Larie, qui a effectué sa résidence à L’Art Rue, s’est inspiré des dynamiques contrastées de la Médina de Tunis. Au cours de ses déambulations, l’artiste a recueilli des sonorités qui évoquent un foisonnement de « couches» composées d’odeurs, de couleurs et de bruits variés. Son travail, intitulé «Change» (installation et performance multimédia), s’articule autour des habitants de la Médina et de leurs ressentis, témoignant d’une riche intériorité qui anime cet espace urbain. Les voix qu’elle a recueillies illustrent les transformations du territoire à travers le temps. Son processus de création a donné lieu à une superposition harmonique de perspectives vocales et sonores, représentant ainsi la diversité et la complexité de la Médina en tant que territoire en transition. Ursula Winterauer, alias Gischt, et son installation audiovisuelle «When dust settles» conçue dans le cadre de sa résidence Nantes . Elle y transforme les bruits de construction en une réflexion acoustique sur le changement et l’impermanence de la vie contemporaine. En réinterprétant des enregistrements d’anciens bâtiments, de nouvelles machines et des voix des acteurs de la transformation, Ursula crée une collision entre l’ancien et le nouveau. Son œuvre illustre l’histoire de la démolition et de la reconstruction, avec une durée qui reflète le processus de construction.
Amal Yaâkoubi a effectué sa résidence artistique avec Casa do Capitão dans le quartier de Beato à Lisbonne. Plongée dans l’exploration du concept d’«espace liminal», elle a navigué à travers un territoire en transition, révélant les mondes et identités qui émergent dans ce contexte.
Dans le texte qui accompagne son installation, Amal partage son expérience à Chelas, un quartier où elle a perçu à la fois la beauté et la douleur, écrites sur les murs. Elle évoque un système à la fois corrompu et impitoyable, mais, derrière cette superficialité, elle a aussi trouvé une résilience inspirante. Pour elle, Chelas reflète la réalité de son propre quartier, Dar Fadhal (entre la Soukra et Aouina à Tunis), et résonne avec les luttes et les espoirs que nous voyons partout. À travers sa composition sonore, l’artiste nous a invités à entendre ces voix, à contempler ces racines, et à reconnaître la connexion entre tous les lieux.
A Minassa c’est «Multitude», la création de Fanch Dodeur que nous rencontrons. Pour sa résidence, il s’est installé dans le quartier de Chugureti, à Tbilissi, en Géorgie où l’industrialisation, l’embourgeoisement et l’urbanisation s’entremêlent au milieu d’une politique autoritaire émergente. L’artiste s’est fait le témoin et l’acteur de cette mutation. Grâce à un dispositif de 8 haut-parleurs et à des synthétiseurs granulaires, Fanch a créé une archive vivante (accessible en open source) qui évoque la manière dont nos souvenirs se tissent et s’organisent.
Dans le cadre de ce même événement, des sessions d’écoutes expérimentales ont été organisées avec la participation des artistes tunisiens Zied Meddeb Hamrouni (Shinigami San), Rami Harrabi et Alia Sellami, ainsi qu’une table ronde autour du thème: «Le rôle du son dans la fabrique d’une ville» avec les interventions de l’artiste sonore Aly Mrabet, l’architecte Chiraz Chtara et l’ingénieur et urbaniste Sami Yassine Turki.