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La Presse — Le 9 février 2025, l’ambassadeur d’Italie en Tunisie, S.E. Alessandro Prunas, marque un an de la présentation de ses lettres de créance au Président Kaïs Saïed. Une année riche en projets et en renforcement de la coopération bilatérale entre la Tunisie et l’Italie. À cette occasion, le journal La Presse s’est entretenu avec lui pour dresser un bilan de son année d’exercice, mettre en lumière les moments marquants, et discuter des principaux projets en cours qui unissent nos deux nations.
L’entretien aborde les relations stratégiques entre la Tunisie et l’Italie dans des domaines variés, tels que l’énergie, les investissements, l’innovation, la diplomatie, la migration… Nous revenons également sur la visite du Président Kaïs Saïed en Italie en janvier 2024, les projets phares comme Elmed et Terna, etc.
Un an après votre prise de fonctions en Tunisie, comment évaluez-vous votre mission et quels ont été les moments marquants de cette première année en tant qu’ambassadeur d’Italie en Tunisie ?
Cette année a été marquée par un dynamisme exceptionnel dans les relations italo-tunisiennes. La visite en avril dernier de notre Présidente du Conseil, Mme Meloni — la quatrième en l’espace de 12 mois — a réaffirmé la volonté de renforcer davantage nos liens dans tous les domaines.
Le président du Sénat, M. La Russa, deuxième personnalité de l’État, ainsi que huit ministres du gouvernement italien, se sont rendus ici, tous animés par une approche très concrète visant à faire progresser la coopération.
Au-delà du niveau étatique, l’ampleur des missions économiques, culturelles et académiques a également été extraordinaire. Le partenariat historique entre nos deux pays est aujourd’hui plus solide que jamais.
Comment qualifieriez-vous la relation entre la Tunisie et l’Italie, et quels sont les principaux domaines de coopération qui se sont renforcés ou développés durant cette année ?
Nos relations s’étendent à tous les domaines : coopération face aux défis communs; défense et sécurité ; commerce et investissements ; promotion du développement durable et lutte contre le changement climatique ; culture, langue et formation. Ce partenariat à 360 degrés s’inscrit pour nous dans le cadre du Plan Mattei pour l’Afrique visant à créer des bénéfices et des opportunités partagées.
Comme l’a souligné notre vice-président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, M. Tajani, l’Italie veut être le pont entre la Tunisie et l’Union européenne. De même, la Tunisie peut représenter pour l’Italie un pont vers l’Afrique. Ce sont des rôles que la géographie a légués à nos deux pays et qu’aujourd’hui, nous pouvons pleinement valoriser.
La visite du Président Kaïs Saïed en Italie en janvier 2024 a marqué un tournant dans les relations bilatérales. Pouvez-vous nous en dire plus sur les fruits de cette visite ?
En janvier 2024, S.E. le Président Saïed nous a honorés de sa présence au Sommet Italie-Afrique, où la Présidente Meloni a présenté le Plan Mattei pour l’Afrique, dont la Tunisie est un pays partenaire prioritaire.
Tous les progrès réalisés depuis ce moment au niveau bilatéral trouvent leurs racines dans cette visite fondamentale : les accords signés lors de la mission de Mme Meloni en avril, portant sur un appui budgétaire à l’État tunisien, une ligne de crédit pour les PME et la coopération universitaire ; l’augmentation des échanges commerciaux et de l’intérêt des investisseurs italiens pour la Tunisie ; le renforcement de la coopération dans le secteur énergétique, la sécurité alimentaire et l’agriculture durable ; les avancées dans la lutte contre la traite des êtres humains et l’augmentation des voies de migration régulières, sûres et ordonnées, jusqu’au doublement de notre engagement dans la coopération au développement formalisé lors de la rencontre à Rome ce janvier entre les ministres Tajani et Nafti. Ce sont des résultats qui apportent des bénéfices très concrets dans la vie de nos citoyens.
Le projet Elmed est un symbole fort de la coopération énergétique entre nos deux pays. Quelles sont les implications de ce projet pour la Tunisie en termes d’infrastructures énergétiques, d’innovation et de coopération avec l’Italie ?
Le projet Elmed permettra de créer un “pont énergétique” entre nos continents grâce à la réalisation, par Terna et la Steg, d’un câble sous-marin en courant continu reliant l’Italie et la Tunisie.
Face aux défis posés par la lutte contre les changements climatiques, nos deux pays ont aujourd’hui l’opportunité de devenir les plaques tournantes de l’énergie entre l’Afrique et l’Europe. L’accord sur la transition énergétique, signé à Rome par les ministres Tajani et Nafti, témoigne de cette volonté commune et représente un moteur pour de nouveaux investissements qui permettront de développer davantage la production d’énergie renouvelable en Tunisie.
Elmed n’est pas le seul projet à suivre cette voie : nous pensons également à SouthH2Corridor, qui vise à transporter de l’hydrogène vert depuis l’Afrique du Nord jusqu’au cœur de l’Europe et autour duquel une première réunion ministérielle s’est tenue en janvier à Rome. Toutes ces questions ont été au centre de la visite à Tunis de notre ministre de l’Environnement et de la Sécurité énergétique, M. Pichetto Fratin, la semaine dernière.
La Tunisie attire de plus en plus d’investissements italiens, comme en témoigne la récente visite du groupe Calzedonia, accueilli par le Chef du gouvernement tunisien. Quelles opportunités peuvent-ils saisir pour y investir ?
Avec près de 1 000 entreprises employant directement environ 80 000 personnes et beaucoup plus indirectement, l’Italie est déjà l’un des principaux investisseurs en Tunisie. Grâce à un tissu économique dynamique et à un capital humain d’excellence, nos entreprises montrent un intérêt croissant pour de nouvelles opportunités d’investissement en Tunisie, comme l’illustrent la visite du groupe Calzedonia et l’annonce par Terna de la création de la “Terna Innovation Zone”, un pôle d’innovation à Tunis pour les start-up tunisiennes.
Sur le plan commercial, avec plus de 21 milliards de dinars d’échanges, l’Italie est le deuxième partenaire de la Tunisie, son premier fournisseur et la deuxième destination de ses exportations.
La nature bien équilibrée de cette relation reflète notre vision gagnant-gagnant des relations italo-tunisiennes. Nous sommes résolus à renforcer ce partenariat économique de premier plan : le Business Forum annoncé par nos deux ministres des Affaires étrangères, qui se tiendra cette année en Tunisie, en sera une étape clé.
Quelles sont les grandes priorités pour l’avenir de la coopération tuniso-Italienne ?
L’année prochaine marquera le 70e anniversaire des relations entre l’Italie et la Tunisie. Ce sera non seulement l’occasion de célébrer une amitié historique et privilégiée, mais aussi de renforcer davantage nos liens dans tous les domaines.
Nos deux pays partagent une vision de partenariat paritaire entre l’Europe et le continent africain, vision que l’Italie a placée au centre de sa présidence du G7 en 2024. Ce partenariat doit se construire par la multiplication des opportunités de développement durable et partagé, autour de priorités telles que la lutte contre le changement climatique, la transition énergétique et la sécurité alimentaire.
Cela nous permettra également de répondre aux causes profondes des phénomènes migratoires, qui nécessitent des solutions coordonnées et holistiques : aucun État, à lui seul, ne peut les affronter efficacement. Dans cette perspective, le Processus de Rome, lancé en 2023 lors de la Conférence internationale sur le développement et les migrations, conjointement portée par l’Italie et la Tunisie, joue un rôle central.
Comment les deux pays peuvent-ils travailler ensemble pour relever les défis mondiaux actuels, et surtout la lutte commune contre la migration clandestine ?
Les défis mondiaux — qu’il s’agisse de la construction de la paix et de la sécurité, de la protection de l’environnement et du développement durable, ou de la réduction des inégalités — exigent, par leur nature, une coopération étroite entre tous les acteurs, ce qui constitue l’essence même de la diplomatie.
Les phénomènes migratoires, comme nous l’avons déjà souligné, ne font pas exception. À cet égard, la coopération dans la lutte contre la traite des êtres humains – un fléau qui prive les individus de leur sécurité et de leur dignité, leurs biens les plus précieux – porte ses fruits, à commencer par la réduction considérable du nombre de décès en mer en 2024 : plus de 60 000 personnes ont été secourues l’année dernière en Méditerranée centrale grâce à nos efforts.
Notre réponse dépasse largement la seule dimension sécuritaire : nous sommes pleinement engagés dans la mise en place de voies de migration régulières et ordonnées.
Parallèlement, l’Italie ne veut pas priver ses pays partenaires de leurs talents : travailler ensemble pour investir dans la formation en Tunisie et pour accroître les opportunités à la source est crucial pour garantir le droit de ne pas être contraint de migrer.
Quels sont les autres projets et initiatives spécifiques que vous souhaitez mettre en place dans les mois à venir pour approfondir cette collaboration ?
Pour la période 2025-2027, l’Italie mettra à la disposition de la Tunisie au moins 400 millions d’euros pour financer des projets de coopération. Le projet phare du Plan Mattei en Tunisie est le programme Tanit, né d’une mission sur la sécurité alimentaire dirigée par le ministre Tajani en octobre 2023, à laquelle ont également participé notre ministre de l’Agriculture, Francesco Lollobrigida, et notre ministre de l’Emploi, Marina Elvira Calderone. Il s’articule autour de trois axes : améliorer l’utilisation des eaux non conventionnelles en agriculture, revitaliser les cultures dans les zones touchées par la sécheresse et créer un centre de formation et de recherche conjoint dans le secteur agricole.
La formation constitue un autre domaine clé de notre collaboration. À travers l’Agence italienne pour la coopération au développement, l’Italie investit 8 millions d’euros dans la formation professionnelle au service des entreprises en Tunisie.
Parallèlement, notre ministère de l’Intérieur cofinance le programme Thamm+ de l’Union européenne, qui vise au recrutement de 2 000 travailleurs en Italie sur trois ans, en étendant à grande échelle un projet pilote mené par l’Association nationale italienne des constructeurs de bâtiments (Ance).
Enfin, en matière de collaboration universitaire, notre ministre de l’Université et de la recherche, Annamaria Bernini, et son homologue de l’Enseignement supérieur, Mondher Belaïd, ont récemment réitéré l’engagement à lancer très bientôt un appel à projets de recherche conjoints entre l’Italie et la Tunisie et les négociations ont été entamées pour un accord bilatéral sur la reconnaissance mutuelle des diplômes.
Finalement et non moins important, quel message souhaiteriez-vous adresser aux Tunisiens concernant les relations entre nos deux pays ?
L’Italie et la Tunisie sont bien plus que des partenaires. Notre proximité n’est pas seulement géographique : nous avons une capacité unique à nous entendre. C’est le résultat de liens humains et culturels tissés au fil des siècles. Mais notre regard est tourné vers l’avenir : aujourd’hui, l’Italie et la Tunisie posent ensemble les bases d’un futur de prospérité et de stabilité partagées au cœur de la Méditerranée.