
Par Skander SALLEMI (Conseiller fiscal) |
Le principe de confiance légitime est un fondement essentiel de la sécurité juridique, garantissant aux contribuables que l’administration ne peut pas revenir de manière arbitraire sur ses propres engagements. Cependant, en Tunisie, l’administration fiscale revient fréquemment sur le contenu des attestations qu’elle a délivrées, générant ainsi une insécurité pour les entreprises et les contribuables.
Pratiques contestables de l’administration fiscale
Dans plusieurs cas, l’administration fiscale tunisienne délivre des attestations de situation fiscale à l’occasion de virements à l’étranger ou des attestations d’exonération d’impôt et de retenue à la source pour les entreprises bénéficiant d’avantages fiscaux liés à la création de nouvelles sociétés. Cependant, lors de vérifications fiscales ultérieures, elle adopte une interprétation différente, remettant en cause ces exonérations et imposant des redressements fiscaux. Ce revirement de position place les contribuables dans une situation paradoxale : ils se retrouvent sanctionnés pour avoir suivi une position officielle de l’administration. Ce manque de stabilité affaiblit la confiance dans les institutions et constitue une atteinte au principe de sécurité juridique.
Les attestations fiscales : des actes administratifs créateurs de droits
Les attestations fiscales délivrées par l’administration constituent des actes administratifs individuels qui créent des droits pour les entreprises.
En les émettant, l’administration engage implicitement sa responsabilité et ne peut, en principe, revenir arbitrairement sur sa position. Lorsqu’une entreprise prend des décisions financières et stratégiques en se basant sur ces documents, elle ne devrait pas être exposée à des redressements imprévisibles. L’annulation de ces attestations lors d’un contrôle fiscal remet en cause des situations acquises, entraînant des pénalités lourdes, des difficultés de trésorerie et, dans certains cas, des blocages de transactions avec les partenaires étrangers.
La jurisprudence administrative et l’exigence de clarté
Le Tribunal administratif tunisien a consacré le principe de confiance légitime en affirmant que les règles juridiques doivent être claires, prédictibles et compréhensibles. Une entreprise ne peut être sanctionnée si l’administration a formulé des règles floues ou si elle a changé d’interprétation de manière unilatérale et soudaine. Dans plusieurs affaires, le Tribunal administratif a jugé que l’administration ne peut pas prendre des décisions contradictoires ou revenir sur des engagements antérieurs sans justification claire, car cela porte atteinte à la confiance du public dans les institutions.
L’interdiction de la rétroactivité des décisions
administratives
Un autre problème récurrent est la modification rétroactive de la situation fiscale des contribuables, notamment en matière de TVA ou de droits de consommation. En principe, les décisions de l’administration ont un effet immédiat et ne peuvent, en aucun cas, avoir un effet rétroactif.
Toute modification rétroactive entraîne des redressements très lourds, mettant en péril la stabilité financière des entreprises concernées. Cette pratique constitue une violation flagrante du principe de sécurité juridique, qui est un fondement essentiel d’un environnement fiscal stable et prévisible.
Recommandations pour une meilleure sécurité juridique
Pour remédier à ces problèmes, il est essentiel d’adopter plusieurs réformes :
-Encadrer juridiquement les attestations fiscales : Une attestation fiscale doit être considérée comme un engagement ferme de l’administration, sauf en cas de fraude manifeste.
-Consacrer expressément le principe de confiance légitime dans le droit fiscal tunisien : Cela permettrait aux contribuables de s’en prévaloir officiellement.
-Interdire la rétroactivité des décisions fiscales : Sauf exception prévue par la loi, toute modification des obligations fiscales ne devrait s’appliquer qu’à l’avenir.
-Renforcer la transparence dans les contrôles fiscaux : L’administration doit expliquer ses changements d’interprétation et prévoir une période transitoire pour toute modification.
Conclusion
L’administration fiscale joue un rôle crucial dans le climat des affaires en Tunisie. Son instabilité décisionnelle et ses revirements de position mettent en danger la confiance des contribuables et des investisseurs. Il est donc urgent d’institutionnaliser le principe de confiance légitime et d’assurer une plus grande prévisibilité dans l’application des règles fiscales. Un cadre juridique plus stable et plus transparent renforcerait la compétitivité économique du pays et garantirait une meilleure relation entre l’administration et les contribuables.