
La Presse — Ce n’est plus l’heure d’attendre passivement des accords favorables, mais de les provoquer. L’Afrique s’industrialise, des marchés émergents se consolident, de nouveaux flux commerciaux se dessinent. Si la Tunisie ne se positionne pas maintenant, elle sera vite reléguée en marge du jeu économique mondial.
La réélection du président américain Donald Trump et le retour d’une politique économique marquée par le protectionnisme redessinent les équilibres commerciaux à l’échelle mondiale. Pour la Tunisie dont l’économie demeure vulnérable aux fluctuations des grandes puissances, ces changements ne sont pas sans conséquence.
Une analyse récente de l’Institut arabe des chefs d’entreprises (Iace) souligne l’importance d’une réponse stratégique adaptée à cette nouvelle donne. Les incertitudes sont nombreuses, mais des opportunités émergent aussi pour peu que le pays sache les saisir avec pragmatisme.
Un contexte international en mutation
L’impact de la politique économique américaine ne se limite pas à des discours ou à des décisions isolées. Il se traduit par des répercussions concrètes sur le terrain. D’après cette analyse, l’appréciation du dollar, conjuguée à une augmentation des droits de douane américains, ajoute une pression supplémentaire sur l’économie nationale. Avec un endettement extérieur déjà considérable, la hausse du coût des matières premières et de l’énergie complique encore davantage la situation.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes ; en 2024, les coûts de l’énergie ont enregistré une hausse de 18 %, tandis que les prix des produits alimentaires ont augmenté de 12 %. Cette inflation pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages et réduit d’autant plus la marge de manœuvre du gouvernement.
Un autre signal d’alarme réside dans la baisse des investissements directs étrangers (IDE). L’incertitude économique mondiale freine les engagements financiers des investisseurs internationaux, une tendance qui n’épargne pas la Tunisie. En 2025, les IDE y ont reculé de 15 %, affectant en particulier les secteurs du textile et de l’agroalimentaire, déjà fragilisés à l’échelle nationale par la concurrence internationale et la hausse des coûts de production.
Des aides en diminution, mais de nouvelles perspectives commerciales
Parallèlement, la Tunisie doit composer avec une diminution des financements américains via l’Usaid qui, jusque-là, soutenait divers projets de développement. Néanmoins, tout n’est pas noir. Des initiatives comme «Prosper Africa» favorisent un modèle économique fondé sur l’investissement privé. Et bien que la Tunisie ne figure pas parmi les priorités affichées du programme, elle pourrait tirer parti de cette dynamique, en renforçant ses liens avec des entreprises américaines, notamment dans des secteurs porteurs comme la technologie et les énergies renouvelables.
L’Iace préconise que, face à ces défis, la diversification des partenariats économiques devient une nécessité. Si les relations avec l’Union européenne restent cruciales, un rapprochement avec d’autres puissances émergentes, telles que la Chine, l’Inde et la Turquie, pourrait offrir de nouvelles perspectives et atténuer la dépendance de la Tunisie vis-à-vis du marché américain.
D’autre part, les accords préférentiels avec les blocs économiques africains constituent un levier encore sous-exploité. L’Afrique représente pourtant un espace d’opportunités majeures pour les entreprises tunisiennes en quête de débouchés. Une stratégie commerciale plus agressive en direction du continent pourrait donc marquer un nouveau tournant.
Les secteurs du textile et de l’agroalimentaire, en particulier, pourraient se développer davantage s’ils étaient mieux intégrés aux réseaux de production et de distribution. Pour y parvenir, il est essentiel de faciliter leur accès aux financements et de mettre en place une politique industrielle plus claire et efficace. Par ailleurs, une gestion stricte de la monnaie est nécessaire pour limiter l’inflation et stabiliser le dinar. Ces mesures sont indispensables pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens et renforcer l’économie du pays face aux crises.
Quelle stratégie pour les décideurs tunisiens ?
Dans cet environnement mouvant, la Tunisie ne peut se permettre d’attendre passivement un retour à la stabilité. C’est le constat principal de l’analyse de l’Iace. Le monde avance, souvent sans prévenir, et ceux qui tardent à s’adapter en paient le prix fort. Nos décideurs doivent donc faire preuve de réalisme et d’audace. D’abord, il est urgent d’ouvrir de véritables boulevards aux investisseurs, nationaux comme étrangers, au lieu de les noyer dans des labyrinthes administratifs. Simplifier les démarches, ce que le Chef de l’État ne cesse de répéter, ne doit plus être un vœu pieux mais une action concrète, mesurable et rapide. Assurer un cadre légal stable et clair permet aux entreprises de se sentir en confiance pour investir et grandir en Tunisie, au lieu de chercher de meilleures conditions ailleurs.
Ensuite, moderniser les infrastructures ne peut plus attendre. Routes, ports, digitalisation des services publics. Tout ce qui fluidifie l’économie et réduit la bureaucratie est un gain immédiat en compétitivité. Si les grandes puissances redéfinissent leurs circuits d’approvisionnement, c’est peut-être le moment ou jamais de se positionner intelligemment, en misant sur la promptitude et la réactivité.
Mais le véritable enjeu, celui qui conditionne la résilience du pays, reste sa capacité à produire davantage ce qu’il consomme. Trop longtemps, la Tunisie a subi les crises extérieures, dépendant des fluctuations des matières premières et des revirements des marchés mondiaux. Il est temps d’inverser la logique en investissant dans l’industrialisation, encourageant l’innovation technologique et faire de la souveraineté alimentaire une priorité. Ce n’est plus l’heure d’attendre passivement des accords favorables, mais de les provoquer. L’Afrique s’industrialise, des marchés émergents se consolident, de nouveaux flux commerciaux se dessinent. Si la Tunisie ne se positionne pas maintenant, elle sera vite reléguée en marge du jeu économique mondial. Une diplomatie économique proactive, des alliances intelligentes et diversifiées et un sens aigu de l’opportunité doivent devenir la norme, pas l’exception.
Dans ce contexte mouvant, une seule approche peut fonctionner, celle d’être rapide, flexible et lucide. C’est en acceptant cette réalité et en s’y adaptant avec pragmatisme que la Tunisie pourra transformer ses contraintes en atouts et bâtir un avenir économique solide. Rien ne sera facile, mais dans un pays qui, malgré les turbulences, s’attelle à mettre en place de grandes réformes, l’essentiel reste entre nos mains, celui de transformer chaque contrainte en tremplin et de bâtir un modèle économique plus robuste et donc souverain.