
L’incapacité des travailleurs à accéder aux crédits, à investir ou à consommer de manière durable a non seulement ralenti la croissance économique, mais aussi exacerbé les inégalités sociales, freinant une partie de la société dans sa capacité à construire une vie et une famille.
Un projet d’amendement du Code du travail est en gestation, avec une promesse forte de rompre avec le passé. «Il est temps d’en finir avec les pratiques qui exploitent les travailleurs sous couvert de flexibilité», a déclaré le Président Kaïs Saïd, en recevant le ministre des Affaires sociales, Issam Lahmar, le 8 mars à Carthage. Dans le viseur du Chef de l’Etat, la sous-traitance, qualifiée de «forme d’esclavagisme déguisé», et les contrats à durée déterminée (CDD), qu’il veut limiter à des cas précis.
Mais cette réforme ne vise pas à fragiliser les entreprises, a-t-il tenu à rassurer. «Faire des profits est un droit, mais la stabilité et un salaire équitable sont aussi des droits fondamentaux», a insisté le Président, appelant à l’accélération du projet de loi pour le soumettre rapidement à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Une réforme pour contrer la précarité du travail
La révision du Code du travail s’inscrit dans un vaste chantier de réformes visant à remédier aux dérives qui ont marqué, ces dernières décennies, le marché de l’emploi. En tête des préoccupations figurent la suppression de la sous-traitance et la limitation stricte des contrats à durée déterminée (CDD). L’amendement du Code du travail s’impose donc comme une nécessité pour corriger les déséquilibres du marché du travail, notamment ceux liés à la prolifération des contrats temporaires. Ces formes d’emploi, aussi bien dans le secteur public que privé, ont permis aux employeurs de contourner les obligations sociales, ce qui a conduit à une précarisation croissante des travailleurs, et une tension permanente dans certains secteurs.
Pour la petite histoire, la sous-traitance a été utilisée, en particulier, comme un levier permettant à certaines entreprises publiques de se désengager de leurs responsabilités sociales. Au lieu d’améliorer l’efficacité des services, elle a souvent conduit à une dégradation du service public et à une instabilité professionnelle pour des milliers de travailleurs. Ce système a créé un cercle vicieux dans lequel la précarité s’est installée.
L’impact des contrats précaires sur l’économie et la société
L’utilisation abusive des CDD a entraîné, de son côté, une insécurité chronique pour les travailleurs, freinant leur accès à des avantages sociaux et les empêchant de planifier leur avenir. Cette instabilité n’a pas seulement affecté les employés, mais a aussi eu des répercussions négatives sur l’économie nationale et sur l’équilibre social. L’incapacité des travailleurs à accéder aux crédits, à investir ou à consommer de manière durable a non seulement ralenti la croissance économique, mais aussi exacerbé les inégalités sociales, freinant une partie de la société dans sa capacité à construire une vie et une famille. L’un des principaux effets pervers de cette précarité généralisée a été l’augmentation du taux de chômage, notamment parmi les jeunes diplômés.
Face à cette situation, le projet de réforme du Code du travail vise à rétablir un certain équilibre entre les droits des travailleurs et les impératifs économiques des entreprises. Il prévoit également de limiter strictement le recours aux contrats temporaires à des situations exceptionnelles, comme le travail saisonnier ou une augmentation ponctuelle du volume d’activité.
Des modèles inspirants à travers le monde
Plusieurs pays ont déjà entrepris des réformes similaires pour renforcer la protection des travailleurs tout en assurant un équilibre économique. En France, par exemple, la réforme du Code du travail a limité l’usage des CDD à des cas spécifiques et a favorisé les contrats à durée indéterminée pour réduire la précarité. En Allemagne, le modèle du «Mitbestimmung» (cogestion) permet aux salariés de participer aux décisions stratégiques des entreprises, renforçant ainsi leur stabilité professionnelle et leur engagement. De même, dans les pays nordiques, la «flexisécurité» combine une grande flexibilité pour les entreprises avec une forte protection sociale pour les employés, garantissant ainsi un marché du travail plus dynamique et moins précaire. Ces expériences montrent que des solutions équilibrées sont possibles et peuvent être mises en place dans notre pays pour répondre aux défis du marché du travail national.
En somme, la révision du Code du travail porte en elle une ambition plus vaste de rebâtir un cadre où le dialogue social ne serait plus une formalité, mais devient le socle d’une relation équilibrée entre employeurs et salariés. Au-delà des ajustements législatifs et techniques, c’est toute une vision du travail qui est en train de se redessiner, plaçant la justice sociale et la stabilité économique au cœur du projet. En modernisant les règles du jeu, la Tunisie ne cherche pas seulement à répondre aux impératifs du présent, mais à préparer l’avenir, où, idéalement, l’entreprise et le travailleur avancent de concert vers une prospérité partagée, une meilleure sécurité professionnelle et une plus forte dynamique économique.