Accueil Société Initiative législative portant amnistie générale liée à la pension alimentaire : L’emprisonnement n’est pas une solution

Initiative législative portant amnistie générale liée à la pension alimentaire : L’emprisonnement n’est pas une solution

Soixante-neuf ans déjà, le fameux Code du statut personnel tunisien (CSP) fait toujours figure d’exception et préserve encore un contenu figé, ne tolérant nullement trop d’amendements ou d’abolitions. Pourquoi n’a-t-il pas épousé son temps ? 

La loi change, la société aussi. Si son application ne colle pas à la réalité, par conséquent elle n’aura plus d’effet. En l’état, le CSP a-t-il raison d’être encore en vigueur ? Ne mérite-t-il pas une certaine révision ? 

Certes, une révolution législative, telle que voulue par le Président Kaïs Saied, demeure plus que jamais un choix irréversible, compte tenue notre arsenal juridique jugé désuet et ne pouvant guère rendre justice. C’est que nos lois sont condamnées à évoluer continuellement. 

256 mille personnes condamnées !

Plus d’un demi-siècle après sa promulgation le 13 août 1956, le Code du statut personnel, destiné intégralement à l’organisation de la structure familiale, n’a jamais subi une réforme globale censée l’adapter aux évolutions qu’a connues la famille tunisienne. Et pourtant, on continue à avoir recours à lui. Son chapitre portant sur la pension alimentaire et la rente de divorce est un exemple édifiant. Il nous édifie, aujourd’hui, sur l’obligation d’y apporter des rectifications nécessaires. 

Tout récemment, le Bloc national indépendant à l’ARP a déposé une initiative parlementaire, proposant ainsi un projet de loi pour une amnistie générale au profit des personnes ayant des pensions alimentaires et des rentes de divorce impayées, dont le nombre est estimé à 256 mille. D’ailleurs, penser à le remplacer, afin de lui conférer plus de souplesse et d’harmonie, s’avère de mise. Le texte doit s’inscrire dans la logique des choses. D’autant plus que la création d’un nouveau mécanisme de la pension alimentaire due en cas de divorce avait figuré à l’ordre du jour du Conseil ministériel restreint tenu le 27 février dernier. 

Cette convergence d’idées incarne bel et bien l’intention unanime de vouloir supprimer la peine de prison souvent infligée aux époux n’ayant pas dûment payé cette pension alimentaire au profit de leurs femmes divorcées. Cela dit, leur emprisonnement n’aurait, peut-être, pas cours, entravant tout débiteur d’honorer ses engagements envers sa divorcée. Pourquoi, alors, le poursuivre en justice si l’ultime but était essentiellement le remboursement des payements indus liés à la pension alimentaire et la rente de divorce ? L’envoyer en prison n’est, certes, pas une solution.

46 cas de divorce par jour

Par ailleurs, combien de débiteurs ont été mis, des mois durant, sous les verrous, pour n’avoir pas pu verser la rente de divorce ? Parlons-en ainsi, nous sommes dans une société où les liens matrimoniaux ne sont plus au beau fixe. Devenue fragile, la vie conjugale a perdu de son charme, alors que l’institution du mariage semble de plus en plus menacée. 

Au-delà d’un fait divers, le divorce demeure, sous nos cieux, un phénomène sociétal aussi complexe. Son ampleur dépasse tout entendement ! Bien qu’il n’existe pas encore de statistiques officielles, les estimations font état d’un constat préoccupant : «Environ 14 mille divorces enregistrés par an, soit 46 cas par jour», a révélé, tout récemment, l’avocate Meriem Louati, lors de son passage sur les ondes d’une radio privée. En effet, cette crise familiale, résultante de l’échec du mariage, a fini par laisser autant d’enfants face à leur destin incertain. 

Toujours est-il que les enfants en payent souvent les frais. Et là, les chiffres fournis en disent long: «Le nombre d’“enfants du divorce” avoisine 600 mille cas, en deux ans, du janvier 2023 au décembre 2024», estime Abdeljalil El Heni, président de la commission parlementaire des finances à l’ARP. Voués à l’abandon, ces enfants peuvent être sujets à la délinquance, terrain favorable à des comportements à risque (violence, criminalité…). 

Dans ce cas de figure, le soi-disant «intérêt supérieur de l’enfant» serait mis en jeu. 

Que faire pour rétablir ce régime de pension alimentaire, souvent biaisé et abusé ? On s’en servirait même, semble-t-il, pour mettre la pression sur le conjoint récalcitrant ou l’utiliser comme règlement de comptes personnel. Sans pour autant prioriser l’intérêt de l’enfant-victime. Certes, cette pension alimentaire est un droit acquis au profit des enfants, mais elle ne doit pas, en cas de non-paiement, être passible de prison. Or l’article 53 bis du CSP stipule que «quiconque, condamné à payer la pension alimentaire ou à verser la rente de divorce, sera volontairement demeuré un mois sans s’acquitter de ce qui a été prononcé à son encontre, est puni d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de cent (100 d) à mille dinars (1000 d)». Au sens du même article, seul «le paiement arrête les poursuites, le procès ou l’exécution de la peine». A en juger par ce verdict, cet excès de zèle judiciaire semble aller trop loin dans la répression.

Peines alternatives à l’incarcération ?

Et si on se rabattait sur d’autres peines alternatives à l’incarcération?

Cela veut dire qu’il y a intérêt à cesser d’opter pour la détention, en cas de non-paiement de la pension alimentaire au profit de ses bénéficiaires.

Car, comment demander un tel paiement de l’indu, alors que son débiteur est détenu. «Il n’y a pas de raison pour que l’Etat tunisien assume doublement la charge, celle du prisonnier et de l’enfant issu d’un divorce, car si le chef de famille est dans l’incapacité d’honorer ses engagements, c’est le fonds des pensions alimentaires qui le fera à sa place», argue Abdeljalil El Heni. 

Voilà à quoi s’en tient ladite proposition de loi visant une amnistie générale liée à la pension alimentaire et la rente de divorce. 

Il y a lieu, en fait, de revoir la loi n° 1993-0065 du 5 juillet 1993 portant création d’un fonds de garantie de la pension alimentaire et de la rente de divorce, comme cela a été souligné par le CMR du 27 du mois écoulé.

L’objectif, à l’en croire, est d’améliorer et de diversifier ses interventions et services destinés aux femmes divorcées et à leurs enfants, notamment lorsque l’exécution des jugements définitifs en leur faveur est impossible. 

Cette décision aura, certainement, à impacter positivement la cohésion sociale et préserver autant que possible la stabilité familiale, tout en protégeant les enfants d’éventuels risques de dérive et d’abandon. 

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