
Un championnat plus disputé, ça fait l’affaire de tous y compris de l’Espérance, habituée à dominer et qui a besoin de se présenter avec plus de compétitivité en Ligue des champions.
Cette saison, notre championnat offre un spectacle rare: une lutte pour le titre très serrée entre trois équipes qui se tiennent en un point à cinq journées de la fin, à savoir l’USM, l’EST et le CA, alors que, dans le même temps, deux autres formations, l’ESS et l’ESZ, en embuscade, sont encore mathématiquement concernées par la course au titre. Cette saison, l’Espérance ne fait plus cavalier seul via cette hyper-domination «sang et or» dont la mécanique sportive semblait devenir irrésistible. Maintenant, c’est tout le contraire avec un scénario idéal pour ce qu’il recèle de suspense, mais aussi d’enjeu. En clair, dans la configuration actuelle d’un tenant qui n’est plus ultra hégémonique, la lutte ne concerne plus seulement les accessits, mais porte également sur le titre.
A présent donc, rapportée aux concurrents du tenant, la question est de savoir si cette situation est susceptible de se répéter au fil des journées, jusqu’à la fin, ou si elle est juste exceptionnelle, avant le coup de reins final du champion en titre tunisien. A dire vrai, l’on préfère la première éventualité, non par penchant envers tel ou tel club, mais dans la mesure où contester la suprématie de l’EST est d’intérêt général, celui de l’Espérance compris, même si l’on peut penser aussi qu’une domination sans partage assoit davantage son prestige. L’EST ne doit pas cependant oublier «qu’à vaincre sans concurrence, on triomphe sans gloire».
Prémices d’un changement d’ordre ?
D’autre part, toujours en situation de lutte acharnée pour le Graal, d’autres facteurs moins symboliques plaident également en faveur de cette concurrence. Là, tout d’abord, on doit basculer vers l’échiquier africain, un terrain où se projette constamment et sans interruption le club de Bab Souika et qui nécessite une forme rassurante pour tenir son rang.
Or, l’on peut sans conteste avancer que, faute d’opposition solide, l’Espérance Sportive de Tunis en subit forcément le contre-coup au moment de participer à des joutes beaucoup plus relevées telles que la Ligue des champions. Plus largement, du moins depuis quelques années, l’EST pâtit d’un manque de prestige de la Ligue 1, même si elle a toujours, et sans relâche, contribué à stimuler l’attention continentale sur elle. Bref, l’Espérance a beau faire partie de l’élite africaine, son statut dépend encore en partie de celui du championnat tunisien où elle évolue.
Dans le microcosme footballistique tunisien, il est de notoriété que si le titre local est une nécessité pour l’EST, l’intérêt à être champion est secondaire, tant domine la priorité absolue de faire partie du gotha africain et donc de remporter la Ligue des champions ou du moins atteindre la finale voire le dernier carré. Or, présentement, à l’échelle locale, quand un ou deux outsiders se mêlent à la course au titre, le bénéfice est double avec l’avantage de relever le niveau de la compétition et, par ricochet, celui de voir l’Espérance mieux armée pour en découdre avec les Sud-Africains de Sundowns par exemple.
Une question d’équilibre compétitif
Aujourd’hui, en Ligue 1, la configuration idéale d’un quartette de clubs meneurs, entraînant dans leur sillage une meute de challengers, serait parfaitement conforme à cette volonté de rompre avec l’élitisation du football tunisien dans lequel une minorité de clubs se partagent la suprématie nationale.
En effet, qui se rappelle des sacres du Club Athletique Bizertin en 1984, de la JS Kairouanaise en 1977, du Sfax Railway Sport en 1968, du Stade Tunisien en 1965 ou encore du Club Sportif d’Hammam-lif en 1956, date d’indépendance de la Tunisie? Dans la galaxie du football tunisien, ces outsiders ambitieux ont sporadiquement donné l’illusion que tout est possible avant de rentrer dans les rangs. Et à l’inverse, à l’exception de l’EST, insolente de régularité, les autres grands clubs que sont le CA, l’ESS et le CSS peuvent traverser une ou plusieurs saisons blanches sans perdre leur statut, car à intervalles réguliers, tous les cinq ans par exemple, ils gratteront un titre qui effacera des mémoires le long cycle de jachère qui a précédé la consécration. En clair, pas de challenger autre que celui rattaché à l’incontournable «big four» désigné à qui l’on peut joindre maintenant l’Union Sportive Monastirienne, solide co-leader de la Ligue 1.
A quand le fossé cessera donc de se creuser entre «grands» et «petits» de la L1 ? Allez savoir, mais en tout cas, si l’on compare avec nos voisins cette année, voir la RS Berkane, le CR Belouizdad et Pyramids, pour ne citer que ceux-là, bouleverser la hiérarchie de leurs championnats respectifs et surtout s’inscrire dans la durée en haut du pavé, pousse à reconnaître que les «puissants» peuvent à leur tour succomber à l’alternance, et ne pas toujours poursuivre leur domination sans partage, comme c’est le cas en Tunisie où le sprint final de la L1 est rarement haletant, et la ligne d’arrivée toujours franchie par les mêmes, l’EST en premier. Or, sans une concurrence intense et passionnante, le concept d’équilibre compétitif ne sera pas conforté dans notre championnat, déjà classé 5e à l’échelle continentale derrière l’Égypte, le Maroc, l’Algérie et l’Afrique du Sud.
Ce championnat sera graduellement banalisé, son attractivité écornée, ce qui impactera davantage la visibilité à l’international de nos clubs, déjà nettement entamée cette saison avec l’absence de l’USM, de l’ESS et du CSS des phases avancées de la C1 et de la C3. Bienvenue donc à la concurrence en Ligue 1, ce stimulant qui incite les prétendants à se dépasser, et exit au monopole insidieux de certains cadors qui a aggravé non seulement les inégalités, mais a freiné également l’éclosion et l’épanouissement des prodiges en herbe qui naissent généralement chez les clubs moins exposés…