
Si vous êtes amateur de cinéma égyptien, vous devez certainement avoir vu ou entendu parler du long métrage « Al Fil Al Azrak » (L’éléphant bleu) sorti en 2014 et de sa suite. Derrière ce film culte, un roman du maître du suspense, le célèbre écrivain et scénariste Ahmad Mourad. Le livre a connu un succès fulgurant et s’est écoulé à plus d’un million d’exemplaires. L’auteur compte aujourd’hui à son actif sept romans et de nombreux scénarios de films et de feuilletons. Nous l’avons rencontré durant son séjour en Tunisie, organisé par l’association « Safahat ». Il nous a accordé cet entretien.
La plupart de vos romans ont été adaptés à l’écran. Vous écrivez vous-même le scénario. Pourtant, il y a un écart remarquable entre les deux œuvres. Le genre change des fois de la fantaisie au thriller pour «L’éléphant bleu», de l’historique à l’action pour «1919». Vous ajoutez des scènes et des personnages nouveaux. Pourquoi apportez-vous autant de modifications ?
Tout d’abord, un scénario n’est pas censé être une retranscription fidèle du livre. Il faut se libérer de cette idée de sacraliser le texte, même si c’est mon livre à moi. Des fois, si le lecteur s’amuse à découvrir des détails croustillants de page en page, le même contenu peut s’avérer ennuyeux pour un cinéphile cherchant la légèreté. Quand on crée un film, on cible principalement les jeunes qui sont plus de 80% de notre public. Si on veut le commercialiser et qu’il soit rentable, il faut tailler un contenu sur mesure qui corresponde à leur goût. C’est tout un jeu de restructurer le roman avec une bonne marge de liberté .
Une preuve du potentiel et de la flexibilité du texte. Des passages entiers de description peuvent être résumés en un regard, en quelques secondes filmées de manière à passer le message au spectateur. Ceci nous laisse la marge de développer d’autres scènes. De plus, créer un scénario à partir d’un roman est pour moi une seconde chance de le réécrire. Des fois, après que j’apporte le manuscrit à l’éditeur, je me dis que j’aurais dû formuler certains événements de manière différente. Je me rattrape donc sur écran. S’ajoute à tous ces angles la question du budget qui détermine des fois certains choix.
Est-ce que vous prenez en considération la question du budget quand vous écrivez ?
Quand je travaille sur un roman, je laisse libre cours à mon imagination. Je mets par contre des limites pour le scénario. Un bon scénariste doit gérer les notions de base de l’industrie du cinéma, dont notamment la gestion des dépenses. Des scènes de bals dans un contexte historique par exemple coûtent extrêmement cher. Quand je pense à les insérer, je me pose la question si, en tant qu’investissement, elles sont vraiment obligatoires et rentables, surtout si on va travailler sur des costumes et des décorations pour une scène de 30 secondes. Dans ce cas, je préfère l’annuler. Autrement, on va peiner à trouver des producteurs qui acceptent de collaborer au film même si le texte est très bien écrit.
Contrairement à beaucoup d’écrivains célèbres dans le monde qui préfèrent se spécialiser dans un genre unique, vous écrivez des romans de styles différents. De la fantaisie au drame, en passant par les thrillers, le roman historique.. Pourquoi avez-vous choisi de naviguer entre les genres ?
Je ne suis pas d’accord avec cette catégorisation. De plus c’est ennuyeux de se consacrer à un même style durant toute une carrière. Je fais des suites à mes romans quand les personnages sont captivants comme pour «Hotel Bir El Watawit» ou encore «L’éléphant bleu». Mais je préfère toujours expérimenter quelque chose de nouveau, ce qui me procure un plus grand plaisir à l’écriture.
Quand vous entamez un nouveau roman, est-ce que vous avez déjà en tête le déroulement des événements jusqu’à la fin ou les idées viennent-elles au fur et à mesure que vous écrivez ? Et pourquoi les fins sont-elles presque toujours ouvertes aux livres comme au cinéma ?
Quand je commence à écrire, j’ai déjà imaginé tous les détails du livre. Je note les grandes lignes qui vont me guider, une sorte de GPS pour atteindre la fin que je connais d’avance. Je préfère clôturer mes textes de manière énigmatique, garder une part du mystère insolvable pour laisser une liberté de réflexion et d’imagination.
Vos romans s’arrachent aux librairies dès leur sortie. Vous faites partie des écrivains contemporains qui font de bons chiffres de ventes. Mais, d’une manière générale, pensez-vous que les statistiques reflètent la qualité des livres ?
Ce n’est qu’un critère, entre autres.
Le nombre d’exemplaires écoulés traduit l’appréciation et la fidélité des lecteurs. Je pense que le critère principal pour évaluer le succès d’un livre est la durabilité de cet engouement chez le public, que l’on se rappelle du livre des années après sa sortie et que la demande persiste chez les libraires. La durabilité compte beaucoup plus qu’un bon démarrage dans les ventes. Je donne aussi beaucoup d’importance à l’avis des critiques.
En tant que lecteur, qu’est-ce qu’un mauvais livre pour vous ?
Il y a des œuvres que l’on fait à la hâte, à compte d’auteur, juste pour le plaisir de mettre son nom sur une couverture. Mais un livre, aussi simple qu’il soit, peut inspirer un lecteur et lui ouvrir de nouveaux horizons. Il est alors difficile de juger un livre de mauvaise qualité. Il y a généralement des mois de travail derrière. Je respecte donc l’effort de l’écrivain. Si ça ne correspond pas à mon goût et à mes attentes, il peut convenir à un autre lecteur.
Et, quand vous regardez un film, dans quels cas jugez-vous le scénario mauvais ?
J’évalue le film d’abord sur le rythme qui peut être complètement fade, sans relief, sans suspense et sans accroche. Les personnages peuvent être stéréotypés, sans surprises. Je ne sens aucune sympathie, aucun engagement. Si les idées sont aussi vagues, passées de mode, le film ne donne certainement pas envie de le voir jusqu’au bout. Il y aussi les copies pâles des œuvres étrangères, à peine déguisées et qui ne sont pas dans le bon sens.
En bref, quand je fais une pause et que je ne sens pas l’envie de reprendre le film, je me dis que c’est un mauvais scénario.