Accueil Culture « Les tigres ne mangent pas les étoiles », de Cécile Oumhani : Les mémoires d’un exode

« Les tigres ne mangent pas les étoiles », de Cécile Oumhani : Les mémoires d’un exode

Meena, une Afghane résidant en Allemagne, ouvre son cœur à la narratrice et lui fait part du passé qui la hante. Un passé individuel, mais également collectif…

La Presse — L’écrivaine franco-britannique Cécile Oumhani a été invitée à l’Institut français de Sfax pour la présentation de son dernier roman paru aux éditions Elyzad « Les tigres ne mangent pas les étoiles ». Poétesse romancière et essayiste, elle se définit comme étant « une citoyenne du monde ». Ses récits sont nourris de voyages et de rencontres. Mariée à un Tunisien, elle a à son compte de nombreux livres imprégnés aux couleurs de notre pays, dont « Une odeur de Henné », « Tunisie-carnets d’incertitude » et « Tunisian Yankee ». Elle a reçu de nombreux prix littéraires, dont le Prix littéraire européen de l’ADELF (Association des écrivains de langue française) et le Prix européen francophone Virgile en 2014 pour l’ensemble de son œuvre.

À l’Institut français de Sfax, communément appelé Maison de France, le public était essentiellement composé d’enseignants universitaires et d’étudiants, tous âges confondus. « Les tigres ne mangent pas les étoiles » est le récit d’une rencontre fortuite de deux dames dans la cafétéria d’un hôtel au Bahreïn. Meena, une Afghane résidant en Allemagne, ouvre son cœur à la narratrice et lui fait part du passé qui la hante. Un passé individuel, mais également collectif.

Entre les confidences de Meena qui a décidé de retourner chez elle, au chevet de son père agonisant, en dépit du danger, et la narratrice qui a laissé son chez-soi pour toujours, le roman repose sur deux thèmes principaux : l’exode et l’exil. Le récit est dressé sur une toile de fond historique qui nous ramène en Inde aux années 20, à l’époque où le père de Meena était encore un « kabuliwala ». Il faisait partie des marchands ambulants qui font des voyages périlleux à travers la montagne, à dos de chameaux, et qui se guidaient avec les étoiles.

On lit alors une description imagée des paysages de villages indiens avec les champs, les rizières, les cascades et le tigre qui attaque les habitants. Pourtant, « les tigres ne mangent pas les étoiles. C’est impossible. Ils seront toujours là à veiller sur nous », dit un sage dans le roman. Et, le choix de l’Inde comme cadre spatial du récit n’est pas fortuit. La mère de Cécile Oumhani, elle-même, y a vécu jusqu’à l’âge de sept ans avant de partir étudier en Ecosse. 

De son pays natal, l’Afghanistan, Meena, la protagoniste du roman, garde le souvenir de scènes sanglantes qui la hantent : les manifestations, tout comme les rafles, se terminent dans un bain de sang, « des familles qui volent en éclats, des avions qui déchirent le ciel et sèment la mort ». Comme « l’univers était une interminable suite d’espaces dont personne ne soupçonnait l’étendue », la décision de fuir a été inéluctable.

Elle évoque alors les passeurs, les voyages à pied, le froid sibérien jusqu’à la terre d’exil, l’Allemagne. Or, c’était un « pays coupé en deux », à l’époque du Mur. Les gens y vivaient encerclés. Cet exil n’était qu’une continuité de la tragédie avec des humiliations à essuyer et « tellement de choses à apprendre, à accepter ». D’un malheur à un autre, il était dur de « trouver les mots pour combler l’absence et resserrer les liens sans cesse distendus par les séparations imposées »« Qu’est-ce qui subsiste de nous, de l’enfance après tant d’années ? », se demande-t-elle ? En effet, les drames et les incertitudes de la guerre poursuivaient Meena et son mari Ahmed, même s’ils n’entendaient plus ni cris ni détonations. « Fuir ne servait donc à rien ou si peu » avec toutes ces plaies béantes.

Ces maux qu’on hérite deviennent par la suite un legs qui transcende les générations. « Là où son début de racines avait été tranché net, une sorte d’ulcère s’était enkysté. Il était mort avec, et moi, je restais figée face à son passé, incapable de regarder devant moi, suspendue en plein vide », dit la narratrice vers la fin, en évoquant son père décédé en Inde. Face au récit de Meena qui lui a confié un fragment de son histoire et les souvenirs d’un univers qui continue d’exister très loin, elle questionne ses propres souvenirs. Difficile de ne pas s’émouvoir du sort de ces deux femmes tiraillées entre passé et présent, vouées à « l’exil, la solitude, la mémoire impossible à partager ».

Cécile Oumhani a fait le choix d’insérer des poèmes traduits de l’Afghan, dont des extraits de Ahmad Zahir et Soumaia Ramish, ainsi que des textes en bengali, en allemand, et même en arabe en citant Rumi et Badr Shakir al-Sayyab. Des vers ponctuent ainsi le début des chapitres de son roman. 

La présentation du roman « Les tigres ne mangent pas les étoiles » de Cécile Oumhani a été suivie d’un débat actif avec le public. Au fil des questions posées, les participants se sont montrés particulièrement intéressés par le récit de la guerre et la structure poétique du livre. L’écrivaine a partagé les coulisses de l’écriture du roman ainsi que les expériences personnelles et les témoignages qui ont nourri son œuvre. En fin de la rencontre, des membres du club littéraire « La pharmacie de l’écriture » ont récité des vers qu’ils ont écrits et traduits de l’arabe au français. Ce club qui œuvre au sein de la Maison des jeunes de Sfax, en partenariat avec la maison de France, organise régulièrement des ateliers d’écritures et des rencontres dans le but de cultiver le goût de la lecture et de stimuler la créativité des jeunes. Il vise ainsi à encourager l’expression personnelle et le développement de l’esprit critique.

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