
Une expérience sonore a exploré les thèmes de l’exil et de la séparation. Elle alterne les textures électriques et les rythmes puissants des trois musiciens avec des récitations de poèmes et des passages chantés.
La Presse — Le chanteur et parolier sicilien Cesare Basile a donné, le 12 juin, un premier spectacle en Tunisie où il a présenté son projet musical récent «Saracena».
C’est le centre d’art B7l9, situé à Bhar Lazreg qui a accueilli cet événement organisé en partenariat avec l’Institut culturel italien de Tunis. Le tarif d’entrée était à cinq dinars seulement. Ce concert est inclus dans la line-up du festival «Shluq-Musica in movimento» qui valorise le croisement musical entre la Sicile et la Tunisie.
Entre les cordes sensibles et la voix expressive de Basile, accompagné de Marco Giambrone à la guitare électrique et de Massimo Ferrarotto aux percussions, cette expérience sonore a exploré les thèmes de l’exil et de la séparation. Elle alterne les textures électriques et les rythmes puissants des trois musiciens avec des récitations de poèmes et des passages chantés.
Sur le grand écran, une image percutante s’est imposée : une petite fille au centre, entourée de symboles puissants de la lutte palestinienne dont un mur délabré, la keffieh, les clés du retour, l’olivier… Projeté en grand, ce message visuel de solidarité frappe les consciences en plein cœur et annonce au public l’univers de Cesare Basile. «Saracena» est en effet un long chant écrit et enregistré d’un seul souffle en deux semaines racontant des histoires d’arrachement et de départs. Étant le douzième album de Basile, il est en continuité avec ses anciennes créations. La vocation de cet artiste ne se limite donc pas à divertir, mais aussi à prendre parole face aux drames de la guerre.
D’ailleurs, il décrit «Saracena» comme «une chanson de pierres et de noms oubliés, de terre foulée par les armées des envahisseurs, de maisons abandonnées, de colère qui fait exploser le cœur et la chair».
Le spectacle a été entamé par la voix de Mahmoud Darwich, figure emblématique de la poésie de résistance palestinienne. «Ana arabi» (Je suis arabe) a été repris dans sa forme originale.
D’autres textes de Santo Calì, célèbre poète italien du 20e siècle, ainsi que des strophes populaires anciennes racontant l’abandon d’une île sarrasine ont servi de socle et d’inspiration pour construire ce projet musical, mêlant héritage et création contemporaine. D’ailleurs, les instruments joués par le percussionniste Massimo Ferrarotto illustrent ce pont entre le traditionnel et l’actuel en alliant des outils très anciens comme les clochettes aux sons électroniques.
Porté par la force du sirocco (shluq), ce spectacle musical fait résonner la rage et l’espoir d’un peuple en lutte, chantant la résistance à la guerre avec une intensité bouleversante. La voix rauque et puissante de Cesare Basile, avec les deux musiciens qui l’accompagnent en chœur, porte une colère brute qui secoue l’auditeur à chaque mot même sans comprendre parfaitement l’italien. En effet, la barrière de la langue s’efface quand les émotions qui traversent les mélodies et les textes prennent le relais. Chaque morceau interprété, en musique, en chant et en vers, était empreint de sincérité, de sensibilité sans filtre et d’énergie vibrante. L’ambiance devient douce et onirique vers la fin, comme une note d’espoir finale sur laquelle il a clôturé le spectacle.
Le public nombreux, entre tunisiens et étrangers, tous âges confondus, s’est laissé emporter par les notes universelles intenses et bouleversantes des musiciens. Le trio a été fortement applaudi pour la qualité de leur performance engagé, mêlant art et message et portant haut des voix qui refusent le silence face à l’injustice.
Nous avons rencontré Cesare Basile après le spectacle et nous lui avons posé la question sur le titre de son album «Saracena» qui désigne également une région italienne. Cependant, le sens voulu par l’artiste était «Sarrasins» en sicilien, nom qui désignait au Moyen âge les peuples musulmans des bords de la mer Méditerranée, composés principalement d’ Arabes et de Berbères. «J’ai imaginé un monde fictif où nous serions tous Arabes», nous a répondu Cesare.
«C’est un rappel de nos racines communes, de cet échange qui unit la Tunisie et la Sicile depuis des siècles».
Notons que le festival « Shluq- Musica in movimento » organisé par l’Institut culturel iItalien de Tunis, et qui tisse des « trajectoires sonores » entre les deux pays, se tient jusqu’au mois d’octobre prochain avec des rendez-vous répartis sur divers espaces culturels entre Tunis et Hammamet.
Le centre d’art B7l9 accueillera d’autres spectacles durant la saison estivale. Il abrite également deux expositions d’arts visuels, «Aïcha» de Yumna Al-Arashi et «The Birds Are Chirping Above the Tree », une exposition rétrospective dédiée à l’artiste germano-algérien Hamid Zénati.