Accueil A la une Concert de Tul8te au Festival international de Dougga : Le mystère ne fait pas le chanteur

Concert de Tul8te au Festival international de Dougga : Le mystère ne fait pas le chanteur

Ce n’est pourtant ni un rappeur révolté ni une rock star au style extravagant. Son répertoire est fait principalement de ballades romantiques, d’où la question : comment émouvoir le public avec un morceau de tissu qui s’interpose en barrière ?

La Presse — La deuxième soirée du Festival international de Dougga, le 29 juin, a été assurée par le chanteur égyptien Tul8te, à prononcer «too late». Il s’est fait remarquer depuis quelques mois par un tube qui fait fureur sur les réseaux. «Ma Tigui Aadi Aliki» avec son fameux refrain «Be yessalouni Aalik» cumule déjà des millions de vues sur YouTube.

Les quelques autres titres de ce chanteur bénéficient également d’une audience massive en ligne. Derrière ce succès viral, une figure mystérieuse qui fait toutes ses apparitions avec le visage couvert d’une cagoule, tout comme les musiciens qui l’accompagnent. En le voyant débarquer sur scène en courant, à Dougga, avec cinq musiciens tous de noir vêtus et un sixième en débardeur blanc, on aurait cru assister à une scène de braquage de banque ou à l’arrivée d’un gang venu semer le chaos.

Ce n’est pourtant ni un rappeur révolté ni une rock star au style extravagant. Son répertoire est fait principalement de ballades romantiques, d’où la question : comment émouvoir le public avec un morceau de tissu qui s’interpose en barrière ? Par ce déguisement, Tul8te cherche à cultiver le suspense et il a effectivement réussi à se démarquer. La preuve, le tonnerre d’applaudissements qu’il a généré auprès de ses jeunes admirateurs qui n’ont cessé de crier son nom. 

Un chanteur, c’est un tout. Une voix, une présence scénique, un charisme et un partage avec les spectateurs. Or, quel intérêt à voir une performance en live d’un artiste au visage voilé ? «L’art va au-delà de l’apparence physique», dixit Tul8te, comme publié dans l’annonce du spectacle sur la page du Festival international de Dougga. On ne peut qu’être d’accord sur ce point. Qu’en est-il alors du volet purement musical ?

Faut dire que l’idée de porter un masque en chantant n’est pas toute nouvelle. Aux débuts de sa carrière, Lady Gaga faisait sensation avec ses apparitions extravagantes, arborant masques et perruques. Sia, quant à elle, a longtemps dissimulé son visage. Mais toutes deux compensaient largement ce mystère visuel par une puissance vocale incontestable, doublée d’une énergie scénique irrésistible. Elles dégageaient un tel enthousiasme qu’il était impossible de rester indifférent. Les textes qu’elles chantent sont écrits avec le plus grand soin.

Pour Tul8te, rien qu’à entendre les chansons enregistrées en studio, on se rend déjà compte des compétences vocales réduites de l’interprète avec un ton unique sur toutes les notes. Son timbre de voix sur les ballades rappelle celui de son compatriote Amir Eid de  Cairokee. En live, à Dougga, c’était nettement mieux que sur les vidéos filmées.

Le style pop-rock a pris le dessus sur les mélodies romantiques. Les sons des trois basses, dont l’une jouée par le chanteur lui-même, ont électrisé l’ambiance avec une montée rythmique qui a fait vibrer le public nombreux jusqu’au dernier rang. Les paroles ne sont pourtant pas d’une vraie profondeur poétique. Elles sont composées par le chanteur lui-même, qui écrit comme on parle oralement, sans chercher une construction trop littéraire ni un travail approfondi sur les rimes.

L’émotion était bien plus manifeste chez les plus jeunes qui connaissaient par cœur certaines de ses chansons. Loin de livrer une performance fade, il n’a cessé de s’adresser aux spectateurs, derrière son masque, pour maintenir l’énergie du show. Pour gagner l’attention et l’enthousiasme du public, il a ponctué sa performance de formules chaleureuses et de plaisanteries.

Mots de gratitude, phrases flatteuses, termes lancés en dialecte tunisien… L’effort pour créer une connexion avec le public était constant et évident. Or, le concert n’a duré qu’une heure, provoquant une énorme déception tant chez les spectateurs que chez les responsables du festival qui pensaient qu’il ne s’agissait que d’une pause avant la reprise.

La plupart des fans présents ont fait des heures de route pour joindre le site archéologique de Dougga, avec le risque du trajet la nuit. Les billets incluant le transport sont marqués sold out bien qu’ils soient  proposés en ligne au prix élevé de 100 dinars. C’était pourtant attendu. Tul8te a un répertoire musical propre limité et ne fait pas de reprises.

Il partage d’habitude ses concerts avec d’autres chanteurs ou d’autres groupes. Il n’y a donc pas assez de matière pour meubler un show de longueur «normale» qui répond aux attentes de ses admirateurs. On ne sait alors s’il faut blâmer le festival ou les festivaliers. Les organisateurs ont-ils bien vérifié ce point sur le contrat ? Les spectateurs ne savaient-ils pas que le chanteur n’a pas assez de morceaux à leur offrir ?

Au final, on ne peut nier que le show de Tul8te a fait le bonheur de ses fans, malgré sa durée concise. «Demi-bonheur est le meilleur», comme dit le proverbe. 

Au final, en revoyant d’un côté les ingrédients qui font le succès du chanteur au visage masqué, puis de l’autre la pertinence du comité de sélection du festival, l’effort déployé par tout ce monde qui s’est déplacé pour assister au show ainsi que les millions de vues sur YouTube, une question se pose.

Comment a-t-il échappé à tous ces cribles pour s’imposer sur la scène musicale arabe ? Combien de temps ce phénomène artistique peut-il durer ? Se souviendra-t-on encore de ses titres dans 20 ans, même 30 ans, comme on connaît toujours par cœur les chansons de ses compatriotes Amr Diab, Ihab Tawfik et les autres. Encore une information utile. Tul8te a promis de revenir bientôt en Tunisie, mais pas à Dougga cette fois, pour un  concert de plus grande dimension.

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