
En conjuguant santé, développement durable et tourisme de qualité, la Tunisie pourrait faire de la thalassothérapie bien plus qu’un produit de niche. Portée par ses atouts naturels, sa tradition de soins marins et des flux touristiques en hausse, notre pays est aujourd’hui la deuxième destination mondiale de thalassothérapie.
Un positionnement que les autorités souhaitent consolider à travers des réformes juridiques, des investissements ciblés et une montée en gamme de l’offre.
La Presse — Entre mer et sources chaudes, la Tunisie réunit tous les atouts naturels pour faire de la thalassothérapie une spécialité nationale. Depuis plusieurs décennies, elle figure parmi les destinations les plus prisées en la matière. Ce secteur, qui s’est structuré à partir des années 1990, compte aujourd’hui plus de 60 centres de thalasso et près de 400 spas, dont 84 % sont intégrés à des établissements hôteliers.
Selon les dernières données disponibles, plus d’un million de curistes, en majorité européens, ont été accueillis en 2024, dans ces structures, générant un chiffre d’affaires estimé à 200 millions de dinars. Véritable atout pour le tourisme tunisien, la thalassothérapie contribue activement à la relance du secteur, qui a retrouvé l’an dernier ses niveaux d’avant 2010, avec plus de 10 millions de visiteurs enregistrés.
Des mesures récentes pour changer d’échelle
Consciente du potentiel de la filière, l’administration tunisienne a amorcé en 2024 une série de réformes majeures pour consolider le secteur de la thalassothérapie. Parmi les mesures engagées figure la révision du cadre juridique relatif à l’occupation du domaine public maritime. Cette réforme vise à lever les freins administratifs qui entravent l’installation d’équipements hôteliers ou médicaux sur le littoral, un enjeu clé pour le développement des centres de soins marins.
Parallèlement, un vaste plan de modernisation de vingt-cinq stations thermales a été lancé, mobilisant un investissement global de 680 millions de dinars. Des sites emblématiques tels que Hammam Bourguiba, El Hamma ou Beni M’tir font actuellement l’objet de travaux de réhabilitation ou d’extension. À terme, ce chantier devrait permettre la création de plus de deux mille emplois directs, contribuant à la dynamisation des régions concernées.
Sur le plan de la qualité, les autorités tunisiennes introduisent progressivement une certification volontaire conforme à la norme ISO 17.680, dédiée spécifiquement à la thalassothérapie. Ce processus, mené en partenariat avec l’Innorpi, vise à harmoniser les standards de prise en charge, à garantir la conformité des pratiques et à renforcer la confiance des curistes, notamment internationaux.
Enfin, la stratégie de promotion à l’international a été renforcée. En janvier 2025, la Tunisie a marqué sa présence au Salon Thermalies à Paris, grâce à un pavillon piloté par l’Office national du thermalisme et de l’hydrothérapie (Onth). Cet événement a permis de mettre en lumière l’offre tunisienne auprès d’un public ciblé, principalement composé de professionnels du secteur et de visiteurs français, qui représentent encore la majorité des clients de la thalasso tunisienne.
L’initiative visait à consolider le positionnement de la Tunisie sur le marché français, qui représente environ 40 % des curistes et a bénéficié d’un bel engouement de la part des visiteurs professionnels, des visiteurs français et des médias, contribuant ainsi à la valorisation de l’offre tunisienne.
Objectif : devenir leader mondial
A la tête de l’Office national du thermalisme et de l’hydrothérapie (Onth), Shahnez Guizani ne cache pas ses ambitions et a déclaré depuis mars dernier que « La Tunisie a tous les atouts pour devenir la première destination mondiale de thalassothérapie ». Outre la richesse du littoral et l’expérience accumulée, Guizani mise sur de nouveaux projets écologiques, comme les stations de Beni M’tir et du lac Ichkeul, pour positionner la Tunisie sur le segment du bien-être durable.
Elle défend une vision intégrée du secteur, où la thalasso n’est plus une simple extension du tourisme balnéaire, mais un vecteur de santé publique, de développement régional et d’innovation médicale.
Malgré ces avancées, plusieurs lacunes entravent encore la montée en puissance du secteur. D’abord, la communication internationale reste insuffisante. La Tunisie, bien que compétitive sur les plans tarifaire et naturel, pâtit d’un manque de visibilité face à des concurrents plus actifs comme la Turquie ou le Maroc. Ensuite, les infrastructures de transport restent inadaptées aux flux croissants de curistes, ce qui nuit à l’attractivité de certains centres éloignés.
Autre point faible : l’absence d’un cadre de remboursement des cures par les assurances sociales, tunisiennes ou étrangères. Alors que plusieurs pays européens intègrent les soins thalasso dans les dispositifs de santé préventive.
Un virage à réussir
Bien que ces carences existent, rien n’est irréversible et les experts du secteur montrent les pistes pour répondre à ces défis. Ils proposent de mettre en œuvre un label national obligatoire, garantissant la qualité médicale, logistique et hôtelière des soins. Aussi, il est essentiel, selon eux, de renforcer les connexions entre le secteur médical et le secteur touristique, à travers des formations mixtes, des programmes de soins intégrés et un meilleur encadrement par le ministère de la Santé.
Développer une stratégie marketing ciblée, notamment en Europe, fondée sur la différenciation (prix, climat, histoire, durabilité) est également nécessaire en plus de l’assouplissement des conditions d’accès au financement pour les investisseurs souhaitant s’implanter dans les régions intérieures riches en sources thermales.
La thalassothérapie tunisienne est aujourd’hui à un tournant stratégique. A travers des réformes solides, elle peut prétendre à un leadership mondial, à condition d’accélérer la modernisation de son cadre réglementaire, d’assurer une visibilité à la hauteur de ses atouts et de structurer une filière à haute valeur ajoutée.
Reste à savoir si la Tunisie saura transformer ses ambitions en politiques concrètes, et imposer sa marque dans un secteur où la concurrence ne faiblit pas.