Accueil A la une Trois questions à Mme Afef Ben Ghenia, présidente de l’Association des Ambassadeurs de la Sécurité Routière : «L’introduction de caméras de surveillance permettra de détecter des infractions cruciales»

Trois questions à Mme Afef Ben Ghenia, présidente de l’Association des Ambassadeurs de la Sécurité Routière : «L’introduction de caméras de surveillance permettra de détecter des infractions cruciales»

Le ministère de l’Intérieur s’est prononcé récemment pour un durcissement du Code de la route et des sanctions beaucoup plus sévères, qui attend l’approbation et l’amendement de l’article 100 du Code de la route.

Son entrée en vigueur devrait intervenir après la reprise des activités du Parlement en octobre 2025. Ce nouveau cadre légal s’inscrit dans une stratégie plus large de lutte contre l’insécurité routière en Tunisie, où les accidents de la route restent l’une des principales causes de mortalité.

Pour éclairer la lanterne de l’opinion publique, Mme Afef Ben Ghenia nous a accordé cet entretien…

Quelles sont les mesures spécifiques, au-delà de l’augmentation des amendes et des sanctions renforcées, que le gouvernement tunisien envisage ou a déjà mises en œuvre pour accompagner ce durcissement du Code de la route et assurer une application plus efficace sur le terrain ?

Le durcissement du Code de la route est une réponse nécessaire à une réalité douloureuse. Celle des accidents de la route qui continuent de faucher des vies chaque jour en Tunisie. Mais pour qu’une telle réforme soit efficace, elle doit s’inscrire dans une démarche globale et inclusive, bien au-delà du simple renforcement des sanctions.

Sur le terrain, plusieurs axes d’accompagnement sont en cours. A savoir, la modernisation des outils de contrôle, notamment grâce à l’amendement de l’article 100 du Code de la route, qui marque une avancée majeure pour la sécurité routière en Tunisie. 

L’introduction de caméras de surveillance et de radars intelligents permettra de détecter automatiquement des infractions cruciales telles que le non-port de la ceinture de sécurité, l’usage du téléphone portable au volant, ou encore le non-respect des feux de circulation. 

Cette technologie apporte plusieurs bénéfices essentiels. Elle rend le contrôle plus systématique et constant, en évitant les zones d’ombre où les infractions échappaient jusqu’ici au regard des agents. Elle garantit une application plus transparente et équitable de la loi, car les infractions sont constatées objectivement, sans risque d’arbitraire ou d’erreur humaine.

Elle contribue à une dissuasion accrue, car les conducteurs savent désormais que leurs comportements sont surveillés en permanence. En somme, cette modernisation est un levier puissant pour renforcer la confiance des citoyens dans le système et améliorer durablement la sécurité sur nos routes.

L’excès de vitesse est l’une des principales causes d’accidents graves et mortels en Tunisie, contribuant chaque année à un nombre important de blessures et de pertes en vies humaines. Face à cette réalité alarmante, le législateur a décidé d’agir avec fermeté en adaptant le cadre légal.

C’est dans ce contexte que la réforme prévoit des sanctions beaucoup plus sévères, notamment un retrait automatique du permis de conduire proportionnel au dépassement de la vitesse autorisée. Cette mesure signifie que plus le dépassement est important, plus la sanction sera lourde et immédiate, renforçant ainsi la dissuasion auprès des conducteurs.

La révision du décret 146 prévoit d’autoriser l’utilisation de l’éthylomètre, en remplacement de la prise de sang systématique, pour faciliter le dépistage de l’alcoolémie au volant. Cette mesure pragmatique vise à rendre les contrôles plus rapides, plus efficaces et plus fréquents, tout en garantissant la fiabilité des résultats.

Elle contribue ainsi à renforcer la prévention et la répression des comportements dangereux liés à l’alcool, qui restent une cause majeure d’accidents graves en Tunisie. Il y a également une volonté de renforcer les capacités des forces de l’ordre, en leur fournissant des outils modernes, mais aussi en améliorant leur formation pour garantir des pratiques professionnelles, justes et respectueuses des citoyens.

Comment comptez-vous évaluer l’impact réel de ce durcissement sur la réduction des accidents et des comportements dangereux, et quels indicateurs clés utiliseriez-vous pour mesurer son succès ou identifier les éventuelles lacunes ?

La réforme du Code de la route représente une avancée, mais son efficacité doit être mesurée de manière rigoureuse, transparente et continue. Évaluer l’impact réel, ce n’est pas seulement compter le nombre d’amendes ou de retraits de permis, c’est comprendre si les routes deviennent réellement plus sûres pour tous. 

Que ce soit pour les conducteurs, piétons, enfants, ou les usagers vulnérables. Il ne suffit pas d’avoir des textes stricts, il faut que cela se traduise par moins de morts, moins de blessés, et des comportements plus sûrs. 

Dans ce cadre, plusieurs indicateurs clés seront essentiels. L’évolution du nombre d’accidents, de blessés graves et de décès constitue le principal indicateur d’impact. 

Ces données doivent être analysées de manière fine : par région, par type d’usager (piéton, deux-roues, conducteur), par tranche d’âge, etc., pour orienter les actions ciblées. Nous suivrons également l’évolution des comportements à risque (excès de vitesse, franchissement de feu rouge, conduite en état d’ivresse), grâce aux technologies de contrôle automatisé, mais aussi aux enquêtes comportementales sur le terrain, qui permettent de mesurer les changements dans les habitudes des usagers.

Un autre aspect fondamental est l’acceptabilité et la perception de la réforme par les citoyens. Une réforme ne réussit que si elle est comprise, acceptée, et vécue comme juste. Les enquêtes de perception et les retours de terrain dans lesquels les associations jouent un rôle essentiel permettent de suivre cette dimension. 

Au-delà de l’aspect répressif, quelles initiatives de prévention et d’éducation routière seront renforcées ou mises en place parallèlement pour favoriser un changement durable des mentalités et des comportements chez les usagers de la route tunisiens, notamment les jeunes conducteurs, pris pour cible ?

Nous sommes convaincus que la répression seule ne suffit pas. Pour bâtir une société de mobilité plus sûre, il faut agir en amont : éduquer, sensibiliser, et engager dès le plus jeune âge. C’est là que se joue le véritable changement, celui des mentalités et des comportements durables. 

À l’ASR, nous portons cette vision depuis des années, et nos actions concrètes traduisent notre engagement profond pour l’éducation à la sécurité routière. 

L’une de nos initiatives majeures est le développement d’un guide pédagogique de sécurité routière, spécialement conçu pour les enfants du cycle primaire. Ce guide, élaboré en étroite collaboration avec des enseignants et des experts en sécurité routière, a été partagé avec le ministère de l’Éducation.

À travers cette initiative, nous avons lancé un appel au ministère pour souligner l’urgence et la nécessité d’intégrer la sécurité routière dans le curriculum scolaire, afin d’ancrer dès l’enfance les bons réflexes et principes de conduite citoyenne, et ainsi préserver des vies à long terme.

Nous espérons une réactivité rapide de leur part, car chaque jour sans action représente une occasion manquée et, potentiellement, une vie perdue. Cette approche préventive est complétée par notre programme ASR Young Leaders, un réseau de jeunes engagés, formés et accompagnés pour devenir des porte-voix actifs de la sécurité routière auprès de leurs pairs et des institutions.

Leur mission : parler le même langage que les autres jeunes, défendre leurs droits à une mobilité sûre, et plaider pour des solutions concrètes et adaptées à leurs réalités. Les ASR Young Leaders jouent un rôle central dans notre stratégie de sensibilisation, notamment auprès des jeunes conducteurs.

Ils sont de véritables cocréateurs de contenus et d’initiatives, avec une vision jeune, engagée, et profondément connectée aux réalités de leur génération et aux nouveaux moyens de communication : réseaux sociaux, podcasts, micro-influenceurs, storytelling, etc. Grâce à eux, les messages de sensibilisation ne sont pas seulement diffusés, ils sont ressentis, compris et appropriés. 

C’est ce qui fait toute la différence : quand la prévention parle le langage des jeunes, par des jeunes, elle a bien plus d’impact. Nous croyons en une éducation continue, participative et positive. Que ce soit à l’école, dans la rue ou sur les réseaux sociaux, chaque espace est une opportunité pour créer une culture de sécurité. Car nous croyons que la peur de la sanction ne suffit pas. 

Ce qui fait changer les comportements durablement, c’est la conscience du risque, le respect de la vie des autres, et le sentiment d’être acteur d’un changement positif. C’est ce que nous portons chaque jour à l’ASR, et c’est pourquoi nous sommes pleinement engagés pour que cette réforme ne soit pas seulement une réforme du Code, mais une réforme des mentalités.

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