Accueil A la une Mohamed Amine Hamouda, Asma Ben Aïssa et Yann Lacroix exposent à la Galerie Selma Feriani : Trois faires, trois sensibilités

Mohamed Amine Hamouda, Asma Ben Aïssa et Yann Lacroix exposent à la Galerie Selma Feriani : Trois faires, trois sensibilités

«Fakarouni» est une histoire de rencontres: entre artisanat et expérimentation plastique, et celle de l’artiste avec des artisanes tunisiennes — les Maâlma, détentrices d’un savoir ancestral souvent relégué à l’invisible.

Au fil de ces échanges, les mains s’activaient, les fils se nouaient et les souvenirs refaisaient surface, portés parfois par la voix d’Oum Kalthoum, en arrière-plan.

La Presse — Cet été, la galerie Selma Feriani consacre trois artistes et trois faires:  les installations et autres œuvres en fibres de végétaux et fils teints du Tunisien Mohamed Amine Hamouda qui est désormais représenté officiellement par la galerie, le Français Yann Lacroix qui présente, jusqu’au 23 août, une série de peintures intitulée: «Nous trouverons un chemin, ou nous en créerons un» et la Tunisienne Asma Ben Aïssa avec son projet «Fakarouni» (jusqu’au 30 août) .

Mohamed Amine Hamouda, artiste visuel et enseignant-chercheur, est né en 1981 à Gabès où il vit et travaille. Il a développé au fil des années un corpus de travaux étroitement liés à l’oasis de la ville, réfléchissant à l’état actuel de dégradation de cet écosystème, qu’il explore à travers des matériaux naturels et des procédés artisanaux.

Mohamed Amine Ben Hammouda entouré de ses œuvres

Fabriquant lui-même ses encres, papiers et supports à partir de matières végétales locales — henné, palmes, olives, corète—, il développe une démarche écologique et militante, centrée sur la mémoire, la biodiversité et les savoirs vernaculaires. Ses installations, sculptures et œuvres tissées interrogent la relation entre nature et industrie, matière et disparition. 

A travers un langage sensoriel et poétique, il tisse un lien vivant entre le geste artistique et le territoire, entre la tradition et les urgences écologiques contemporaines. Il explore la richesse esthétique des matériaux puisés dans son environnement immédiat, façonnant une grammaire plastique née de la fibre même de sa terre.

Le papier fait main, les compositions de fibres pigmentées ou encore les tapisseries qu’il réalise tirent leur matière et leur souffle des oasis de Gabès. En tant qu’artiste et scénographe, il interroge les ressources botaniques, marines et naturelles locales pour en extraire une mémoire vivante et sensible, documentant les menaces qui pèsent sur la biodiversité et les écosystèmes, fragilisés par l’impact de l’industrie.

Son travail ne se limite pas à une dénonciation : il ouvre des pistes, imagine des alternatives, propose des réponses aux défis sociaux, environnementaux et économiques. En dialogue constant avec sa communauté, Ben Hamouda remet en cause les récits dominants hérités du colonialisme et des politiques post-indépendance, ainsi que les systèmes établis. Son art devient alors un espace de résistance et de réinvention.

Son travail a été présenté dans plusieurs expositions personnelles et collectives en Tunisie et à l’international (Maroc, Allemagne, Grèce, Turquie, Koweït). Il enseigne à l’Institut supérieur des arts et métiers de Gabès et poursuit une recherche doctorale en art à l’Université de Lorraine.

Dans son nouveau projet «Fakarouni», Asma Ben Aïssa célèbre l’intimité du geste et la charge affective profondément enracinée dans des savoir-faire artisanaux, où chaque point devient un acte de mémoire et de résistance. Elle s’inspire des ballades iconiques de la diva arabe Oum Kalthoum pour tisser mémoire, chant et transmission d’un héritage.

Par la broderie et le fil, elle donne une forme tangible aux récits oraux, aux savoirs intergénérationnels et aux émotions collectives. «Fakarouni» est une histoire de rencontres: entre artisanat et expérimentation plastique et celle de l’artiste avec des artisanes tunisiennes — les Maâlma, détentrices d’un savoir ancestral souvent relégué à l’invisible. Au fil de ces échanges, les mains s’activaient, les fils se nouaient et les souvenirs refaisaient surface, portés parfois par la voix d’Oum Kalthoum, en arrière-plan, chantant «Fakarouni».

«Cette chanson m’accompagne depuis les années 70 », confie l’une des artisanes. De ces mots partagés, de ces silences habités, l’artiste donne lieu à une œuvre à la fois intime et suspendue, où la mémoire s’inscrit dans le fil et le geste devient récit. 

Asma Ben Aïssa maniant le fil pour son projet «Fakarouni»

Artiste émergente mais déjà confirmée, Asma est née en 1992 à Bizerte. elle vit et travaille à Tunis où elle a exposé à différentes occasions  : en groupe, entre autres, à la galerie de la Bibliothèque nationale de Tunis, à Yosr Ben Ammar Gallery à Gammarth, à Elbirou à Sousse, à la galerie «Violon Bleu» à Sidi Bou Saïd, mais aussi en solo. Elle a pris part à des résidences à Marrakech, Londres et Riyad. 

Sa pratique artistique s’articule autour du paysage non seulement en tant que sujet visuel ou géographique, mais comme construction esthétique et émotionnelle. Son travail interroge les notions d’habitat, de transmission, ainsi que l’architecture des espaces intérieurs et extérieurs.

Elle s’intéresse aux transformations sociales et au patrimoine local, à la croisée des environnements bâtis et de l’expérience vécue. Les images des mains tricoteuses de sa maman qui l’ont accompagnée comme une photographie familière et affective sont derrière son intérêt pour le fil et le travail artisanal. Le Français Yann Lacroix, qui présente «Nous trouverons un chemin, ou nous en créerons un», est né en 1986 à Clermont Ferrand. 

Formé à l’Esacm (Clermont-Ferrand) et à Porto, il a exposé dans de nombreuses institutions internationales— de Lyon à Bangkok, en passant par Madrid et Genève. C’est à Paris, où il vit et travaille, qu’il donne corps à des paysages où se déploie une iconographie utopique et fantasmée, fruit de ses souvenirs de voyages et mémoire potentielle des endroits qu’il a visités. Dans le travail qu’il expose à Selma Feriani, on est confronté «d’abord à une apparition légère et vertigineuse.

Puis, ils nous mènent à son point d’équilibre, irradiant une germination d’images que l’artiste sous-couche. Et malgré tout, les pentimenti sont révélés, fleurissant contre toute attente. La transience des saisons est décortiquée autant qu’elle est décrite, couche après couche — qu’elle soit vivace ou prématurée.

Il y a l’émergence progressive d’un phénomène inattendu, d’un ensemble de paysages scintillants», note Racha Khemiri dans un texte présentateur de l’exposition. Le titre de l’exposition est une citation du guerrier et poète Hannibal Barca : «Nous trouvons un chemin, ou nous en créons un», qui résonne avec la pratique de Yann Lacroix, sa quête permanente de sens à travers des explorations plastiques hasardeuses et incertaines.

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