Accueil Culture Ziad Rahbani : Hier un hymne à la dignité, aujourd’hui une nécessité…

Ziad Rahbani : Hier un hymne à la dignité, aujourd’hui une nécessité…

A l’heure où le monde arabe traverse une période d’incertitude, d’uniformisation culturelle et de dépolitisation générale, Ziad Rahbani est plus que jamais nécessaire. Non pas comme une relique d’un passé glorieux, mais comme un antidote vivant à l’oubli et à la superficialité.

La Presse — Un homme-fleuve vient de quitter ce bas monde. Toutefois, il demeure une figure intransigeante, dérangeante et indispensable dans un monde culturel de plus en plus dominé par le vide, le clinquant et le conformisme. A la croisée de la musique, du théâtre et de l’engagement politique, Ziad Rahbani incarne une forme rare de résistance intellectuelle et artistique face à la médiocrité ambiante.

Enraciné dans le Liban déchiré de l’après-guerre mais tourné vers l’universel, Ziad Rahbani demeure bien plus qu’un artiste : il est une conscience lucide, parfois douloureuse, qui refuse les compromis faciles.

Héritier et électron libre

Fils de la grande Fairouz et du compositeur légendaire Assi Rahbani, Ziad aurait pu choisir la voie du confort artistique et s’installer dans l’ombre lumineuse d’un héritage prestigieux. Mais il a préféré bousculer les codes. Très tôt, il délaisse les chemins tracés par ses parents pour s’engager dans une œuvre personnelle, mordante, profondément ancrée dans les réalités sociales du Liban.

A 17 ans, il compose la pièce Sahriyé (1973), satire douce-amère de la bourgeoisie libanaise, annonçant un style qui ne cessera de se raffiner et de s’aiguiser : humour noir, dialogues tranchants, musique fusionnelle entre Orient et jazz et,  surtout, une critique sociale acide. Ses œuvres théâtrales (Film Ameriki Tawil, Bennesbeh Labokra… Shou?) deviennent des classiques instantanés.

Théâtre de la lucidité

L’art de Ziad Rahbani est un miroir tendu à une société malade. Dans ses pièces, les personnages errent dans un monde absurde, noyés dans les contradictions de la guerre, de la religion, de la politique et du désespoir du quotidien. Il met en scène l’hypocrisie des élites, la corruption rampante, les dérives sectaires, mais aussi les angoisses des petites gens.

Contrairement à une culture dominante qui invite à l’oubli, Ziad s’acharne à se souvenir et faire souvenir. Il transforme la tragédie collective en une chronique lucide, parfois désespérée, mais toujours vivante. Son théâtre est celui de la conscience éveillée, de l’humour comme dernier rempart contre la folie.

La musique comme langue de l’âme

Compositeur de talent, pianiste inspiré, Ziad Rahbani est aussi un alchimiste du son. Il fusionne la tradition musicale arabe avec le jazz, le funk, le blues. Ses chansons, souvent interprétées par Fairouz ou lui-même, parlent d’amour, de solitude, d’exil intérieur, mais aussi de politique, de guerre et d’humanité.

Sa voix rauque, désabusée, presque cassée, est devenue familière à ceux qui refusent les discours formatés. Ziad ne chante pas pour plaire, il chante pour dire. Pour déranger. Pour provoquer une réflexion.

Une voix libre, donc isolée

Refusant de se laisser enrôler par les courants dominants, Ziad Rahbani a souvent été incompris, caricaturé, même censuré. Il a soutenu des causes controversées, dénoncé les hypocrisies de tous bords. Il s’est éloigné des projecteurs tout en continuant, discrètement, à créer, à composer, à penser.

Dans une époque où la réussite se mesure à la viralité et aux algorithmes, il incarne la fidélité à une exigence intérieure. Ziad n’est pas un produit culturel : il est une expérience artistique et humaine, une mémoire vivante, un refus constant de se soumettre à la facilité.

À l’heure où le monde arabe traverse une période d’incertitude, d’uniformisation culturelle et de dépolitisation générale, Ziad Rahbani est plus que jamais nécessaire. Non pas comme une relique d’un passé glorieux, mais comme un antidote vivant à l’oubli et à la superficialité.

Il nous rappelle, avec une ironie tendre et une colère froide, qu’il est possible — et même vital — de penser autrement, d’aimer sincèrement, de créer sans se trahir, de vivre sans renier.

Ziad Rahbani est, in fine, un refus. Un rire amer. Une blessure lucide. Un hymne à la dignité.

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