
Véritable cœur battant de l’économie mondiale, la Chine s’impose aujourd’hui comme un partenaire économique incontournable. Attirée par le savoir-faire chinois et par le coût compétitif des investissements proposés pour ses projets de développement, la Tunisie peut miser sur l’Empire du Milieu pour moderniser ses infrastructures et diversifier ses partenariats économiques.
La Presse — Au Sud, autrefois qualifié de « tiers monde », le modèle de développement à la chinoise séduit. Durant des décennies entières, « le miracle chinois » a fasciné les pays en voie de développement. La transformation fulgurante des villes comme Shenzhen, Chongqing, Shanghai ou Canton fait toujours couler beaucoup d’encre, suscitant admiration et inspirant espoir.
Car l’ancien empire du milieu a démontré qu’il est possible de rattraper le train du développement. En seulement vingt ans, la valeur ajoutée produite par l’économie chinoise a décuplé pour atteindre 14.300 milliards de dollars en 2021. Incontestablement, la Chine est devenue une puissance économique mondiale dont le commerce extérieur constitue l’un de ses principaux leviers de Soft Power.
De fil en aiguille, la Chine, véritable cœur battant de l’économie mondiale, a tissé de robustes liens économiques avec le reste du monde et tout particulièrement l’Afrique. En effet, depuis quelques années, ce gigantesque pays asiatique est en train d’accélérer ses investissements sur le continent noir tout en maintenant le principe de la solidarité avec les pays du Sud comme fondement de sa politique extérieure.
Au cours des six premiers mois de l’année 2025, le total des investissements chinois, lancés dans le cadre des « Nouvelles routes de la Soie », a atteint un niveau record de 124 milliards de dollars, destinés principalement pour le financement de projets d’infrastructures.
Selon l’expert Maher Gaida, cette présence renforcée sur le continent africain n’est pas fortuite, l’Afrique étant un marché prometteur de 2 milliards d’habitants avec une population dont la majorité (70%) est de moins de 30 ans. Un argument de plus ayant poussé la Chine à intégrer l’Afrique dans sa vision de codéveloppement.
« La modernisation est l’aspiration commune que poursuivent les plus de 2,8 milliards de Chinois et d’Africains et aussi une dimension importante de la communauté d’avenir partagé Chine-Afrique de tout temps à l’ère nouvelle. Quelle que soit l’évolution de la situation internationale, la Chine se tiendra résolument aux côtés de l’Afrique pour la soutenir dans sa modernisation et restera pour elle un ami sincère de développement partagé et un frère à toute épreuve », a déclaré, récemment, le ministre des Affaires étrangères chinois, ang Yi, ors de la cérémonie d’ouverture e la 4e exposition économique et commerciale Chine-Afrique qui a été tenue, au mois de juin à Pékin.
Vers le renforcement des liens économiques entre la Tunisie et la Chine
C’est dans ce contexte particulier que la Tunisie et la Chine s’emploient à renforcer leurs relations bilatérales. En mai 2024, à l’issue de la visite officielle que le président de la République Kais Saied a effectuée à Pékin où il a été reçu en grande pompe, à la Place Tiananmen, par son homologue chinois Xi Jinping, les deux pays ont annoncé d’élever leurs relations au rang de « partenariat stratégique », exprimant leur volonté de donner un nouvel élan à leur coopération.
Lors de cette rencontre historique, le chef de l’Etat a exprimé « la volonté de la Tunisie d’écrire une nouvelle page d’Histoire, notamment en développant des partenariats efficaces avec la partie chinoise, en vue de mettre en œuvre un certain nombre de projets de développement prioritaires pour le pays, notamment dans les secteurs de la santé, des infrastructures, de l’économie verte, des transports, de la transformation énergétique, de la construction des équipements sportifs et du transfert du savoir-faire technologique moderne ».
Le message a été clairement perçu comme un signal fort par les investisseurs chinois qui, multiplient, depuis, leurs marques d’intérêt pour la Tunisie. Tout récemment, une délégation d’hommes d’affaires et investisseurs chinois, actifs notamment dans les secteurs des énergies alternatives, des mines, des industries pharmaceutiques et chimiques, des infrastructures et de l’eau, a été reçue par le ministre tunisien de l’Economie, Samir Abdelhafidh, à la résidence de l’ambassadeur de Tunisie à Pékin en marge de sa participation à la réunion annuelle de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB).
Ces hommes d’affaires ont fait part de leur volonté d’élargir leurs activités en Tunisie et de mieux connaître les opportunités d’investissement qu’elle offre. En s’entretenant également avec Jin Liqun, président de l’AIIB, le ministre tunisien a évoqué les perspectives de renforcement de la coopération financière entre la banque et la Tunisie, ainsi que les moyens de mobiliser les mécanismes disponibles pour financer des projets de développement en Tunisie.
« La Tunisie et la Chine ont des intérêts stratégiques à partager, notamment en matière d’énergies renouvelables. Les plans solaires de la Tunisie les intéressent au plus haut niveau, d’autant que la Tunisie va exporter une partie de son énergie solaire vers l’Europe. Les Chinois lorgnent, également, le secteur des travaux d’infrastructures lourdes, tels que les aéroports, les ports en eau profonde, etc. et ils ont déjà remporté des marchés très stratégiques en Tunisie, comme le pont de Bizerte.
Ils sont rentrés dans la compétition, grâce à leur talent, leur efficacité, mais surtout aux coûts qu’ils proposent et qui sont beaucoup plus bas que ceux offerts par les Occidentaux ainsi qu’à l’absence de conditions exigées », a expliqué Gaida. Il a ajouté, en ce sens, que la Chine pourrait occuper des positions stratégiques en Tunisie grâce à des partenariats dans les infrastructures lourdes, notamment les aéroports, les ports et les systèmes de télécommunication.
Selon l’expert, ce partenariat pourrait également s’élargir au volet financier, permettant ainsi à la Tunisie de réduire sa dépendance au système Swift et aux diktats du FMI, tout en diversifiant ses sources de financement. La possibilité d’exporter en yuan et d’intégrer le système des Brics offrirait, selon lui, à la Tunisie un commerce plus équitable.
Il a toutefois souligné que si la Tunisie, dans une stratégie de diversification des marchés et des ressources, commence peu à peu à se tourner vers cette région du monde, la tâche restera difficile, compte tenu de la structure actuelle de son économie. Pour y parvenir, il insiste sur l’importance de mieux orienter les jeunes ingénieurs tunisiens vers la compréhension de la culture chinoise, et plus largement de la culture asiatique, en apprenant les langues, en échangeant et en commerçant avec ces pays, mais hors d’une logique d’importation stérile.
Dans ce contexte, il plaide pour un changement de paradigme : privilégier des importations en provenance de la Chine qui créent et non celles qui détruisent la valeur ajoutée en Tunisie.
Des investisseurs qui lorgnent le site Tunisie
Attirés par le positionnement stratégique et les atouts compétitifs du pays, de nombreux investisseurs chinois ont déjà commencé à prospecter les secteurs porteurs et les opportunités de partenariat. Certains sont même passés à l’action, à l’instar de la société Jetty Technologies, spécialisée dans le câblage automobile et la connexion intelligente, qui vient d’inaugurer à Borj Cédria son premier site de production international. Cette usine fournira des constructeurs de renom, tels que Volvo, Chery, BMW, Audi et BYD.
Pour Wang Chao, PDG de Jetty Technologies, cet investissement « marque un nouveau chapitre du développement international de l’entreprise, rendu possible grâce à la collaboration entre Jetty, ses partenaires internationaux et les efforts tunisiens locaux ».
Et d’ajouter : « En tant que visionnaires passionnés par la fabrication, nous allons non seulement poursuivre notre mission d’entreprise, mais aussi insuffler un nouvel élan à l’industrie automobile tunisienne et renforcer la coopération économique et commerciale entre la Chine et la Tunisie ». D’autres géants chinois, comme Huawei, lui emboîtant le pas, envisagent sérieusement d’investir en Tunisie, notamment dans le secteur des énergies renouvelables.
Selon Gaida, cet élan pourrait être amplifié si la Tunisie parvenait à s’intégrer à la Route de la soie, aujourd’hui axée sur Djibouti et l’Éthiopie. Il explique que les Chinois sont conscients que la Tunisie constitue à la fois une porte d’entrée vers l’Afrique et un verrou stratégique de la Méditerranée.
« La Tunisie sépare la Méditerranée entre le bassin oriental et le bassin occidental. Elle se situe au cœur d’un détroit stratégique, appelé aujourd’hui détroit de Sicile, mais autrefois connu comme détroit de Carthage. Par ce passage transitent 40 % du trafic maritime et l’essentiel des câbles sous-marins. Une position comme celle de la Tunisie permettrait à la Chine de renforcer son influence sur ce détroit stratégique. Avec le concours de la Chine, la Tunisie pourrait rejoindre la Route de la soie et en faire bénéficier l’ensemble du continent africain.
À ce moment-là, c’est sûr que les Chinois vont servir leurs intérêts, mais la Tunisie peut avoir des intérêts annexes», a-t-il affirmé.
Il a enfin souligné que des projets de triangulation, c’est-à-dire des partenariats impliquant la Chine, la Tunisie et d’autres pays africains, permettraient de renforcer les capacités exportatrices de la Tunisie grâce à un jumelage avec les entreprises chinoises. De tels partenariats contribueraient, selon lui, à diversifier une économie tunisienne encore orientée à 80 % vers l’Europe.