La Tunisie change de cap. Face à un ralentissement relatif de ses échanges traditionnels avec l’Europe, elle se tourne vers un continent africain en plein essor. En misant sur la coopération Sud–Sud et sur la Chine comme partenaire stratégique, elle ambitionne de devenir un trait d’union entre les marchés africains et les puissances émergentes.
La Presse — Longtemps tournée vers l’Europe, la Tunisie s’emploie aujourd’hui à renforcer son ancrage sur le continent africain. Dans un contexte de ralentissement économique et de recomposition des alliances, l’Afrique s’impose comme un espace stratégique d’avenir. Mais cette ouverture nécessite une vision claire et des partenariats solides, notamment avec les nouveaux pôles économiques montants, à savoir les Brics+, désormais acteurs majeurs de la mondialisation africaine.
Une Afrique pleine d’opportunités, encore sous-exploitée
Les échanges de la Tunisie avec l’Afrique subsaharienne restent faibles : moins de 5 % de son commerce total, selon des données officielles. Pourtant, le continent offre un potentiel considérable, avec une population jeune, une classe moyenne émergente et des besoins croissants en infrastructures, santé, éducation et services.
Les entreprises tunisiennes disposent d’atouts réels : expertise technique, main-d’œuvre qualifiée, proximité linguistique et culturelle avec plusieurs pays africains francophones.
Ces atouts restent cependant freinés par des obstacles persistants : logistique coûteuse, rareté des liaisons directes, complexité administrative et manque de présence institutionnelle. Ces faiblesses structurelles ne doivent toutefois pas occulter les perspectives prometteuses qu’offre le continent.
Radhi Meddeb, économiste et Pdg du groupe «Comète Engineering», estime que «la Tunisie doit changer de logiciel économique. L’Afrique ne doit plus être perçue comme un marché périphérique, mais comme une extension naturelle de notre espace de développement».
La Chine, un partenaire clé pour la Tunisie et pour l’Afrique
Première puissance commerciale sur le continent africain depuis 2009, la Chine a investi des milliards dans les infrastructures : routes, ports, réseaux électriques et zones industrielles. La Tunisie, de son côté, aspire à attirer davantage d’investissements chinois et à devenir une plateforme régionale.
Dans cette optique, des projets communs commencent à voir le jour, comme la zone industrielle de Djebel Oust, la coopération dans les énergies renouvelables ou encore la formation technique. Ces initiatives esquissent une voie de coopération triangulaire Tunisie–Chine–Afrique, où chaque partenaire jouerait un rôle complémentaire.
Selon Meddeb, «la Chine cherche des partenaires fiables pour produire et exporter vers l’Afrique. La Tunisie peut jouer ce rôle, à condition de moderniser ses infrastructures logistiques et de simplifier ses procédures».
Créer des zones industrielles mixtes
Le pays est désormais appelé à renforcer sa présence à l’étranger, en multipliant les missions commerciales et en ouvrant de nouveaux bureaux économiques dans des capitales stratégiques. Les PME tunisiennes doivent être accompagnées sur le terrain. Le développement de lignes maritimes Tunisie–Afrique de l’Ouest et le renforcement des liaisons aériennes et logistiques constitueraient, à cet égard, un levier essentiel. La Chine, forte de son expérience dans les corridors africains, pourrait jouer un rôle déterminant.
Il s’agirait, d’une part, d’établir des plateformes tuniso-chinoises de production orientées vers le marché africain — agro-industrie, produits pharmaceutiques, technologies vertes — et, d’autre part, de promouvoir l’exportation du savoir-faire tunisien dans la santé, les TIC, l’enseignement supérieur et l’ingénierie.
Ces secteurs constituent le véritable capital immatériel de la Tunisie. Un fonds de financement commun Tunisie–Chine pourrait, à ce titre, soutenir les projets conjoints dans l’énergie, la logistique et la transformation industrielle.
«Forte de sa puissance financière et technologique, la Chine complète la dimension de marché qu’offre l’Afrique, tandis que la Tunisie apporte son savoir-faire et sa stabilité institutionnelle. Une alliance capable de générer une dynamique durable de croissance partagée», explique Radhi Meddeb.
Au-delà du commerce, cette ouverture vers l’Afrique traduit la volonté de la Tunisie de redéfinir sa place dans un monde en mutation. En misant sur la coopération Sud–Sud et en s’appuyant sur la Chine comme partenaire stratégique, le pays peut devenir un acteur pivot du développement africain du XXIe siècle.