Dans des mémorandums adressés à la France, à la Banque mondiale et au FMI : L’IVD exige des réparations

L’Instance vérité et dignité (IVD) a envoyé le 16 juillet, via le ministère des Affaires étrangères, deux mémorandums : l’un adressé au Président de la République française et l’autre au président de la Banque mondiale (BM) et à la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI). Les deux documents officiels demandent réparation au bénéfice des victimes tunisiennes.

Il s’agit en fait de victimes des atteintes aux droits humains et aux droits économiques et sociaux dont l’Etat français, le FMI et la Banque mondiale portent, selon l’IVD, «une part de responsabilité».

Sihem Ben Sedrine, la présidente de la commission Vérité avait déjà annoncé dans une interview réalisée le mois d’avril dernier par Justice Info.net sa volonté de renflouer le Fonds de la dignité, la caisse dédiée aux réparations des victimes de la dictature, par des compensations financières que verseraient la France entre autres. Or une telle procédure n’a encore pas connu de précédent dans le monde, d’où le scepticisme de ses détracteurs. D’autant plus que les conflits de l’Instance avec les autorités n’ont pas connu de trêve jusqu’à la fin de son mandat le 31 décembre 2018. Le gouvernement actuel dirigé par Youssef Chahed, qui n’a encore pas publié le Rapport final de l’IVD dans le Journal officiel, ne semble pas prêt à cautionner les deux requêtes adressées par le conseil de l’Instance le 30 décembre 2018 et signées par Sihem Ben Sedrine aux parties précitées.

Recours aux conventions internationales

Même si dans les faits rien ne contraint ni la France, ni le FMI et ni la Banque Mondiale à réparer des préjudices commis par le passé, entre juillet 1955 et décembre 2013, période couverte par le mandat de l’Instance, l’IVD s’appuie dans son argumentaire sur des conventions et des pactes internationaux pour réclamer des compensations. Elle cite parmi ces textes les «Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’Homme et de violations graves du droit international humanitaire », résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 2005. Mais également « Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques » adopté par l’Assemblée générale le 16 décembre 1966 et  « la résolution des Nations unies du 21 mars 2016 relative aux effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’Homme, en particulier des droits économiques, sociaux et culturels».

La colonisation et la politique de la terreur

En se basant sur ses investigations, témoignages des rescapés de la guerre de libération nationale, documents et archives, l’IVD décrète dans son mémorandum destiné au Président de la République française : «Des actes de violations massives de droits humains ont été commis par l’armée française durant la période de mars 1956 à juillet 1961 et ont produit plus de 7000 victimes tunisiennes».

Par ailleurs, la commission Vérité a reçu 5052 plaintes dont trois collectives à propos de violations survenues lors de la décolonisation française dont 650 à la suite de la guerre de Bizerte en 1961. Le reste se répartit entre Sakiet Sidi Youssef, Gafsa, Tataouine, les montagnes du sud-est et du sud-ouest et les autres sites où des affrontements entre alliés  de Ben Youssef  — opposés à Bourguiba — et l’armée française avaient eu lieu après l’indépendance.

A côté d’une stratégie d’appauvrissement de la paysannerie et d’extrême fiscalisation de la population, l’exploitation économique des richesses minières et agricoles du pays au profit de la puissance coloniale visent à faire des Tunisiens «une poussière d’individus», selon l’expression de Bourguiba citée par le mémorandum. La politique de la terreur des années 1952-1954 au moment où le Mouvement national revendiquait l’indépendance de la Tunisie avait engendré arrestations massives, torture, représailles collectives où pillages et viols de femmes étaient de mise. Selon l’Instance, la Tunisie souveraine après l’Indépendance en mars 1956 a continué à subir la domination française sur son économie. L’ancien pays colonisateur a ainsi longtemps cherché «à pérenniser les avantages de certaines entreprises françaises».

Pour toutes ces exactions et violations, la commission Vérité exige de la France «une reconnaissance des faits et la présentation d’excuses officielles, le versement de compensations aux victimes individuelles, aux régions victimes ainsi qu’à l’Etat tunisien, la restitution des Archives tunisiennes de 1881 à 1963 et l’annulation de la dette bilatérale de la Tunisie «étant donné qu’il s’agit d’une dette illégitime».

«L’estimation des préjudices devra être évaluée dans le cadre d’une commission qui sera créée à cet effet», ajoute le mémorandum.

Dans son interview à Justiceinfo.net, Sihem Ben Sedrine précise : «On va demander à la France de verser des compensations financières à ces gens selon notre barème, à savoir 200 000 dinars par personne tuée».

Demandes d’excuses et d’indemnités pécuniaires

C’est une autre période historique que couvre le mémorandum adressé au FMI et à la BM. Il va des années 70 jusqu’à l’avènement de la Révolution de janvier 2011 lorsque ces deux institutions financières ont commencé à pousser l’Etat tunisien à geler les salaires, à diminuer les subventions à la consommation des produits de base et à arrêter les recrutements au profit de la Fonction publique. Ce qui a engendré plusieurs crises sociales. Les plus importantes se situent avec les conflits des autorités face à la centrale syndicale de 1978, la révolte du pain de décembre 1983 et janvier 1984, le soulèvement du bassin minier de 2008 et la Révolution de 2011. Des événements sanglants ayant entraîné des violations graves des droits de l’Homme selon l’IVD : morts, blessés, tortures, viols et prison suite à des procès inéquitables.

L’IVD a enregistré un dossier collectif présenté par l’Ugtt en tant que représentant des victimes syndicales et 909 plaintes individuelles se référant à ces événements. Concernant les émeutes du pain, l’Instance a reçu 1230 plaintes individuelles touchant 19 gouvernorats avec 85 homicides, 213 blessés par balles et 932 arrestations et emprisonnement avec usage systématique de la torture et plusieurs viols sur mineurs, notamment en prison.

«S’agissant de l’impact de l’intervention de la Banque mondiale et du FMI sur les droits humains, économiques et sociaux des citoyens tunisiens, l’IVD est arrivée à la conclusion que non seulement la responsabilité de l’Etat tunisien était engagée dans ces violations graves, mais également celle de la Banque mondiale et du FMI qui ont imposé, via les conditionnalités des prêts et les plans d’ajustement structurels, des politiques inappropriées qui ont été à l’origine des violations graves suite aux soulèvements populaires en question», explique le mémorandum. A la fin du document, trois actes de réparation sont décrétés par la commission Vérité : la présentation des excuses, le versement d’indemnités pécuniaires aux victimes et à l’Etat et l’annulation de la dette multilatérale de la Tunisie.

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