Dans votre intervention vous avez évoqué l’impératif de se mettre d’accord sur les choix économiques, c’est-à-dire se décider entre une rupture avec les choix précédents ou continuer sur la même voie. Est-ce que vous insinuez par là qu’il existe une divergence structurelle entre les choix économiques des divers partis politiques ? 

Je pense que l’enjeu est d’avoir une vision exacte pour le pays mais qui fait aujourd’hui défaut. Une vision qui réponde à la question : quelle Tunisie nous voulons à l’horizon d’une quinzaine ou vingtaine d’années à l’instar de tous les pays émergents qui ont réussi la définition de leur vision ? Cette vision là est à la base de tout exercice de planification qui doit permettre de décliner cette vision en des projets et un programme national. Evidemment pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient, c’est-à-dire une vraie évaluation du modèle de développement tunisien qui a atteint ses limites en 2010. Si on voulait résumer ce modèle de développement d’avant 2011, on verrait que c’est un modèle low cost c’est-à-dire qu’il constitue un modèle de développement économique basé uniquement sur le faible coût comme élément de compétitivité de l’économie tunisienne. Ce qui n’est plus possible aujourd’hui, compte tenu du changement démographique en Tunisie mais également de l’offre en matière de ressources humaines caractérisée par un plus grand nombre de  diplômés sur le marché que dans les années, 70, 80 et 90 et donc qui ont besoin de davantage d’emplois qualifiés. Sur ce modèle de développement, il devrait y avoir une large discussion et un débat national qui aboutisse à une vision bien concertée, engageant l’ensemble des protagonistes. C’est une vision qui doit être partagée par les principales forces politiques et sociales et qui permette au pays de pouvoir avancer.

Vous avez également évoqué l’aspect revendicatif régionaliste et corporatiste qui a caractérisé l’élaboration du Plan quinquennal 2016-2020. Selon vous, comment faire pour communiquer avec les diverses régions et convaincre leurs habitants de l’inutilité ou l’insignifiance de leurs revendications ?

Un plan de développement économique et social ne doit pas se transformer en un plan d’infrastructures pour le pays ou  pour les régions. Et évidemment ce plan d’infrastructures ne devrait pas être le fruit d’un processus de revendications où chacun va regarder son voisin et revendiquera la même chose. Si vous partez dans une région qui est plutôt à vocation services ou agricole, il serait insensé d’y installer une zone industrielle. Or aujourd’hui on voit que la démarche qui a prévalu jusque-là a fait en sorte qu’on a cette demande généralisée de faire des zones industrielles partout, d’installer des infrastructures sans tenir compte de la vocation économique et sociale des régions. Ceci a impliqué l’existence d’infrastructures qui ne servent pas le développement de la région parce qu’elles ne sont pas le fruit d’une réflexion sur les avantages compétitifs de ces régions et leurs besoins en la matière. Pour sortir de cette uniformisation, il faut qu’il y ait des plans régionaux de développement qui valorisent les avantages compétitifs des régions. Pour garantir leur développement,  il faut qu’il y ait  une réflexion approfondie sur leurs avantages, ainsi que les moyens d’avoir un développement économique propre à ces régions et on peut à partir de là définir les besoins en termes d’infrastructures et non pas l’inverse.

C’est ce qui nous ramène au dilemme qui oppose l’accroissement de l’attractivité des régions de l’intérieur en vue d’inciter les cols blancs à y travailler face à des revendications parfois inappropriées en matière d’infrastructures.

Encore une fois, la réponse au développement des régions n’est pas uniquement de développer les infrastructures mais il s’agit également d’offrir un schéma d’attractivité global pour que ces régions puissent se développer. Il ne suffit pas d’investir dans certaines infrastructures mais plutôt d’avoir un schéma global de développement de la région qui intègre la dimension promotion et amélioration de l’attractivité. Si on veut que des talents, des compétences et des hauts cadres s’installent dans les régions et que des investisseurs aillent vers ces régions qui sont aujourd’hui défavorisées il ne suffit pas de leur donner des incitations ou faire des zones industrielles et installer des infrastructures routières mais il est question plutôt de créer un cadre de vie attractif qui permette aux gens de pouvoir vivre dans les mêmes conditions ou en tout cas dans des conditions assez proches  de celles qu’ils pourraient avoir dans la capitale ou dans certaines régions du Sahel. A savoir une offre de loisirs, des soins de qualité en matière de santé, des conditions optimales pour l’éducation de leurs enfants. Une offre de qualité de vie en général qui permette aux habitants des régions d’y rester et y investir et assure la libre mobilité vers ces régions. Parce que sans une véritable politique d’attractivité qui permette aux talents de participer au développement de ces régions, elles resteront pénalisées en matière de ressources humaines qualifiées. 

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