Entretien avec David Schenker, Secrétaire d’État adjoint américain aux affaires du Proche-Orient : «Washington accorde un soutien particulier au succès de la Tunisie et à sa sécurité»

C’est la première fois depuis cinq ans qu’un secrétaire d’Etat adjoint américain rend visite à la Tunisie. En effet, David Schenker, en charge du dossier du Proche-Orient, est venu il y a quelques jours portant un message de soutien de Washington à la naissante démocratie tunisienne tout en gardant un œil sur les développement en Libye. M. Schenker, optimiste quant au succès de la Tunisie en matière de processus électoral, a insisté sur la priorité attribuée à la Tunisie par Washington et sur une collaboration bilatérale en évolution. Aussi, nous avons profité de cette occasion pour évoquer le plan américain pour la paix au Proche-Orient et les dossiers yéménite et iranien…

Concernant la coopération bilatérale entre la Tunisie et les Etats-Unis, peut-on savoir où l’on est, notamment après les dernières réunions de la commission économique mixte et de la 3e session du dialogue stratégique ?

Ce que je sais est que les Etats-Unis souhaitent que les relations économiques avec la Tunisie soient davantage renforcées afin de soutenir l’économie tunisienne. Evidemment, nous accordons un grand soutien notamment au volet développement économique. Depuis 2011, ce soutien s’élève à plus de 1,3 milliard de dollars dont 500 millions de dollars sous forme d’assistance militaire mais une grande partie est dédiée à l’aide au développement. Nous cherchons à offrir plus d’opportunités ici aux entreprises américaines.

Michael Harvey, administrateur assistant de l’US.AID pour le Moyen-Orient, était dernièrement en visite en Tunisie et a signé un accord portant sur 335 millions de dollars en assistance économique de la part de l’US AID sur un plan de cinq ans. Aussi, nous soutenons un autre volet important, en l’occurrence les élections que nous observons de près et nous sommes impressionnés par le travail accompli par l’Instance supérieure indépendante pour les élections. C’est très important pour le développement de toute démocratie. Nous avons fourni quelque 20 millions de dollars pour soutenir vos élections à travers notamment le monitoring.

C’est un processus très positif et ce que nous cherchons est que le système électoral soit des plus compétitifs. Nous avons été très impressionnés par les débats entre candidats, ce qui est une première dans le monde arabe.

Notre soutien aux démocraties dans le monde est bien installé dans la continuité. C’est que nous avons aidé financièrement le lancement de la Fondation internationale pour les systèmes électoraux, IFES, qui travaille déjà ici sur les élections tunisiennes. Aussi, il y a l’International Republican Institute et le National Democratic Institute qui travaillent eux aussi ici sur le volet du développement des partis politiques et les aident notamment à mieux gérer leurs campagnes électorales.

Ce que nous avons constaté est que l’Instance indépendante des élections est bien soutenue dans son travail, et elle est très active et respectée de tous. C’est une institution impressionnante. Nous sommes optimistes quant au processus démocratique en Tunisie mais cependant avoir des élections très disputées cela va se refléter sur le Parlement où le parti politique le plus représenté aura quelque 20% des sièges. Cela va rendre difficile l’exécution des programmes. La démocratie est parfois compliquée…

Qu’en est-il de l’assistance militaire ? Se résume-t-elle à l’aide à l’acquisition d’équipements ou va-t-elle englober d’autres formes d’assistance technique ?

Nous avons une menace commune et notre ennemi est le même ; le terrorisme. Nous collaborons dans ce contexte pour y faire face et nous avons une bonne coopération militaire avec la Tunisie. Tout dernièrement, le chef d’Africom, le général Stephen Townsend, était là en mission pour quatre jours. C’est une question prioritaire pour nous et pour y aboutir nous avons effectué un travail extensif avec le gouvernement tunisien et les forces de sécurité frontalière. En partie, cette menace est liée à la frontière avec la Libye. Nous y avons dépensé quelque 25 millions de dollars pour y installer un système intégré de sécurité frontalière. Le projet a été perçu comme un succès.

Après les élections, cette assistance militaire serait-elle aussi substantielle puisque les choses ne semblent pas aller vers un règlement politique imminent de la crise en Libye ?

Nous avons une allocation annuelle de la part du programme Financement militaire étranger, FMF. Je ne veux pas anticiper s’il y aura un changement et on va voir pour la suite de ces financements. La Tunisie reste un pays prioritaire pour nous et nous investissons dans le succès de son expérience.

Dernièrement, tout le monde est en attente des détails du nouveau plan de paix au Moyen-Orient. Pouvez-vous nous préciser les grandes lignes de ce plan de paix israélo-palestinien?

C’est le plan de la Maison-Blanche, et c’est M. Jared Kushner qui est en train de communiquer sur les péripéties de ce plan de paix. Je ne peux vous donner des détails à propos de cette initiative dont beaucoup s’attendent à ce qu’elle soit un succès…

Pour le dossier yéménite, où en êtes-vous notamment pour ce qui est des discussions avec les Houthis et quelle est votre appréciation quant à la situation humanitaire là-bas ?

J’ai déclaré que nous pourrions étendre nos discussions si des pourparlers sont possibles avec les Houthis.

Donc, je dirais que s’engager dans des discussions avec les Houthis est comme toute autre négociation avec les autres parties au Yémen. Chose que nous ne faisons pas discrètement ; nous parlons à tout le monde.

Les Houthis sont une grande partie du problème, et nécessairement ils vont devoir être une aussi grande partie de la solution.

La situation humanitaire est un énorme désastre, une réelle tragédie. Entre 18 et 24 millions de Yéménites sont dans l’insécurité et la famine. Nous faisons beaucoup de travail de soutien humanitaire, avec des centaines de millions de dollars de financement américain. Politiquement, nous sommes engagés à négocier et à trouver une solution qui permette de maintenir le Yémen unifié, sécurisé et stable. Certaines parties au Yémen constituent une menace directe aux pays du voisinage. Il y a des indicateurs qui confirment que les Houthis sont sous l’influence de l’Iran et sont en train de viser, quotidiennement, des civils et des infrastructures civiles en Arabie Saoudite.

A un moment donné, nous étions en contact avec les Houthis, ce qui n’est pas quelque chose de nouveau. Nous espérons passer à une autre phase avec plus d’engagement et où les Houthis sont productifs.

Finalement et en ce qui concerne l’Iran, Washington semble déterminée à continuer avec sa campagne de pression maximale. Qu’en est-il des tensions dans le golfe et du désengagement nucléaire iranien ? 

La campagne de «pression maximale» est en marche et son impact est certain puisque l’Iran est en train de lâcher peu à peu. Ils menacent la sécurité de la navigation et des navires dans le Golfe et  ils stockent l’uranium enrichi de nouveau… Tout cela en réponse à la campagne de pression maximale dont l’objectif n’est que de convaincre l’Iran de se comporter en tant que nation comme les autres et d’en finir avec ses projets de développement d’armes nucléaires. Elle doit, entre autres, arrêter de stocker des missiles balistiques en Irak, de perturber la stabilité en Syrie en supportant les milices du Hezbollah et de soutenir les Houthis qui ciblent les civils et les infrastructures civiles en Arabie Saoudite. C’est un objectif raisonnable et nous travaillons pour le réaliser en assurant la libre navigation, essentielle pour le commerce global.

Pour en finir et concernant la Tunisie, le succès ici est prioritaire pour Washington.

C’est qu’il y a quelques semaines le Secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a rencontré le ministre des Affaires étrangères tunisien et ils ont eu une très bonne discussion et des officiels des deux parties y étaient présents, notamment du «State Department». Je rappelle aussi, qu’il y a eu la visite du chef d’Africom, le général Stephen Townsend,  qui était ici durant quatre jours. Et là, c’est la première visite d’un Secrétaire d’Etat adjoint aux Affaires du Proche-Orient depuis plus de quatre ou cinq ans. Nous voulons vous voir réussir et nous sommes inquiets des développements en Libye. Mais nous sommes déterminés à soutenir votre réussite.

C’est pourquoi, je suis là et c’est pourquoi il y a une attention particulière de haut niveau de la part de Washington.


Entretien mené par
Nizar HAJBI

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