«Fataria» de Walid Tayaa, à partir d’aujourd’hui dans les salles : Une comédie noire pour démasquer les travers du régime de Ben Ali

Avec un humour grinçant et des personnages haut en couleur, le premier long  métrage de Walid Tayaa «Fataria», jette la lumière sur les contrastes du régime de Ben Ali (1987-2011)x.

«Fataria» (chaos en dialecte tunisien) relate un brin de vie « ordinaire » de plusieurs personnages lors d’une journée présentée comme étant «exceptionnelle» par le régime en place. En effet, toute l’action du film se passe durant la journée de la tenue du Sommet arabe à Tunis, en mai 2004. Dans cette atmosphère frénétique et burlesque, les personnages se croisent sans jamais, vraiment se rencontrer, s’efforçant chacun de son côté, de résoudre les problèmes d’un quotidien fait de misère, de corruption et du règne de la débrouille ou du système D.

Tout au long du film, le rythme de la «darbouka» et de la «tabla» (instruments de percussion) accompagne les aventures de ses personnages, un clin d’œil à la culture d’allégeance qui domine dans le pays de « la joie éternelle « (blad al farah al daym). Parallèlement, aux travaux du Sommet Arabe, transmis en boucle par des médias et commentés par les politiciens du parti unique qui usent et abusent de la langue du bois, les personnages de Fataria se démènent pour survivre.

Des histoires croisées où le réalisateur dénonce avec humour et délicatesse l’envers du décor du régime de Zine El Abidine Ben Ali. Corruption policière, détresse psychologique et sociale, fuite des cerveaux, violence, misère et crise de la santé publique, autant de maux d’une société en ébullition que Walid Tayaa dénonce en s’armant d’humour noir et de sa caméra.

Des personnages et des vies…en sursis

Hamadi (Jamel Madani) électricien, doit réparer un réseau défectueux dans un immeuble délabré de la capitale. Charmé par Naziha (Sabeh Bouzouita), une quinquagénaire divorcée habitant l’immeuble, l’électricien s’active pour trouver une solution au réseau de l’immeuble hanté par de drôle de personnages oscillant entre fiction et réalité.

Salha (Rim Hamrouni) essaye par tous les moyens de gagner de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle est ainsi, capable aussi bien de faire la pleureuse pendant les funérailles que d’animer les fêtes de mariage dans l’heure qui suit. Dans ce rôle de composition, l’actrice Rim Hamrouni incarne avec justesse la détresse d’une classe populaire qui n’arrive plus à joindre les deux bouts et est en porte à faux avec l’image d’une politique sociale réussie bâtie par le régime de Ben Ali.

A travers le personnage de Nadia (Nadia Saïji), chorégraphe qui tente de répéter son spectacle malgré le bruit insupportable, en provenance d’un chantier voisin, tenu par un homme corrompu, Walid Tayaa évoque la situation du danseur contemporain et du respect de la différence dans une société régie par les traditions et le conservatisme.

Quant à la bureaucratie et à la crise des hôpitaux publics, elles ont été traitées à travers l’histoire d’Ammar (Issa Harrath) venu de loin pour se faire soigner dans un hôpital public. Malmené de bureau en bureau, Ammar peine à obtenir un rendez-vous avec le cardiologue.

La comédie pour faire rire …
et réfléchir

Durant 1h18, le spectateur rit aux éclats grâce aux situations burlesques vécues par des personnages servis par un scénario léger où les paroles crues amusent tout en pointant de doigt la cruauté d’une misère rampante. Tayaa, auteur déjà de plusieurs courts métrages  dont «Bahja» également une comédie, use ingénieusement, de l’esthétique théâtrale et cinématographique pour proposer une comédie décoiffante et déconcertante. Des coups de théâtre, des personnages et des scènes tirés aussi bien des classiques de la comédie et des films d’horreur se succèdent pour brosser les contrastes sociaux et moraux entachant, ainsi, la fausse image véhiculée par le régime en place, celle d’un pays ancré dans la modernité et doté d’une classe moyenne épanouie. Grâce aux personnages, à des plans d’ensemble, le jeune réalisateur fait voyager son public dans un univers poétique kafkaïen où l’angoisse et l’absurde finissent par l’emporter.

Tels des clowns tristes, Salha, Naziha, Ammar, Hamadi les personnages de «Fataria» font à la fois rire par leur caractère burlesque et réfléchir à la noirceur d’un quotidien miné par le double langage et l’amplification de la fracture sociale. Avec «Fataria», Walid Tayaa propose une tragi-comédie de l’histoire d’un régime dictatorial déchu, dont les plaies sont toujours ouvertes.

A noter que la sortie nationale du film «Fataria» est prévue pour le 25 septembre 2019.

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