Les électeurs ont dit leur mot. Les partis politiques tardent à saisir le message. Quant aux médias, ils tergiversent toujours

Quel impact du scrutin présidentiel anticipé du 15 septembre sur le paysage politique ? Une question qu’on n’a pas fini de se poser, vu le vote « sanction » subi à la surprise générale par la classe politique tunisienne. Un tel sort électoral pourrait peser lourd sur la nouvelle donne législative sous la coupole du Bardo. C’est le thème de la conférence-débat que le Centre d’étude sur l’islam et la démocratie (Csid) a organisée, hier matin, à Tunis, au cours de laquelle les intervenants ont tenu à creuser dans la relation de causalité entre l’offre politique et la demande électorale.

Dans son mot de bienvenue, le président du Csid, M. Radhouan Masmoudi, a souligné l’effet surprenant du verdict des urnes qui a ébranlé l’ordre partisan et coupé l’herbe sous les pieds des prétendus candidats favoris et présidentiables. « L’on peut considérer ce qui s’est passé dimanche 15 septembre comme un véritable séisme politique dont les répliques seraient, certes, ressenties lors des législatives du 6 octobre prochain», prévoit-il ce qui, argue-t-il, dénote la faiblesse de nos partis et leur incapacité à répondre aux attentes populaires et révèle, noir sur blanc, leur échec cuisant, à plus d’un titre : trop de programmes figés, promesses non tenues et une rupture avec les jeunes. Grande déception ! Toutefois, il y a, quand même, une chose positive à retenir: ces jeunes, semble-t-il, ont renoué avec les urnes, se révélant en mesure d’inverser la tendance. Et M. Masmoudi d’exprimer ses craintes : « La prochaine ARP serait, plutôt, une sorte de mosaïque d’entités partisanes, sans une grande majorité parlementaire. Cela fait que budgets, initiatives législatives ou projets de loi risquent de n’être plus adoptés ».

D’autant que nombre de politologues, juristes et grandes figures en droit constitutionnel pensent ainsi, prétendant que la scène politique ne serait plus ce qu’elle était. Leur lecture semble, alors, convergente. Le sociologue Mehdi Mabrouk, président du Centre arabe de recherche et d’études politiques (Carep), voit les choses sous trois prismes sociopolitiques. Tout d’abord, le climat électoral qu’il a qualifié d’exceptionnel, dû à la mort subite de Béji Caïd Essebsi  qui avait déjà perturbé le calendrier de la présidentielle 2019. Puis, l’effet d’encastrement de l’opinion publique (terme propre à lui) : comme si on avait manipulé l’électeur tunisien, en lui disant qu’il y avait des candidats vainqueurs d’avance. Deuxième point, l’inflation de l’offre électorale. L’électeur est-il  pragmatique ou rationnel ?, s’interroge-t-il, dans le but de pouvoir identifier le profil de ceux qui se sont exprimés autrement, en dehors de la donne classique. A Kais Said et à Nabil Karoui, ils se sont démarqués par leurs voix. Troisièmement, quelle leçon peut-on tirer de ce premier tour de la présidentielle. La classe politique classique et les diverses idéologies partisanes statiques devraient changer de discours et de méthodes, voire opérer une révision de fond en comble, car tous les paramètres d’ordre régional, populaire ou socioprofessionnel censés sous-tendre, pour longtemps, l’enjeu électoral auraient changé.

Message reçu !

Dans le même ordre d’idées, M. Jawhar Ben Mbarek, enseignant de droit constitutionnel et coordinateur du réseau « Destourna », s’est concentré, dans ses analyses, sur le facteur électeur et son choix décisif. Il a évoqué trois types de polarisations qu’on croyait utiles dans la détermination des choix de vote : celle d’ordre sociétal qui est d’ailleurs conjoncturelle, voire fonctionnelle, alors que la polarisation politique se focalise essentiellement sur la question de la transition démocratique. Le troisième type est purement social se basant uniquement sur les profits sociaux. Ces trois mécanismes de polarisation, ajoute-il, ont œuvré parallèlement, de façon qu’ils sèment dans la tête de l’électeur trouble et confusion. Ainsi, l’électeur tunisien s’est perdu dans un flot de priorités non identifiées. Le problème, a-t-il conclu, est que les partis traditionnels vont de plus en plus perdre leur réservoir électoral. Pour M. Slaheddine Jourchi, analyste politique, cette lecture faite par les orateurs qui l’ont  précédé n’est, en fait, que de simples hypothèses qu’on doit saisir avec précaution. Il a, par ailleurs, relevé quelques remarques: l’état de frustration des jeunes, les divisions et implosions frappant toutes les formations politiques et le retour de loin des jeunes électeurs. Cette réconciliation avec la chose politique lui semble très positive. D’après lui, il est bon de rappeler, ici, que les partis devraient bien comprendre le message. Et que les médias qui ont bien joué leur rôle après la révolution sont appelés, plus que jamais, à comprendre le message des votants. De même, l’Ugtt n’a pas, quant à elle, honoré ses engagements envers l’opération électorale. « Le mouvement syndical n’y était pas un acteur influent », déplore-t-il.

Kamel FERCHICHI

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