Diversité politique et montée des indépendants : A quoi ressemblera le prochain Parlement ?

Y aura-t-il une diversité politique ? Quel rôle pour l’opposition ? A la lumière des résultats du premier tour de la présidentielle anticipée, des municipales et des intentions de vote pour les prochaines législatives, il faut s’attendre à de grands changements au niveau de la composition du prochain Parlement. Avec la montée en puissance de certains nouveaux partis et des indépendants, la composition du prochain Parlement devrait marquer la fin de l’hégémonie exercée, depuis 2011, par certains partis dits classiques pour faire entrer sur scène de nouveaux acteurs.

On s’attend à un paysage parlementaire composé de plusieurs petits blocs, une sorte d’«îlots parlementaires», issus notamment des courants islamiste, révolutionnaire, populiste, pro-RCDistes et centriste, mais aussi des indépendants qui devraient avoir un poids assez important.

Comment les nouveaux blocs parlementaires qui représentent des courants et des familles politiques complètement opposés pourraient parvenir à des coalitions, des concertations et des compromis pour assurer une majorité parlementaire ? C’est la question centrale qui se pose sur le prochain paysage parlementaire alors que tous les indices font penser à une prochaine assemblée dispersée.

En dépit d’une campagne électorale insipide, constat relevé par tous, les prochaines élections législatives s’annoncent décisives pour l’avenir du pays. Car, en effet, à l’issue de ce scrutin, on connaîtra qui prendra les règnes des commandes des pouvoirs exécutif et législatif, donc conduire le pays tout au long des cinq prochaines années. Même si l’enjeu est de taille, nous n’avons pas, malheureusement, observé un engouement pour cette campagne électorale des législatives qui prendra fin le 4 octobre prochain.

Pourtant, les potentiels électeurs devraient accorder plus d’intérêt à cette phase électorale indispensable pour faire leurs choix le jour J, car si l’actuel régime politique ne donne pas de grandes prérogatives au président de la République, il place le Parlement et la présidence du gouvernement au centre de l’architecture institutionnelle démocratique, mais aussi au centre des cercles du pouvoir. De ce fait, élire, le 6 octobre prochain, les partis qui vont former le gouvernement et représenter les Tunisiens à l’Assemblée des représentants du peuple s’avère être une étape cruciale dans le processus de construction démocratique en Tunisie. 

En fait, l’actuel régime politique tunisien, fruit de la Constitution de 2014, accorde de larges prérogatives au Parlement, qui centralise, d’une part, le pouvoir législatif et influe grandement sur le pouvoir exécutif dans la mesure où la formation et la stabilité du gouvernement dépendent de l’Assemblée qui lui accorde sa confiance, et peut la retirer à tout moment. De plus, le Parlement peut même destituer le président de la République en cas de «violation grave de la Constitution».

Inutile d’insister, le Parlement est à la tête des différents pouvoirs, à l’exception du pouvoir judiciaire qui bénéficie d’une indépendance.

Donc si le Parlement jouit de telles prérogatives, tirées principalement de la Constitution, sa composition devra faire l’objet d’un grand intérêt. Une composition qui passe forcément par le scrutin législatif du 6 octobre prochain. L’article 55 de la Constitution stipule que «les membres de l’Assemblée des représentants du peuple doivent être élus au suffrage universel, libre, direct et secret, intègre et transparent selon les modalités et les conditions prévues par la loi électorale».

Modalités du scrutin

Mais quelles sont réellement les modalités d’élire les nouveaux représentants du peuple ? En fait, le prochain scrutin législatif est proportionnel, les 217 sièges sont ainsi pourvus pour cinq ans au scrutin proportionnel plurinominal à listes bloquées dans 27 circonscriptions électorales de quatre à dix sièges en Tunisie, totalisant 199 sièges, et six circonscriptions pour les Tunisiens de l’étranger. Le scrutin proportionnel plurinominal correspond au système électoral où le nombre de sièges à pourvoir est partagé en fonction du nombre de voix recueillies. En effet, après la révolution, la Tunisie a adopté un mode de scrutin proportionnel pour les élections constituantes en 2011, puis pour les législatives en 2014, les municipales en 2018 et les prochaines législatives. Mais afin de traduire les voix exprimées par les électeurs en nombre de sièges, le système électoral tunisien a opté pour la méthode des plus forts restes, qui favorise plutôt les petits partis, et donc, en théorie, une offre politique plus diversifiée.

Pour répartir les sièges, il faut commencer par calculer le quotient, il s’agit du résultat de la division du nombre de voix des électeurs dans une circonscription donnée par le nombre de sièges qui lui sont attribués. Exemple pour comprendre : dans une circonscription de 10 sièges, 100.000 voix ont été exprimées par les électeurs. Le quotient est donc 10.000 voix, donc pour obtenir un siège dans cette circonscription électorale il vous faut 10.000 voix. Il ne faut pas oublier également qu’un seuil électoral de 3% sera appliqué pendant les prochaines législatives, il sera nécessaire pour accéder à la répartition des sièges.

Risques de dispersion ?

Toutes ses modalités sont nécessaires pour la composition du nouveau Parlement, composante plus que nécessaire dans le système politique tunisien. A quoi ressemblera le prochain Parlement ? Y aura-t-il une diversité politique ? Quel rôle pour l’opposition ? Avant de répondre à ces questions, il faut rappeler la composition de l’actuelle Assemblée des représentants du peuple, qui se forme de sept blocs parlementaires, outre les députés indépendants au nombre de 34. Le plus grand bloc est celui du parti Ennahdha 68 députés, suivi des blocs de la coalition nationale 43 députés et de Nida Tounès 26 députés. Ainsi, dès la formation de l’actuel Parlement nous avons assisté à une hégémonie des grands partis, qui parvenaient, grâce à des concertations notamment entre Ennahdha et Nida, à avoir la majorité des sièges pour faire passer des projets de loi et accorder la confiance aux différents gouvernements qui se sont succédé. Nous n’avons pas assisté à un blocage au niveau de la prise de décision législative sauf pour quelques cas, où ces concertations ont échoué, comme lors de l’élection des membres de la Cour constitutionnelle.

Mais à la lumière des résultats du premier tour de la présidentielle anticipée, des municipales et des intentions de vote pour les prochaines législatives, il faut s’attendre à de grands changements au niveau de la composition du prochain Parlement. En effet, l’électeur tunisien semble rejeter l’offre politique existante au profit de l’air de renouveau apporté par les indépendants, mais aussi par le courant «révolutionnaire». Avec la montée en puissance de certains nouveaux partis et des Indépendants, la composition du prochain Parlement devrait marquer la fin de l’hégémonie exercée, depuis 2011, par certains partis dits classiques pour faire entrer sur scène de nouveaux acteurs. Mais ce fait risquerait de faire éclater la prise de décision parlementaire, car en effet, on s’attend à un paysage parlementaire composé de plusieurs petits blocs, une sorte d’«îlots parlementaires», issus notamment des courants islamiste, révolutionnaire, populiste, pro-RCDistes et centriste, mais aussi des indépendants qui devraient avoir un poids assez important. Le défi étant donc de dégager une majorité et des groupes parlementaires consistants capables de stabiliser les actions législative et gouvernementale. 

Le premier exercice 

Mais un tel paysage parlementaire dispersé et effrité ne pourrait, en aucun cas, consolider le système de gouvernement tunisien, car, en effet, ces «îlots parlementaires» risquent de ne pas cohabiter et, au pire des cas, on assistera à un blocage total au niveau de l’action législative, un scénario d’une grande dangerosité pour la démocratie tunisienne. Il faut rappeler, dans ce sens, que plusieurs Conseils municipaux n’ont pas résisté à une telle composition hétérogène et ont été aussitôt dissous, à peine un an après leur mise en place. Comment ces nouveaux blocs parlementaires qui représentent des courants et des familles politiques complètement opposés pourraient parvenir à des coalitions, des concertations et des compromis pour assurer une majorité parlementaire ? C’est la question centrale qui se pose sur le prochain paysage parlementaire alors que tous les indices font penser à une prochaine assemblée dispersée.

En tout cas, le premier exercice, celui de parvenir à former un gouvernement, nous dira plus sur le rendement de ce nouveau Parlement.

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