Graves infractions et remise en cause des élections : Comment préserver la transparence du scrutin ? 

Face au grand nombre d’infractions enregistrées, la pression s’intensifie sur l’Instance supérieure indépendante des élections, alors que des voix remettant en cause tout le processus électoral des législatives commencent à s’élever.
L’existence de telles infractions graves a été confirmée par des composantes de la société civile, dont notamment l’ONG I Watch, lors de l’observation de l’opération de vote

En se basant sur les rapports des structures de contrôle et d’observation relevant de l’Isie et de la Haute autorité indépendante pour la communication audiovisuelle (Haica), l’Instance électorale a relevé 1.592 infractions, dont 238 violations considérées comme «graves», seulement pour les deux jours du scrutin et du silence électoral.
Le Conseil de l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie), réuni récemment pour examiner les rapports sur ces irrégularités liées aux élections législatives d’un point de vue juridique et des règles de conduite du scrutin, affirme que 118 infractions ont été soumises au ministère public. A cet effet, Adel Brinsi, membre de ladite instance, a affirmé que le Conseil de l’Isie envisageait la possibilité d’annuler des votes ou des sièges pour certaines listes, dans le cas de preuves convaincantes de graves infractions, telles que la violation du silence électoral, l’achat de voix et l’influence sur les électeurs et autres, auquel cas, un nouveau décompte les voix doit être effectué dans les circonscriptions concernées.
Cependant, le membre de l’Instance électorale a exclu que les ajustements aient une incidence sur l’ordre des listes gagnantes, même sous forme d’annulation de votes, en appliquant l’article 143 de la loi électorale.  Ledit article stipule que «l’Instance vérifie le respect par les vainqueurs aux élections des dispositions relatives à la période électorale et à son financement. Elle doit décider l’annulation partielle ou totale des résultats des vainqueurs s’il s’avère que les violations desdites dispositions ont affecté les résultats électoraux d’une manière substantielle et déterminante. Ses décisions doivent être motivées. Dans ce cas, il est procédé de nouveau au calcul des résultats des élections législatives, municipales ou régionales, sans tenir compte des suffrages annulés. Pour l’élection présidentielle, il sera procédé uniquement au reclassement des candidats sans recourir à un nouveau calcul des résultats».

La société civile confirme
L’existence de telles infractions graves a été confirmée par des composantes de la société civile dont notamment l’ONG I Watch, lors de l’observation de l’opération de vote pour les législatives 2019. Mouaffek Zouari, coordinateur de projets au sein de cette organisation, a fait savoir que ces infractions consistent surtout dans l’enregistrement de tentatives d’influencer les électeurs à proximité de certains centres de vote des circonscriptions électorales de Tunis 2, du Kef et de Tataouine. Il s’agit aussi de la poursuite des activités électorales et du non-respect du silence électoral par l’affichage et la distribution de dépliants dans les circonscriptions électorales de Sfax 2, La Manouba, Tunis 1 et Nabeul 1.
Dans son rapport préliminaire portant sur les élections législatives, l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) a annoncé avoir recensé 22 dépassements lors de ce scrutin législatif. «A Ben Arous, Sousse, Kairouan et Gabès, des membres de listes candidates ont distribué de l’argent et transféré des électeurs vers les bureaux de vote. Deux présidents de conseils municipaux dans les gouvernorats de Sfax et de Kairouan et un homme d’affaires de la région de Kasserine ont, quant à eux, abusé d’influence pour guider les électeurs», détaille le rapport.
Pour sa part, le secrétaire général de l’Atide, Moëz Rahmouni, a confirmé que de nombreux cas d’infraction, surtout de distribution d’argent aux électeurs, ont été observés notamment dans les circonscriptions de Gafsa et de Zaghouan. Rahmouni a appelé l’Isie à communiquer de façon transparente à propos des infractions au code électoral enregistrées lors des élections législatives.

Tension et remise en doute
Sur fond de l’énormité des infractions enregistrées, plusieurs parties ont commencé à décrédibiliser tout le processus électoral, estimant même que la nouvelle Assemblée des représentants du peuple a perdu déjà sa légitimité. C’est dans ce sens que Jilani Hammami, dirigeant du Front populaire, parti qui a été secoué par un échec cuisant aux législatives, a lancé un appel pour dissoudre le nouveau parlement, avant même qu’il ne soit constitué. «Ces élections ont été à 70% achetées, des gens ont acheté des voix, d’autres ont falsifié le dépouillement, j’appelle les citoyens à affronter ce parlement qui ne les représente pas», a-t-il lancé sur les ondes d’une radio privée.
Les résultats des élections législatives ont également provoqué la colère de certains citoyens qui sont même descendus dans la rue pour revendiquer un nouveau comptage. En effet, la nuit de mardi dernier n’était pas très calme à Douar Hicher dans le gouvernorat de La Manouba, où des partisans de la liste indépendante «l’Union des forces de la jeunesse», candidate aux élections législatives dans la circonscription de Manouba, ont bloqué la rue des Martyrs à Douar Hicher et brûlé des pneus pour protester contre leur «privation d’un siège à La Manouba». Les manifestants, brandissant des banderoles, demandent «un nouveau dépouillement des voix et à vérifier s’ils avaient remporté un siège, un droit dont les partisans de la liste ont été privés par des manipulations des résultats».
Pour sa part, Nizar Boujlal, porte-parole d’un nombre de listes indépendantes candidates dans la circonscription de Tozeur a assuré aux médias locaux, qu’il y a des suspicions de falsification des élections législatives dans la région. Il a assuré qu’une plainte a été déposée en urgence concernant la sécurisation des urnes jusqu’au dépouillement.

Les observateurs rassurent
En dépit de ces appels et tentatives de remettre en cause la crédibilité et la transparence du scrutin législatif, les différents rapports des principaux observateurs tunisiens et étrangers ont rassuré sur la transparence de ce rendez-vous électoral. D’ailleurs, la mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE UE) en Tunisie a constaté que les élections législatives du 6 octobre se sont déroulées dans l’ordre, avec une très bonne application des procédures de vote et des mesures de transparence. «La transparence du scrutin a de plus été renforcée par une présence remarquée des représentants des listes candidates et des observateurs, qui ont généralement pu observer sans entraves», a-t-on précisé. Idem pour le Centre Carter pour le contrôle et l’observation des élections en Tunisie qui a salué le déroulement «positif» du scrutin législatif du 6 octobre, regrettant toutefois un faible taux de participation. «Le scrutin s’est bien déroulé dans l’ensemble», s’est félicité Donald Bisson, chef de la mission d’observation électorale du Centre, assurant que les infractions constatées dans les bureaux de vote n’ont pas eu un impact sur les résultats.
De ce fait et face à une période électorale déjà entachée par une tension politique grandissante, l’Instance électorale se trouve livrée à elle-même en ce qui concerne l’organisation de trois scrutins électoraux consécutifs. Une tâche assez difficile qui n’est pas exemptée de lacunes et d’infractions électorales. Et même si, pour l’Isie, ces infractions n’influencent pas les résultats, seule l’application de la loi contre les listes et les parties contrevenantes pourra apaiser la tension politique, alors qu’on s’attend à un second tour de la présidentielle anticipée inédit et atypique.

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