Coopération territoriale avec la région occitanie : L’île de Kerkennah ouverte à l’extérieur

Les produits de la mer de Kerkennah représentent un vecteur socioéconomique de taille à promouvoir au mieux sans pour autant nuire à l’environnement déjà assez fragilisé de cette île.

Après une semaine de visites sur terrain, d’ateliers de réflexion et de débats autour de thématiques spécifiques aux deux régions partageant quasiment les mêmes contextes et les mêmes problématiques, notamment la valorisation des ressources de la pêche, l’amélioration de la qualité de l’environnement naturel et professionnel des pêcheurs et des agriculteurs, la délégation française, représentant plusieurs structures de la Région Occitanie (région administrative française) et des experts tunisiens représentant aussi bien des institutions de tutelle, la société civile et les professionnels de ce domaine, ont réussi, dans un premier temps, à tracer les grandes lignes d’une coopération territoriale au service du développement durable dans ces deux régions des deux rives de la Méditerranée. Les axes premiers de cette première visite-mission, de l’Occitanie vers l’île de Kerkennah, ont été présentés, vendredi dernier à Tunis, lors d’une rencontre tenue à l’occasion; des axes qui ont trait à quatre thématiques, à savoir : la valorisation du crabe bleu (une espèce invasive exploitée à Kerkennah mais aussi à Zarzis), la labélisation et la commercialisation des produits de la mer, la lutte contre la pollution plastique ainsi que la thématique de la perma-culture et l’agro-écologie à Kerkennah.
Rappelons que ce travail de coopération territoriale est cofinancé par Devlok ( projet propre à l’île de Kerkennah, relevant du Programme européen de voisinage pour l’agriculture et le développement durable PAP-Enpard), le programme Leader et la Région Occitanie.

Transformation et exportation du crabe bleu
S’agissant de la première thématique à intérêt commun aux deux partenaires, à savoir la valorisation du crabe bleu, M. François Galabrum, directeur de l’Amcm, a précisé que le crabe bleu repéré dans la région Occitanie diffère de celui repéré en Tunisie : le premier provient de l’Océan Atlantique alors que le deuxième, de l’Océan Indien. Il a également attiré l’attention sur la présence des deux espèces dans le territoire marin tunisien. «En Tunisie, la valorisation et du crabe bleu et de ses déchets a commencé en 2014, ce qui nous permet de prendre pour exemple l’expérience tunisienne en la matière», a-t-il indiqué. La délégation française, comptant 25 experts, chercheurs et pêcheurs en concertation avec leurs homologues tunisiens, ont établi les ébauches d’un projet pilote qui consistera en l’investissement dans le stockage et dans le transport du crabe bleu vivant. Une étude de faisabilité sera, d’ailleurs, financée par Devlok afin de déterminer les moyens à même de concrétiser ledit projet.
Cette approche de concertation territoriale mobilisera les pêcheurs ainsi que les représentants de plusieurs institutions et représentants de la société civile dans l’optique d’améliorer la capture des crabes durant leurs différentes phases de vie, l’amélioration de la qualité de ce produit de la pêche et la promotion de son exportation et de sa transformation. L’orateur a indiqué que le crabe bleu vivant est déjà destiné à l’exportation depuis Zarzis. La Corée du Sud s’avère, même, être un marché prometteur pour ce produit.

Le revers de la médaille
Cela dit, plaider pour des projets agroalimentaires rime avec l’instauration d’une zone industrielle ce qui déclenche polémique et opposition. Les débats ont été, en effet, vifs en ce qui concerne l’instauration d’une usine de transformation du crabe bleu ; voire de la mise en place d’une zone industrielle dans une île qui préserve, encore—et en dépit des innombrables problèmes environnementaux et socioéconomiques—son charme naturel.
Les avis ont été mitigés : certains se sont exprimés sur l’impératif de donner un coup de pouce salutaire au développement socioéconomique de cette région en y implantant une zone industrielle pour la valorisation de ses produits de la pêche. D’autant plus que la création d’une zone industrielle à Kerkennah ouvrirait la voie à d’autres activités économiques tout aussi importantes pour l’environnement dont le recyclage du plastique.
Pis encore : des usines de transformation informelles perpétuent leurs activités en toute illégalité alors que quatre projets novateurs, notamment deux projets de transformation des produits de la mer et deux projets de transformation des déchets, se heurtent à des obstacles purement législatifs !
Pour d’autres, l’enjeu excède le côté purement pragmatique. L’île de Kerkennah endure assez de problèmes environnementaux dont un taux élevé de pollution menaçant la faune marine. «Au nom de l’association tunisienne des sciences de la mer, je m’opposerais farouchement à l’instauration d’une zone industrielle à Kerkennah», a souligné Mme Jamila Ben Souissi, professeur à l’Inat. L’étude de faisabilité aurait, probablement, le mot final pour trancher la question.

Pour une marque collective et la certification de la «Charfia»
M. Maxime Charlier, directeur du Petr Vidourle Camargue, a parlé de la labélisation et de la commercialisation des produits de la mer. A Kerkennah, la délégation française a remarqué l’absence de toute organisation professionnelle à même d’assurer ce volet. D’ailleurs, même en France, il demeure restreint aux seules initiatives individuelles des pêcheurs et des industriels spécialisés dans la transformation de ces produits. «Nous envisageons une visite d’étude au profit d’un groupe de pêcheurs tunisiens en France afin de les éclairer sur les actions individuelles en matière de labélisation. Nous sommes en avance dans ce domaine de vingt ans, ce qui pourrait être un exemple à suivre pour les pêcheurs kerkennais», a-t-il souligné. L’orateur s’est arrêté sur l’indispensable revalorisation de la «charfia» ; une technique ancestrale et artisanale qui nécessite l’exploitation des palmiers par la fabrication de cet outil de pêche. «Or, les palmeraies de Kerkennah se font rares en raison, entre-autre, de la salinité excessive du sol ; soit quatre kilo de sel pour un mètre carré ! D’où la nécessité de miser sur l’agro-écologie et la perma-culture en prenant soin de nourrir le sol avant d’implanter des palmiers », a-t-il insisté. L’orateur a exigé même l’organisation de sessions de formation, axées sur l’analyse sensorielle des produits de la pêche de Kerkennah ainsi que la certification de la «charfia» comme patrimoine traditionnel et comme technique de pêche spécifique à cette île.
Par ailleurs, l’assistance a été unanime sur l’importance, désormais, d’opter pour une marque collective des produits de la mer, un pas considérable en matière de labélisation dans la mesure où il accélérera la valorisation et la commercialisation de ces produits, comme c’est le cas pour les huîtres françaises. Encore faut-il noter qu’en Tunisie, la labélisation des produits de la mer a été, bel et bien, entamée via deux projets opérationnels, à savoir Food Quality Label pour les sardines transformées et destinées au marché local et le Centre de purification et d’expédition des palourdes destinées à l’exportation. Deux exemples à suivre notamment en matière de labélisation des produits de la mer de Kerkennah.

Délester la mer des nasses en plastique
Mme Géraldine Caprani, représentant la coopération Feamp/ patrimoine a consacré son allocution à la lutte contre la pollution plastique. Les rencontres et les visites sur terrains, effectuées durant la semaine, ont permis de fixer des objectifs clairs. Les partenaires français s’engagent à soutenir un jeune entrepreneur tunisien qui aspire à installer une usine de recyclage du plastique à Kerkennah, ce qui n’est point évident en l’absence d’une zone industrielle, voire d’une infrastructure institutionnelle adaptée dans cette région.
D’un autre côté, une étude scientifique sera réalisée à la base des études et des projets menés jusque-là pour délester la mer de Kerkennah des nasses en plastique, jetées chaque année par milliers. «Il faut mener une grande campagne de sensibilisation pour responsabiliser et les pêcheurs et la population quant à la lutte contre la pollution plastique. L’association «Jeunes sciences de Kerkennah s’en chargera», a-t-elle indiqué. Sur le plan pratique, il convient, selon la concertation des partenaires, de mettre en place des conteneurs de tri dans les trois ports principaux pour la collecte du plastique et donner à ce déchet une valeur ajoutée via la technique du recyclage. «Il s’agit de tout un système à mettre en place», a-t-elle ajouté.

Nourrir le sol avant d’y implanter des palmiers
S’agissant de la perma-culture et de l’agro-écologie à Kerkennah, M. Pierre le Men, responsable du programme Leader, a indiqué qu’il est temps d’inciter les éventuels intéressés par ces techniques de maraîchage à bénéficier de formations adaptées à cet effet. Il convient aussi, à son sens, de faire l’acquisition d’un broyeur pour traiter le sol.
Quant à M. André Trives, permaculteur, il a expliqué le fondement de cette technique, laquelle consiste en l’alimentation du sol et non des plantes. Il existe, d’après lui, différentes techniques de broyage du sol afin de réduire sa salinité et le taux de PH et restituer sa fertilité du sol. Cette technique s’impose dans un territoire aussi détérioré que celui de Kerkennah, ce qui permettrait de réimplanter des palmiers et de restituer la véritable « charfia » et non celle fabriquée en plastique.

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