Que ce soit sur le plan politique ou institutionnel, les ambitions sincères du Président Kaïs Saied risquent de se heurter aux murs d’un Parlement plus que jamais fragmenté et d’une Cour constitutionnelle qui peine à voir le jour.

« Je jure par Dieu Tout-Puissant de sauvegarder l’indépendance de la Tunisie et l’intégrité de son territoire, de respecter sa Constitution et ses lois, de veiller à ses intérêts et de lui être loyal ». Par ce serment prononcé la main droite sur le coran, Kaïs Saied devient officiellement Président de la République tunisienne et devra transformer ses discours en actions et son programme politique en propositions de loi. Même si tout au long de sa campagne électorale il n’a cessé de marteler qu’il n’est pas là « pour vendre des chimères au peuple », il devra néanmoins apporter quelque chose de bien plus concret aux 2,7 millions d’électeurs et à tout le peuple tunisien.

Si l’on devait résumer le programme électoral de Kaïs Saied représenté par la formule « le peuple veut », nous dirions concrètement que le Président de la République proposera au Parlement un amendement constitutionnel. Mais jusqu’à présent, ce sont des idées qui attendent d’être transformées en texte.

D’après ses déclarations sur le sujet, Kais Saied rêve d’une Tunisie où la démocratie est plus directe, où la représentativité commence du local vers le pouvoir central et non le contraire.

Autre point auquel Kais Saied avait accordé beaucoup d’importance en campagne, c’est celui de la révocabilité des élus. Ainsi, selon lui, une personne est élue pour l’accomplissement d’un programme de développement de la localité, mais ceux qui l’ont élu peuvent à tout moment lui retirer leur confiance. Par quels mécanismes compte-t-il s’y prendre ? Cette question reste pour le moment sans réponse.

S’il a été élu avec 72% des suffrages exprimés, c’est beaucoup plus pour ses qualités d’homme intègre ou pour faire barrage à un candidat considéré comme « dangereux » que pour son projet. Du côté des partis qui le soutiennent comme du côté de ses détracteurs, on reste sceptique quant au sérieux de cette proposition politique. « J’attends une feuille de route claire de la part du président » précise Ghazi Chaouachi du parti Al-Tayar. « Je vous le dis clairement si l’amendement de la Constitution est pour lui une priorité, nous nous y opposerons ». Ghazi Chaouachi garde en mémoire l’accouchement difficile de la Constitution de 2014 et espère qu’on ne vivra plus ce genre de traumatismes. 

Dans son discours d’investiture cependant, Kais Saied n’a fait aucune référence à ce projet malgré plusieurs minutes consacrées à la suprématie populaire.

Abdellatif Mekki, influent membre du conseil de la Choura d’Ennahdha, estime de son côté que son parti ne s’opposera pas systématiquement, mais qu’il discutera, sans a priori, n’importe quel projet.

« Il est vrai qu’entre les discours d’intention et les projets concrets, il existe des différences majeures, explique à La Presse Abdellatif Mekki. Une fois que nous avons devant nous une proposition nous l’étudierons en essayant d’éliminer les dispositions dont l’application est difficile ».

Mekki rappelle par ailleurs que la démocratie qui commence par le local avant d’arriver au sommet, est déjà une réalité. « C’est l’esprit même du chapitre 7 de la Constitution, consacré à la décentralisation », tient-il à noter.

Pour sa part, le député Karim Helali (Tahya Tounes) a estimé que la priorité n’est pas un amendement constitutionnel en vue d’un changement du régime politique. « L’amendement constitutionnel nécessite beaucoup de temps, beaucoup d’énergie, un dialogue sociétal et je crois que nous ne pouvons pas se permettre ce luxe actuellement ». Selon lui, la priorité est d’abord aux questions d’ordre économique. « Les trois présidents doivent réunir leurs forces pour atteindre les objectifs sur le plan économique », dit-il.

Que ce soit sur le plan politique ou institutionnel, les ambitions sincères du Président Kaïs Saied risquent de se heurter aux murs d’un Parlement plus que jamais fragmenté. D’autant plus que la Cour constitutionnel, condition absolue pour toute volonté d’amendement, peine à voir le jour.

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