Entretien croisé – avec Chiraz Latiri, directrice générale du Cnci, et Slim Dargachi, SG du Cnci et des JCC. :«Notre hommage à Néjib Ayed»


Lors de la cérémonie de clôture, des propos sur «l’indépendance des JCC» par rapport à l’administration ont été jetés comme un pavé dans la mare. Des propos repris par plusieurs médias. Mme Chiraz Latiri, directrice générale, et M.Slim Dargachi, secrétaire général du Cnci et des JCC, ont répondu à nos questions.


Lors de la cérémonie de clôture, on a parlé de mainmise de l’administration sur le festival, on a brandi «l’indépendance des JCC, loin du carcan de l’administration». A-t-on bien entendu ?
Chiraz Latiri : J’étais personnellement choquée et étonnée par ces phrases qui réclament l’indépendance des JCC alors que nous ne sommes jamais intervenus dans les choix artistiques du festival ou de ses invités. Nous sommes ici pour la mise en œuvre de tout ce programme artistique et on n’intervient que lorsqu’il y a un dépassement par rapport au budget alloué. De par le texte juridique, le Cnci est désigné pour organiser les JCC. Le budget des JCC, cette année, est de 3 millions 946 mille dinars dont 76% proviennent des fonds du ministère des Affaires culturelles et du Cnci. Comment voulez vous qu’on gère les deniers publics ? Comment peut-on parler de «pressions» de la part de l’administration quand on ne fait qu’appliquer les textes qui régissent les consultations et les marchés ? J’ajoute que je ne signe jamais un papier sans l’aval du secrétaire général du Cnci et des JCC M. Slim Dargachi. Aucun document n’a été signé en dehors du cadre administratif.

Slim Dargachi : Parler d’indépendance sous-entend qu’il y a un problème dans la relation du Cnci avec les JCC. Parler d’indépendance, c’est bafouer le combat des artistes cinéastes et producteurs qui ont bataillé pendant des années pour la création d’un Cnci sous forme d’Epna pour accompagner et soutenir le secteur cinématographique.
A titre d’exemple, et pour revenir sur cette édition, parler d’indépendance, c’est ignorer ou ne pas reconnaître le soutien que la direction du Cnci et le ministère de tutelle ont apporté à cette édition. C’est oublier si rapidement l’assistance et les efforts fournis depuis le drame survenu en août dernier qui n’est autre que la douloureuse perte du grand producteur et directeur feu Nejib Ayed. Je ne peux que sortir de mon silence lorsque je vois une injustice pareille à l’égard de l’administration à laquelle je suis fier d’appartenir. Je sors de mon silence lorsque nous sommes pointés du doigt en tant qu’institution qui gère administrativement le festival. Je souhaite préciser que tout ce que nous avons fait pendant cette édition est en premier lieu un engagement et un dévouement en tant qu’administrateurs au service du secteur culturel et deuxièmement pour honorer la mémoire d’un grand monsieur aux côtés duquel nous avons travaillé avec grand plaisir.
Avec feu Nejib Ayed, nous avons travaillé dans un climat saint avec beaucoup de respect et d’amour pour notre travail.
Feu Nejib Ayed respectait et comprenait les contraintes budgétaires qui nous frustraient nous aussi. Les contraintes du budget se gèrent de manière rationnelle et n’oublions pas que cet argent est en grande partie celui du contribuable, nous devrons prendre toutes les responsabilités juridiques dans notre gestion. A ma connaissance, l’indépendance ne doit pas rimer avec ingérence sauf erreur de ma part.
Pour revenir aux choix artistiques et de l’équipe, c’est le directeur des JCC qui choisit la majorité des équipes du festival que ce soit dans l’artistique ou dans l’organisation. L’ordonnateur du budget du festival est le directeur général du Cnci et le compte du festival est au sein du Cnci. C’est pour cela que le Secrétaire général du Cnci est celui des JCC aussi et il veille à la bonne gestion des deniers publics et de la réglementation. Notre rôle est d’engager des dépenses selon les choix du directeur du festival. C’est la relation qui lie le Cnci aux JCC en toute bonne volonté de notre part. Personnellement, je ne pense pas qu’il y a les JCC, d’une part, et le Cnci de l’autre, j’ai toujours eu le sentiment d’être dans une équipe soudée. On travaille vraiment de manière collégiale avec un budget que nous devons respecter. Après le départ de feu Nejib Ayed, la responsabilité était lourde à porter pour tout le monde. Notre rôle au sein de cette équipe était une sorte de médiation.
Aujourd’hui c’est chose facile que d’attaquer l’administration pour paraître en première ligne mais la réalité est toute autre.

Il y a peut-être une volonté politique de transformer les JCC en une institution indépendante et les critiques qui vous ont visés le jour de la clôture ne sont qu’un ballon d’essai…
Chiraz Latiri : Qu’on nous le dise alors et nous serons presque ravis… Cela soulagera le Cnci de quelques mois de travail où il mobilise ses équipes (déjà réduites) et ses moyens pour cette tâche. C’est un travail qui mérite une reconnaissance aussi pour les équipes du Cnci à mon sens. Il ne faut pas oublier non plus les conditions de travail très confortables mises à la disposition des JCC au sein de tout un étage au Cnci ainsi que les charges et les frais qui s’ensuivent. Le fait d’avoir aménagé tout un étage pour les JCC est une manière de reconnaître leur indépendance. Il y a une équipe permanente qui travaille dans ces locaux sur toute l’année avec des contrats.

On vous reproche aussi de ne pas avoir invité des stars ou de vous être opposés à leur présence au festival cette année …
Slim Dargachi : En ce qui concerne ce sujet, nous avons respecté la volonté de feu Nejib Ayed et invité les personnes déjà sélectionnées sur sa liste. Ce n’est pas le Cnci qui choisit les invités du festival. Cela dit, nous estimons que les invités de cette édition sont de vraies stars dans leur domaine. Ceux qui nous le reprochent cherchent peut-être des strass et des paillettes de stars éphémères. Le directeur du festival avait une vision claire à ce sujet qu’il nous a communiquée. Il disait que ce festival est un festival de films d’auteurs engagés et il souhaitait le maintenir de la sorte pour les éditions qu’il présiderait.

En tout cas, on peut parler d’un discours-«surprise» de la part de Mme Ayed lors de la cérémonie de clôture qui vous a particulièrement visés ainsi que le ministère de tutelle…
Chiraz Latiri : Mme Ayed a rejoint l’équipe en tant que coordinatrice auprès du comité directeur. Nous avons mis à sa disposition toutes les conditions nécessaires comme on l’a fait avec Nejib Ayed. En ce qui me concerne, elle n’a pas coordonné avec moi mais peut-être avec le SG, Slim Darguachi. Peut-être qu’elle a demandé des choses que nous avons refusées pour des raisons de budget tout simplement. Que Mme Ayed dans son discours de clôture parle de «pression administratives» et du «carcan de l’administration» et dans le plus profond déni des efforts de l’administration et du ministère me laisse surprise. Je ne demande même pas d’explication puisque je sais ce que mon équipe a fait en collaboration avec celle du ministère et je respecte tous ces efforts. Le Cnci a supporté cette année une tâche très lourde et c’est à l’honneur de la Tunisie que nous avons fait notre travail. C’était aussi notre hommage à Nejib Ayed. Mais c’est plutôt face à cette ingratitude que j’éprouve une colère certaine. Heureusement que j’ai une équipe engagée noble et responsable qui a travaillé pour la mémoire de Nejib Ayed qui avait d’autres rapports avec le Cnci. Si je m’en veux aujourd’hui, c’est parce que que je n’ai pas pu protéger mon équipe, une équipe sur laquelle j’ai mis la pression pour qu’elle ne rechigne devant rien et qui a été humiliée lors de cette soirée. Je considère cela comme un échec. En mon âme et conscience, je pense que mon équipe et moi avons fait le nécessaire avec Mme Ayed. Aujourd’hui la session Nejib Ayed a pris fin et je n’ai pas d’explication à donner à personne à part mon autorité de tutelle.

Vous auriez pu répondre sur-le-champ, pendant la soirée…
Chiraz Latiri : Je ne l’ai pas fait parce que je respecte l’administration et son plus haut représentant qui était présent : le ministre des Affaires culturelles ! Je ne veux pas non plus faire tomber l’image des JCC et de la Tunisie dans le discrédit et réduire tout le travail de fond à un Buzz.

En tant que SG général du Cnci et des JCC quelle est votre réaction à cette intervention de Mme Ayed lors de la clôture ?
Slim Dargachi : Je trouve cette façon très simpliste d’attaquer l’administration. Si ceci est une réponse à tout ce que nous avons fait en tant que Cnci je la remercie pour sa gratitude et reconnaissance à notre engagement.
Moi personnellement, tout ce que je peux vous dire et témoigner, c’est le dévouement que j’ai vu de cette magnifique équipe qui a travaillé aux JCC de mains soudées entre fonctionnaires et indépendants entre directeurs et bénévoles entre comité directeur et chefs de département et je profite de cette interview pour leur exprimer à mon tour une grande reconnaissance car je ne dissocie pas les administratifs de l’équipe des contractuels ils ont tous été à la hauteur.
Je suis entièrement reconnaissant à toutes les personnes qui ont travaillé pour faire réussir cette édition et les mails et appels et remerciements des artistes tunisiens et les invités étrangers ainsi que l’engouement du public sont mon plus grand réconfort. Feu Nejib Ayed est une grande perte pour le cinéma tunisien, il nous a manqué beaucoup dans cette édition en tant que professionnel et un vrai capitaine mais ce qui nous a manqué le plus, c’est son intégrité, sa modestie et sa droiture.

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