Dix années se sont écoulées et la Tunisie cherche encore son modèle de développement.
En somme, il s’agit de réduire les inégalités sociales entre les individus et entre les régions.
C’est clair, net et sans bavure.
Ce qui nous amène à certaines considérations incontournables.
Première considération : efficience économique VS justice sociale.
L’efficience économique et la justice sociale ne sont pas antinomiques. Aucune de ces deux notions n’est exclusive de l’autre, et, il est utile de faire apparaître qu’une meilleure justice sociale est de nature à créer des conditions favorables pour accroître l’efficience économique, laquelle sera elle-même génératrice, créatrice de richesses additionnelles qui vont améliorer davantage la justice sociale.
De ce fait, le côté économique et le côté social ne sont pas des éléments contradictoires, mais complémentaires: ils représentent des préalables l’un à l’autre à moyen et long terme. L’expérience démontre qu’une bonne approche économique conditionne une politique sociale de recherche de bien-être collectif. Réciproquement, une justice sociale, sous-tendue par une politique sociale satisfaisante, constitue un préalable au bon fonctionnement de l’économie. Le chômage est la plus grande des injustices sociales. A ce titre, la croissance économique est la solution à ce fléau: une croissance tirée par les exportations est de ce fait toute indiquée, dans un pays comme la Tunisie, où l’exiguïté du marché local constitue une contrainte supplémentaire à la création d’emplois. Il y a donc complémentarité entre l’efficience économique et la justice sociale, et non pas dilemme comme on l’entend souvent dire. La justice sociale exige l’efficience économique.
Une telle approche, mise en application, constitue un système qui, par essence, cherche à combiner les nécessités d’une bonne performance économique à une bonne politique sociale. Cette approche procède d’une recherche qui n’est pas définitive, mais d’un processus dynamique qui évolue continuellement, compte tenu de l’expérience du passé, et des mutations de l’environnement aussi bien dans le pays qu’au niveau international. En tout état de cause, il importe de considérer un certain nombre d’éléments fondamentaux dans la définition d’un système socle-économique qui réconcilie l’efficience économique et la recherche de la justice sociale :
Deuxième considération : quel environnement
pour quelle entreprise ?
Le premier élément est que la concurrence entre entreprises privées est le moteur de tout système de marché. Les fondements de cette concurrence sont bien connus et vérifiés par l’expérience allemande notamment. La concurrence garantit une allocation optimale des ressources. Elle stimule le progrès technologique en même temps qu’elle constitue l’un des moyens peut-être les plus efficaces de «contrôler toute formation de pouvoir économique dominant sur un marché en même temps qu’il contribue à la formation d’un pouvoir politique incontrôlé et incontrôlable».
Le deuxième élément est que la stabilité des prix est une garantie contre les distorsions structurelles liées à l’inflation et assure le bon fonctionnement de l’ensemble. L’allocation optimale des ressources est impossible à réaliser dans des situations d’inflation galopante, notamment parce que la capacité de financement est détournée de l’investissement productif au profit des placements, notamment (immobiliers et fonciers), et/ou s’expatrie.
Du côté social, il revient à l’Etat de protéger les principes de base. Puisqu’il n’est pas motivé par des intérêts particuliers, il est le seul arbitre, susceptible de garantir la justice sociale.
L’entreprise ne peut pas être construite sur un modèle conflictuel, où l’irréductible conflit d’intérêt des partenaires sociaux au sein de l’entreprise dénature le statut social de l’entreprise. Au contraire, il importe de valoriser les relations d’harmonie et de solidarité entre les partenaires sociaux au sein de l’entreprise, où le jeu n’est pas un jeu à somme nulle.
Dans le système allemand d’économie sociale de marché, outre le rôle de garant des principes de base du système socioéconomique, deux autres fonctions sont dévolues à l’Etat, selon le principe de «substitution» et le principe de la «conformité au marché».
Selon le premier principe, l’Etat ne doit pas intervenir, s’il y a une alternative privée viable en Allemagne. D’après l’expérience vécue en Allemagne avant et après la Seconde Guerre mondiale, il est permis d’affirmer que «l’Etat n’est pas un bon entrepreneur». L’Etat ne doit intervenir que dans les secteurs où l’alternative privée fait défaut.
Si l’Etat juge son intervention indispensable et décide d’intervenir de manière effective, «il ne devra pas toutefois fausser le bon fonctionnement du marché» :
C’est le deuxième principe, celui de «la conformité au marché»
Troisième considération : quel emploi pour quelle entreprise ?
Dans une économie où le droit du travail est trop rigide, «celui qui se trouve à l’intérieur de la citadelle est bien protégé, mais les autres ont bien du mal à y entrer: le nombre l’emporte sur la qualité et l’on est amené à passer du droit du travail au droit au travail. C’est pourquoi il faut ouvrir une brèche.
Conçu pour une minorité coloniale, le Droit du travail tunisien, contient, dès son origine, les germes de sa mise en demeure. Normatif et protecteur, le droit du travail tunisien a institué des règles strictes et assez contraignantes pour l’employeur. Des milliers d’emplois se trouvent actuellement bloqués par des règles contraignantes qui privent l’employeur de sa liberté d’agir en l’empêchant ainsi de prendre les mesures qu’il faut, au moment qu’il faut, dans l’intérêt de l’entreprise et dans celui des salariés. L’on est amené à croire, en conséquence, que par cette réglementation rigide, l’entreprise est obligée de maintenir ses coûts, ses effectifs, et à payer des salaires pour des temps de présence.
Aujourd’hui, pour les pouvoirs publics, la question est de savoir comment résorber le problème du chômage. Plusieurs éléments de réponse peuvent être trouvés dans des expériences vécues dans d’autres pays :
• En Espagne, des décrets ont été promulgués permettant des Contrats à Durée Déterminée allant de 6 mois à 3 ans.
• Dans la gamme des nouvelles formes d’emploi, marquées par une grande flexibilité des durées de travail, on peut citer les contrats mini-max en vigueur en Hollande, le «capovaz», désignant un horaire de travail variant selon les besoins d’exploitation, et mis en place en RFA, le «flexible time» aux USA.
A un autre niveau, celui des rémunérations, les salaires sont loin de constituer une récompense de l’effort individuel, puisqu’ils sont déterminés au niveau de la branche ou du secteur. Au vu de son diplôme, de son profil ou de son ancienneté, le personnel embauché est classé en catégories professionnelles et rémunéré en conséquence. Le salaire est donc déterminé avant même que le salarié n’ait commencé l’exécution du contrat de travail. La volonté d’un meilleur rendement est «d’emblée chassée des habitudes des travailleurs».
•D’une partie fixe déterminée en fonction du salaire du marché (supérieure ou égale au salaire conventionnel).
•D’une partie variable servie, si possible en fonction du résultat de l’entreprise, du taux d’inflation et des gains de productivité réalisés.
Quatrième considération : quelle formation
pour quels emplois productifs ?
L’efficacité et l’efficience de l’appareil de production ne peuvent être obtenues qu’à partir d’une bonne allocation des ressources disponibles, dont notamment la qualification et la compétence du facteur travail. Ce qui assigne au système de la formation et de la qualification professionnelle un rôle de plus en plus important, en tant qu’une des composantes essentielles du développement économique.
Dans l’esprit du planificateur tunisien, «le système de la formation et de la Qualification Professionnelle n’était qu’un simple pourvoyeur de main-d’œuvre qualifiée» nécessaire à une économie en développement selon un schéma classique de l’organisation du travail.
La politique de l’emploi en Tunisie a toujours consisté en une politique sociale, où «l’efficience économique est reléguée au second plan». Or, logiquement, la recherche de l’efficience économique a toutes les chances de réduire les tensions sur le marché du travail.
L’évolution dans un monde en mutation technologique et technique quasi permanente, poussant les systèmes de production à la maîtrise des process et à l’intégration économique, ne justifie plus l’acquisition des qualifications ni par le simple jeu d’un apprentissage «traditionnel sur le tas» ni par un enseignement scholastique, mais par un système global d’éducation-formation-qualifications adéquat. Or, le système tunisien de formation est vétuste: il ne répond plus ni en qualité ni en quantité aux besoins exprimés par les entreprises en matière d’emplois. Le fait est qu’aujourd’hui, au niveau global, en plus du déséquilibre quantitatif, il y a un déséquilibre qualitatif, au niveau de la segmentation de l’offre de travail.
Face à la réalité économique et aux défis en matière d’intégration industrielle, à la délocalisation des systèmes économiques dominants et à la nécessité de maîtriser des niveaux de plus en plus élevés de la technologie, le rôle de la Formation et de la Qualification Professionnelle devrait évoluer et suivre les mutations envisagées du système éducatif et de sa réforme. La logique des mutations passées et en cours exige un nouveau départ: la définition d’une nouvelle stratégie basée sur une analyse objective de la situation actuelle et sur la conception d’un véritable système de Formation et de Qualification professionnelle.
Le nouveau rôle assigné au système de Formation et de Qualification Professionnelle, le positionnerait comme l’interface entre le système éducatif et le marché de l’Emploi, dans un système global Education- formation- Qualification-Emploi.
La prise en considération du contexte socio-économique actuel caractérisé par des transformations profondes impose au système de Formation et de Qualification Professionnelle un rôle non plus de correspondant du marché du travail mais d’instrument actif du changement.
L’approche devrait consister en la mise en place d’un système où l’entreprise privée est au centre, avec comme objectif, la recherche de l’efficience économique. Trois axes seraient à retenir :
•La formation de base: elle doit rester sous la responsabilité de l’Etat. L’école doit préparer les jeunes à la vie active.
•La formation: elle doit procéder d’une logique de production. L’entreprise est la première concernée par le progrès technique et donc par ce type de formation. Elle a donc à intervenir à ce stade de la formation.
•La formation permanente: elle doit permettre de recycler et parfaire les qualifications des personnels en exercice. Actuellement assurée en partie par des organismes privés, qui subissent une concurrence pour le moins déloyale dans certains cas.
Au niveau de la formation, comme à celui de tant d’autres, l’entreprise doit être libérée des contraintes administratives. Elle doit décider seule ce qu’elle doit faire en matière de formation.

A suivre : La Tunisie du milieu (3) : quel système pour quelle économie sociale ?

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