Entretien du lundi avec Majdi Lakhdar, réalisateur d’« Avant qu’il ne soit trop tard », actuellement en salle : Drame anxiogène


Présenté lors d’une séance spéciale à l’occasion de la 30e édition des Journées cinématographiques de Carthage, « Avant qu’il ne soit trop tard » n’a pas tardé à sortir dans les salles tunisiennes avec en tête d’affiche Raouf Ben Amor, Rabia Ben Abdallah, Majd Mastoura et Salma Mahjoubi. Majdi Lahkdar, son jeune réalisateur, nous révèle les dessous du tournage de son premier film peu avant sa projection programmée lors de la semaine de la critique au « Cairo International Film Festival ».


Votre premier long métrage est un huis clos cinématographique. Comment s’est déroulée cette aventure professionnelle ?

Il y a eu, tout d’abord, de ma part, cette volonté d’enfermer les membres de cette famille et de les pousser à communiquer. Le problème majeur de cette famille est l’absence totale de communication, et ce, indépendamment de leur situation économique et sociale. Il y a une distance entre le père et sa famille, une distance due à une situation délicate, voire périlleuse, devenue pesante avec le temps. Il y a absence de recours total pour une meilleure situation. Il a fallu une puissance, une force plus grande pour changer les choses, les rapprocher quitte à créer un environnement chaotique qui leur permettrait de collaborer, de s’entraider, d’échanger. Ensemble, ils pourraient reconstruire leurs rapports. Le père passait son temps à s’occuper du sort de la maison, d’un trésor, de son travail et de sa situation matérielle et sociale critique. Donc, le huis clos était une nécessité pour moi, pas seulement dramatique, mais aussi, thématique et morale.

Dans le film, le choix de la caméra interpelle. Qu’est-ce qu’une caméra subjective ?

La caméra subjective est le point de vue. C’est une technique utilisée dans tous les films. Elle indique le point de vue : que regarde le personnage qu’on est en train de filmer ? Une technique qui suit le regard. Le personnage parle avec la caméra. L’histoire se passe pendant une journée, dans un seul lieu. Cette journée est décisive pour le sort de cette famille. Je tenais à ce qu’on vive cette journée dans ses moindres détails, avec les personnages. En même temps, je voulais qu’on sache comment se perçoivent les personnages entre eux sans que les spectateurs puissent émettre de jugements. Que les spectateurs comprennent les agissements des personnages, parviennent à les cerner jusqu’à s’identifier aussi à eux.

D’une manière globale, peut-on en savoir plus sur le plan technique ?

Il y a une seule caméra. 6 mois de préparation, seul pour préparer un document : entre bandes dessinées et le découpage technique pour que je puisse utiliser la caméra subjective. Ensuite, il y a eu un mois de préparation avec l’équipe technique, 3 semaines de répétition avec les acteurs qui viennent à chaque fois porter les habits de tournage, maquillage, lumière, éclairage. On a même démoli le toit, simulé un incendie, crée une boule de feu… Au fur à mesure, tout le monde s’est adapté à cette caméra.

C’était sans doute un exercice rude pour les acteurs …

Effectivement, pour les acteurs, c’était très difficile. Sur le plan physique certes, mais également mental. Les effets spéciaux et le décor étaient difficiles à cerner : il y a eu des acrobaties à faire d’un décor à un autre. L’exercice mental difficile était de tourner, pas devant, mais avec la caméra. J’ai ressenti une frustration chez les acteurs, par moments. C’était une guerre des nerfs. Mais je m’y attendais. La séquence du dîner était la plus longue à tourner par exemple : six heures. Tout en gardant dans la tête que l’acteur ne devait pas s’arrêter de jouer même derrière la caméra. C’était une sorte d’enchaînement dure à tenir jusqu’au bout. Quand il y a des sautes d’humeur, il fallait l’accepter, calmer les tensions. Il y a un équilibre qui a été créé entre les acteurs, une présence qui nous a été bénéfique, celle de Raouf Ben Amor. Il a pris en considération ma modeste expérience, mon jeune âge. J’étais celui qui avait le moins de poids par rapport aux acteurs. J’ai pu parallèlement me focaliser sur la synchro : caméra subjective et effets spéciaux, c’était dur à gérer d’un acteur à un autre. J’ai dû déléguer beaucoup de tâches au premier assistant, au producteur. Dans ce genre de films, il y a des postes en Tunisie qu’on n’a pas, comme les conseillers, « les supervisors ». Sans compter les 16 jours de tournage seulement qu’il ne fallait pas dépasser. Si j’avais eu plus d’expérience et ou si c’était mon 2e long film, je l’aurais bouclé en 13 jours.

On est curieux d’en savoir plus sur le décor …

On a tourné dans une maison centenaire à Montfleury. On m’a proposé de nombreuses maisons pendant le repérage : je suis parti à la découverte. Il y en avait une autre qui m’a paru intéressante : elle était dotée d’un sous-sol adapté, mais le souci c’est qu’on ne pouvait pas filmer comme on le voulait à l’intérieur. On a dû donc changer.

Pour le spectateur, l’atmosphère était étouffante … Est-ce dû à l’étroitesse réelle des lieux ?

Le degré de difficulté varie. Quand le personnage d’Ali sortait du placard, c’était une séquence éprouvante qu’on a dû refaire plusieurs fois. Raouf Ben Amor, le cadreur, pointeur,  « perchman » dans un placard, etc. Il faut qu’ils soient tous synchro avec des manœuvres précises. C’est un passage de 15 secondes dans le film et pourtant, c’était la séquence la plus dure à réaliser.

Pour le casting, comment s’est fait le choix des acteurs ?

Le producteur et le premier assistant ont proposé des noms. Raouf Ben Amor, je l’avais en tête depuis l’écriture du scénario, dès le départ. Pour les autres personnages, je pensais à des visages familiers. Le choix des acteurs s’est fait intuitivement. Le producteur a proposé des noms connus, et il fallait jongler. Rabia Ben Abdallah a un effet « come-back ». Le choix globalement s’est fait au feeling.

Après cette sortie nationale, qu’est-ce que vous avez au programme ?

Le film passe au « Cairo International Film festival » dans la semaine de la critique. J’y serai pour la première fois avec mon premier long métrage. Cette année, je vais découvrir ce que c’est qu’être en compétition dans la catégorie A et j’espère avoir de bonnes surprises prochainement.

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