Et de deux ! Fadhel Jaziri «récidive» encore une fois avec un spectacle entièrement dédié au malouf. Ce fut samedi dernier, à la Bonbonnière, avec «Arboune 2». Conservateurs, s’abstenir…
C’est avec un tollé de critiques acerbes et d’indignations qu’a été reçu Ezzaza par les musicologues et les traditionalistes. Présenté le 9 Juillet 2005, à l’ouverture de la 41e session du Festival international de Carthage et à l’occasion du 70e anniversaire de la Rachidya, ce méga-spectacle, haut en raffinement et en justesse, a été considéré comme «blasphématoire», une atteinte au patrimoine musical savant, lequel a été «malmené» par Fadhel Jaziri, selon les dires de certains.
Pourtant, le metteur en scène a voulu mettre sur le même piédestal la musique classique tunisienne et celle européenne, combiner ces deux expressions musicales savantes et donner une amplitude à une musique qui est en train de disparaître : le malouf. Pour lui, il était important de montrer aussi que les modes tunisiens acceptaient des transformations d’instrumentations différentes et supportaient une lecture relativement libre…
Dans «Arboune 2», Fadhel Jaziri réitère avec le même principe, mais avec une approche et un format tout à fait différents de ceux d’Ezzaza. Cette fois, il a encore poussé le bouchon plus loin se donnant une liberté des plus totales.
Expérimental et décalé…
Vingt-trois titres connus du répertoire du malouf, raccourcis et interprétés par dix jeunes artistes de l’Institut de musique de Tunis dont le baryton Haythem Hadhiri, chef de file du groupe. Côté musical, on a fait disparaître, comme par magie le fameux takht (l’orchestre arabe de musique savante) propre au malouf, ne gardant qu’un oud… électrique ! Place alors à la basse, au piano, aux guitares, au violon et aux percussions non orientales. L’arrangement, vous l’avez certainement deviné, est complètement occidental avec quelques clins d’œil à des œuvres classiques. Une musique complètement expérimentale battant en brèche toutes les conventions et toutes les règles de notre malouf tel que nous le connaissons à travers la Rachidiya ou à travers les concerts de Zied Gharsa, mais qui montre également une grande perméabilité musicale et technique de ce répertoire duquel on n’a presque récupéré que les paroles.
Quant à la mise en scène, pas de grands chichis : l’axiome de base n’est plus une fête de mariage comme pour Ezzaza, mais des répétitions. Oui, des répétitions en bonne et due forme. Le public se trouve ainsi, à la fois, dans et hors le spectacle, vivant certaines coulisses des musiciens avec tous leurs débordements. Il ne faut pas pour autant croire à la spontanéité. Il s’agit d’un parti pris artistique qui offre au public quelques éléments de «forja» bien qu’il ne s’agisse pas d’un spectacle total : le tout a été imaginé et bien théâtralisé par Fadhel Jaziri, à la lettre et au geste près, nous pouvons l’imaginer… Nous regrettons seulement que Haythem Lahdhiri est allé, parfois, un peu trop dans le sur-jeu ôtant une partie de la spontanéité si légère des autres.
Un «chghol» exportable…
Sans doute aucun, «Arboune 2» est un spectacle résolument actuel et contemporain dans son sens conceptuel. Le rendu est on ne peut plus original, avec un brin d’humour, beaucoup de gaieté et de fraîcheur, et surtout, très décalé. Vous l’avez bien deviné : il est loin d’être dans le conventionnel, bien plus qu’Ezzaza !
Dans ce nouveau «chghol» (travail), Fadhel Jaziri nous propose, encore une fois, une autre vision du malouf. La sienne. Encore une fois, il soulève la problématique si épineuse de la conservation du patrimoine, en l’occurrence musical, et créera comme d’habitude, la controverse. Il a osé, comme il l’a toujours fait…
A notre avis, «Arboune 2» offre un regard nouveau et une conception contemporaine du patrimoine musical savant, une autre alternative version jeunes (et moins jeunes également), une alternative exportable surtout, qui a toute sa place sur la scène musicale tunisienne, et nous l’espérons, internationale également.