Portrait-Emna Kahouaji, artiste visuelle : Entre deuil et envie d’exister, une artiste est née!


Elle présente, depuis le 12 novembre et jusqu’au 9 décembre, sa première exposition personnelle «Azal» (Eternité) à la Galerie Aire libre d’El Teatro en hommage à son défunt père, le poète de Kairouan Houcine Kahouaji. Retenez bien son nom, Emna Kahouaji distille une figuration mélancolique et fantasmée. Elle est déterminée à s’épanouir dans son art en cherchant tous les moyens pour évoluer et en s’entourant de gens avisés et avertis. C’est, d’ailleurs, ce qu’elle a fait en ayant comme coach et mentor l’agitateur culturel et galeriste Mahmoud Chalbi qui, comme ce fut le cas pour de nombreux autres jeunes artistes avant elle, a encadré son éclosion artistique.

A presque 29 ans, Emna est calme, posée, raisonnée, très sensible, dosant avec naturel et délicatesse la fougue et la folie de son âge et son lot de raison et de discipline. Un fin dosage qui se manifeste, d’ailleurs, dans son œuvre qui se veut surréaliste et rationnelle à la fois.

Née le 26 janvier 1991 à Kairouan, Emna grandit aux rythmes des vers et autre prose d’un père poète qui a voué toute son existence à son art: Houcine Kahouaji (1959-2017) s’est consacré entièrement à l’écriture. Il a laissé derrière lui, outre sa contribution, dans les années 70, dans l’écriture de pièces pour la troupe de théâtre de sa ville natale Kairouan, plusieurs recueils de poésie et autres romans . De quoi inspirer les jeunes années de Emna qui a suivi les pas de son papa en choisissant la route, pas toujours évidente, de l’art. Après son bac, elle s’inscrit à l’école des beaux-arts de Tunis et obtient une licence en peinture en 2014. En 2017 , elle poursuit un master en patrimoine traditionnel de la Faculté des sciences humaines et sociales 9 Avril.

Emna a participé régulièrement à des expositions collectives, particulièrement à l’Aire libre d’El Teatro (Variations des sens, Art Neuf, le retour, Autour d’Antigone…) mais aussi et entre autres au Palais Kheireddine et le Palais Abdelia. Elle a, également, pris part aux rencontres et symposiums de Ken (hommage à Belkhodja 2017, hommage à Bouabana 2019) à Sidi Bou Saïd en 2015, Kairouan en 2017 et Zarzis 2018.

S’ouvrant à d’autres expériences et explorant d’autres pistes, elle a animé plusieurs ateliers d’arts plastiques pour enfants et a été coloriste sur un court métrage d’animation (Briska) de Nadia Rais. En 2017, elle obtient le prix du jury au festival tunisien ‘‘Chouftouhonna’’.
De quoi préparer le terrain et gagner en maturité et pouvoir ainsi prétendre à une exposition personnelle. «Azal» est venue surtout pour rendre hommage à son père. 2 ans après son décès, sa poésie est remise au goût du jour, pour revivre à travers les peintures de sa fille.

Les mots de son papa comme source et commencement, elle s’y abreuve, s’y imprègne en invoquant souvenirs d’enfance et autres récits paternels. Emna a gardé en tête le projet d’exposer à Kairouan dont elle avait parlé avec son père, dans un espace d’exposition qu’elle avait l’habitude, petite, de visiter avec lui. La vie en a décidé autrement et la jeune fille a entamé son deuil en accouchant dans la douleur de quelques oeuvres une semaine après la disparition de son père. «Je ne pouvais pas me contenter de parler de lui uniquement, j’ai préféré adapter picturalement ses vers», nous dit-elle.

Une manière d’établir une sorte de dialogue posthume entre eux, lui offrir un requiem pictural, mais pas que cela. Car comme le note Mahmoud Chalbi : « La couleur dominante de ses œuvres, le noir, n’exprime pas seulement le deuil, le manque et l’absence, mais la profondeur des souffrances de la catharsis et des tiraillements de la nuit. Pour contrer cette ouverture aventureuse sur l’irrationnel, elle introduit dans ses compositions des motifs géométriques, des carreaux d’enfance, des cloisons dédaliques et des cadres dans le cadre, pour mieux sublimer ses personnages et autres figures animales, souvent solitaires ou entourés de quelques objets à portée symbolique où la présence du livre domine» et d’ajouter plus loin: «Je pense que par sa démarche, Emna arrive à transcender le tombeau mystique, à exorciser les traces de la mort de son père soufi et à baliser son propre chemin en quête de son moi indélégable».

De l’affect, de l’émotion sans mesure, un univers fantasmé, qu’elle a toujours cultivé, un côté Frida Kahlo avec cette approche cathartique, mélancolique et écorchée, une belle technicité qui s’affirmera avec l’expérience, et surtout la conscience que pour parvenir à s’épanouir dans son art, loin de tout misérabilisme et victimisme, comme elle le souligne , il faut d’abord prendre le temps de sculpter sa pratique, pour ne pas se disperser et pouvoir, par la suite, s’ouvrir à différentes expériences et faire de son mieux pour créer les bonnes conditions et les moyens pour parvenir à nourrir ses aspirations artistiques. Bon vent Emna.

 

 

(crédit photo : Malek Khemiri)

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