Ils continuent à travailler après la retraite

Le travail n’a pas de date limite ou une date d’expiration pour une grande majorité de Tunisiens qui refusent de partir à la retraite soit par attachement à leur profession, soit pour des raisons économiques. La cessation de l’activité professionnelle est très douloureuse,c’est pourquoi l’envie de trouver un autre job après la retraite l’emporte beaucoup plus aujourd’hui sur une attitude résignée et passive qui a longtemps dominé dans le pays et qui a fait que le retraité se contente de sa pension et se cantonne dans un mode de vie marqué par les rites religieux, rien de plus.

Le douloureux sevrage
«Après avoir filé droit, voici le temps de tourner en rond».On ignore l’auteur de cette citation, mais il est vrai qu’il a vu juste car il s’agit de la retraite, ce moment fatidique qui rappelle la vanité de notre existence. Arrivé au bout du chemin après tant d’années de labeur, on reste planté durant les premiers jours qui suivent l’arrêt du travail, ne sachant comment souffrir le fardeau de l’ennui qui nous écrase à longueur de journées. Péniblement, on se retire de la vie active pour faire, chaque jour, les mêmes gestes qui nous plongent dans un état d’apathie. On devient beaucoup plus visible sur les bancs publics et le rythme effréné de la vie est déjà loin derrière nous.

Toutefois, plusieurs d’entre nous refusent, le jour où ils accèdent au statut de retraité, de baisser les bras et de courber l’échine. De plus en plus de Tunisiens font le choix de reprendre une activité professionnelle. Faire d’une pierre deux coups. D’une part se remettre à travailler et donc ne pas se sentir comme une loque humaine et d’autre part s’assurer un salaire complémentaire en plus de la pension de retraite, ce qui va permettre de faire face à la cherté de la vie et la détérioration du pouvoir d’achat.

La nouvelle loi, qui a permis l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, a constitué une perche de salut pour plusieurs personnes qui refusent de partir à la retraite, notamment pour les militaires qui étaient appelés à quitter leur fonction à 55 ans. La cessation de l’activité professionnelle est très douloureuse et la période de sevrage est très difficile à surmonter pour la majorité, ce qui pousse certains à garder le même train de vie et s’habiller de la même façon (surtout pour les hommes) durant les premiers jours qui suivent le départ à la retraite. Comme si rien n’a changé et qu’ils refusaient ce nouveau statut «avilissant».

Beaucoup d’anecdotes sont racontées en rapport avec le refus de départ à la retraite, comme ce chef de service qui relève de la Steg qui a contacté son administration une vingtaine de jours après pour demander de le réintégrer au travail sans percevoir de salaire, ou ce fonctionnaire qui a continué à prendre le train, tôt le matin et à la même heure, en direction de son ancien lieu de travail, comme s’il était toujours en fonction !

Sans travail, je suis déstabilisé
D’aucuns pensent aujourd’hui que le travail assure une vie bien active et confère plus d’équilibre à la personne qui part à la retraite. D’ici 2024, notre pays comptera 1 million 250 mille retraités, selon une étude publiée en octobre dernier par l’Institut tunisien des études stratégiques (Ites) sous le titre «Quel avenir pour les retraités en Tunisie». Si cette étude tente d’élaborer une typologie des comportements de cette frange de la population pendant la retraite, il va sans dire que la plupart des personnes qui sont avisées par le départ à la retraite sentent comme un malaise à l’idée de quitter définitivement le travail.

C’est comme un grand moment de deuil que j’ai vécu en quittant mon bureau, nous a confié l’un des directeurs dans un ministère régalien parti à la retraite l’année dernière. «Une sensation bizarre s’est emparée de moi après tant d’années de travail. C’est comme si le temps s’est arrêté et pour un moment, j’ai vu toute ma vie professionnelle défiler devant mes yeux. Dieu merci, j’ai repris mes esprits, je n’ai pas mis beaucoup de temps pour retrouver un nouvel emploi synonyme d’une résurrection pour moi».

Spécialiste en sécurité et en sûreté, il a été récupéré par une grande entreprise bancaire à Tunis. Aujourd’hui, il a retrouvé un certain équilibre grâce à son nouveau poste nonobstant un rythme de travail effréné et une grande part de responsabilité assumée. «Sans travail, je ne vaux rien et je suis même déstabilisé», avoue-t-il. «Ce n’est pas ce salaire supplémentaire qui me donne plus de confort, mais c’est le fait de nouer de nouvelles amitiés et de d’affronter chaque jour de nouveaux défis, ce qui est synonyme de contact avec la vie. C’est cela qui importe beaucoup plus».

L’angoisse de ne plus être utile dans la société
Beaucoup ont dépassé l’âge de départ à la retraite mais refusent d’abdiquer soit par addiction au travail ou pour des raisons économiques. Ancien caissier dans une grande surface, Chokri N., âgé pourtant de 70 ans, refuse de couper le cordon ombilical avec les clients. Il a accepté de travailler dans une boîte privée de télécommunication.

Il passe des heures et des heures à orienter les clients vers les guichets sans se lasser. «Le salaire perçu à la fin du mois ne vaut rien devant la sensation de servir à quelque chose», fait-il savoir malgré quelques signes de vieillissement qui trahissent sa volonté de rester debout jusqu’à la fin. Il y a toujours la peur de se lever tôt le matin pour rester les bras croisés à ne rien faire et à regarder le temps passer qui hante les esprits des personnes accros au travail.

L’affirmation de soi passe inéluctablement par le travail et tout arrêt de travail est synonyme d’arrêt de vie. «Je ne lâcherai jamais», martèle un ancien professeur qui continue à donner des cours de soutien malgré les rides qui flétrissent son visage et ses yeux cernés par la fatigue. Avec son véhicule qui rappelle les voitures de collection, il continue à donner des cours de maths à domicile, préférant faire plusieurs déplacements durant la journée que de rester enfermé entre quatre murs. «Ce qui compte le plus, c’est la volonté de continuer sa route et de reprendre le chemin du travail après la retraite», affirme-t-il.

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