La proposition d’un fonds de la Zakat rejetée : Entre efficacité économique et débats identitaires  


Le parti Ennahdha s’est activé pour concrétiser sa promesse électorale portant sur la création d’un fonds de la zakat mais a essuyé un premier échec à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Au-delà d’une simple opération de vote pour un projet de loi, le débat s’est rapidement transformé en une polémique sur le projet sociétal de la Tunisie. S’agit-il d’un modèle progressiste qui met en avant les valeurs modernistes ou d’un projet conservateur qui s’attache à des références religieuses et traditionnelles? En tout cas, si ce débat identitaire et idéologique, largement ouvert juste après la révolution avec la montée des courants islamistes et conservateurs, semble à un certain moment clos, il reprend aujourd’hui de plus belle.


Mardi dernier, le mouvement Ennahdha a échoué à faire passer un projet de loi portant sur la création d’un fonds de la zakat. En effet, soumise par le bloc parlementaire d’Ennahdha, la proposition a été rejetée par 93 députés, contre 74 voix pour et 17 abstentions. Même si Ennahdha a expliqué que ce fonds sera supervisé par un organisme national représenté par la présidence du gouvernement, les ministères des Finances, des Affaires sociales et religieuses, l’Instance de lutte contre la corruption (Inlucc), l’Université Zitouna, l’instance de l’Ifta et l’Association tunisienne des sciences de la zakat, il n’est pas parvenu à convaincre le Parlement de son utilité économique et son efficacité sociale.

Expliquant qu’un tel fonds pourrait générer des revenus annuels estimés à 2 milliards de dinars destinés notamment aux classes vulnérables et aux familles démunies en offrant des bourses aux élèves, étudiants, jeunes chômeurs et orphelins, tout en encourageant les initiatives économiques des chômeurs, le fonds sous cette forme ne sera pas créé, d’autant plus que plusieurs députés ont assuré que cette proposition marque une interférence entre les aspects politique et religieux de la société tunisienne.
Si pour les observateurs, ce rejet constitue une première claque retentissante au parti Ennahadha et à sa capacité à faire passer ses projets de loi, le mouvement de Rached Ghannouchi ne baisse pas le bras et promet une nouvelle tentative sous une autre forme. Mais au-delà de son aspect religieux, faut-il instituer la collecte des fonds de la zakat en Tunisie ? Est-il nécessaire aujourd’hui de réglementer cette activité et la soumettre à des mécanismes de contrôle étatique ?

En tout cas, même si le sujet ne constitue pas une priorité dans cette phase politique, marquée par le processus de formation du nouveau gouvernement, et économique liée à la discussion et à l’adoption de la loi de finances pour l’année 2020, des voix se sont élevées pour appeler à la réglementation de cette activité pour, d’une part, appuyer les revenus de l’Etat en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté et, d’autre part, optimiser la distribution de ces aides financières auprès des familles les plus démunies.

Un nouveau fonds 26/26 (FNS)
Utile ou pas utile ? Cette proposition a soulevé plusieurs interrogations de la part des citoyens mais aussi dans les rangs des politiciens. Pour certains, ce fonds sera simplement une nouvelle incarnation du Fonds de solidarité nationale (FSN) qui était, sous le régime de Ben Ali, une institution gouvernementale destinée à la collecte de fonds afin de permettre des investissements publics dans des programmes et projets de réduction de la pauvreté. Doté d’environ 0,1 % du PIB, il était généralement connu sous son numéro de compte postal : 26-26. Mais cette caisse s’est rapidement transformée en un moyen de détournement de fonds et de corruption.

Répondant à cette polémique, Noureddine Bhiri, président du bloc parlementaire d’Ennahdha, a souligné que le «Fonds zakat» ne ressemblait en rien au Fonds 26/26. Pour lui, ces fonds seront destinés aux classes vulnérables et aux familles démunies et sera supervisé d’une manière participative pour éviter des soupçons de corruption.

Mais d’un point de vue purement économique et loin de toute interprétation religieuse, cette initiative législative n’a pas précisé si les contributions de ce fonds se feront d’une manière obligatoire ou optionnelle. S’agit-il d’une nouvelle charge fiscale qui sera imposée aux citoyens et aux industriels, commerçants et agriculteurs ? En tout cas, ni les particuliers, ni les entreprises ne pourront faire face à une éventuelle augmentation de la pression fiscale, qui est, en Tunisie, l’une des plus élevées au monde.

D’ailleurs, une éventuelle obligation fiscale supplémentaire ne pourra, en aucun cas, améliorer la conjoncture socioéconomique du pays, alors que le contribuable ne cesse d’appeler à alléger le système de fiscalité en Tunisie, et les entreprises appellent à de nouveaux allégements fiscaux. De toute façon, si en finance islamique, la zakat, qui désigne l’obligation pour un musulman de concéder chaque année un montant précis de sa richesse personnelle par charité, elle lui laisse le choix de l’offrir à qui il veut.

Ça existe déjà ! 
Même si cette proposition législative n’est pas parvenue à créer un tel fonds dont les modalités et fonctionnement ne sont pas clairs, elle a réussi à rouvrir les débats identitaires et idéologiques qui ont, pourtant, régressé considérablement depuis 2014, avec la promulgation de la Constitution tunisienne qui a déterminé la nature de l’Etat tunisien, en renforçant son caractère civil.

Dans ce contexte marqué par la polémique et les interrogations, il faut rappeler qu’un tel fonds a été créé il y a quelques semaines dans la banlieue nord de Tunis. En effet, Fethi Laâyouni, maire de la ville du Kram, avait annoncé, en novembre dernier, la création d’un fonds pour la zakat. Pour lui, il s’agit d’une mesure qui intervient conformément à la Constitution stipulant le respect de la jurisprudence islamique, mais aussi à la loi 29 autorisant «aux collectivités locales de créer des fonds dédiés au financement des projets publics et les services vitaux».

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