l’invité – Mohamed Ali Ben Mansour, ancien ailier international du COT : «Le papillon s’est envolé !»


Le soliste du Club Olympique des Transports constituait à lui seul un bonheur pour les puristes. Mohamed Ali Ben Mansour a porté le dribble au rang d’une institution à tel point qu’il a été surnommé «Fartattou» (Papillon). Son premier match avec les seniors, il l’a passé, admiratif, à regarder jouer son idole Noureddine Diwa qui était pourtant dans l’équipe adverse, l’EST.
«Vous ne pouvez pas imaginer quel bonheur j’ai ressenti alors. Un rêve se concrétisait pour moi: jouer contre un tel phénomène», raconte-t-il plus d’un demi-siècle plus tard.
Il n’en reste pas moins que l’enfant de Bab Jedid, qui a évolué à tous les postes de l’attaque, se considère malchanceux, notamment dans sa carrière internationale. On a senti chez lui une blessure qui ne s’est jamais complètement refermée. «J’aurais pu être de la campagne fabuleuse d’Izmir, en 1971, mais le sélectionneur Ameur Hizem préféra m’écarter à la dernière minute, convoquant à ma place le Stadiste Faouzi Dahmani, le beau-frère d’Attouga», regrette-t-il.


Mohamed Ali Ben Mansour, tout d’abord, racontez-nous d’où vous vient le surnom de Fartattou» (Papillon)
Des matches inter-quartiers. Comme tous les jeunes de mon époque, je passais des heures et des heures à jouer au foot dans le quartier. Le plus talentueux dans chaque équipe fait en même temps le capitaine, l’entraîneur, ou ce qui y ressemble : «Vous allez marquer tel joueur; quant à vous, vous allez jouer avant-centre…». Dans l’équipe adverse, quand il donne à quelqu’un pour consigne de me marquer, celui-ci lui répond : «Non, merci, Ben Mansour est insaisissable, on ne le retient jamais. Donnez-moi un autre rôle. Mohamed Ali s’envole comme un papillon. Sinon, ses dribbles me font sentir «l’odeur de la terre», et font amuser les gens à mes dépens!». Mon père construisait alors notre maison à Hay Erraoudha. Je venais avec mon équipe du quartier Bab Jedid.

Justement, le paradoxe veut que vous soyez né au quartier de Bab Jedid, fief du Club Africain, que vous soyez un supporter de l’Espérance Sportive de Tunis, et que vous ayez signé au Club Olympique des Transports.
Mektoub. Pourtant, toute ma famille était clubiste. Sauf moi qui étais espérantiste. En allant à dix ans nous installer à Hay Erraoudha, j’y ai trouvé mes copains de quartier qui jouaient déjà au COT. Ils me recommandèrent d’aller rejoindre ce club, ce qui fut fait. Et c’est feu Hmid Dhib qui me prit en charge, me donnant l’envie de percer. Pourtant, je n’ai jamais pensé devenir un jour footballeur.

Quelle était votre idole de jeune footballeur en herbe ?
Nous étions dans la famille cinq filles et deux garçons. Mon frère aîné me consacrait beaucoup de temps. Le Stade Tunisien évoluait alors au stade du Bardo. Mon frère aîné m’y portait voir évoluer le ST. J’y allais un peu à contre-coeur, car je préférais suivre l’Espérance et ses vedettes Ben Ezzeddine, Tlemçani…. Pourtant, je rentrais du stade du Bardo tout content d’avoir vu à l’œuvre un phénomène nommé Noureddine Diwa. A la place de Bab Jedid, je regardais jouer les Attouga, Chaïbi, Youssef El Khal… Diwa a fini par être l’idole qui me faisait rêver. Il habitait Rahbet Leghnam. Quand il «descendait» au café Ahmed Gaha, à Bab Jedid, je le suivais jusqu’au café. Ironie du sort, mon premier match seniors, en 1968-69, je l’ai passé admiratif à regarder jouer «Noura» qui était pourtant dans l’équipe adverse, l’EST, et qui venait de rentrer de Limoges, en France. Mon entraîneur Hmid Dhib me disait : «Voilà, tu vas être gâté, tu vas jouer contre Diwa». Vous ne pouvez pas imaginer quel bonheur j’ai ressenti alors. Un rêve se concrétisait pour moi: jouer contre un tel phénomène. Nous avons gagné (2-0).

Vos parents vous-ont ils encouragé à pratiquer le foot ?
Tout jeune, ils me disaient qu’il fallait accorder la priorité aux études. Quand j’ai grandi, les amis de mon père Boubaker lui disaient qu’il a un grand footballeur. Nous sommes une famille gabésienne. A un certain moment, mon père a travaillé surveillant médical à Sousse. D’où son amour pour l’Etoile Sportive du Sahel. D’ailleurs, il était grand ami avec Ismaiel Triki, le journaliste qui retransmettait les rencontres de Sousse à la radio.

Comment vous était venu l’art du dribble qui vous distingue ?
C’est un don divin. J’ai le dribble facile. J’ai énormément appris de Noureddine Diwa dans les rencontres auxquelles m’emmenait mon frère. Je crois que Jamel Limam a été notre héritier dans cet art-là. En sélection, je venais aux côtés de Tahar Chaïbi pour voir en quoi il est meilleur que moi. J’ai trouvé chez lui pratiquement la même vitesse. Hmid Dhib disait aux cadres de notre équipe : «Quand Ben Mansour part en dribbles, que personne ne le critique pour avoir monopolisé trop longtemps le ballon. Parce que je sais qu’après son slalom, il va adresser un centre précis, une balle en retrait, un tir dangereux». Attouga est né gardien. Moi, je suis né dribbleur. A chacun son métier. Il faut dire que j’ai évolué à tous les postes de l’attaque: régisseur, demi offensif, avant-centre… Mais c’est en tant qu’ailier, droit ou gauche que j’ai le plus joué.

Un COT de légende qui fit le régal des puristes dans les années 1969-70

Quel a été votre meilleur match ?
En 1970, à Sousse contre l’Etoile qui jouait pour le titre et se trouvait au coude-à-coude avec l’Espérance de Tunis. Nous formions un ensemble très jeune et luttions pour éviter la relégation. Nous avons gagné (2-1), et j’ai inscrit les deux buts. Abdelmajid Chetali, qui revenait d’Allemagne, était entraîneur-joueur. J’ai entendu Habib Mougou, la Tête d’or, en ce temps dirigeant à l’ESS, dire l’air furieux aux joueurs : «Un si jeune garçon vous prive du championnat, c’est insensé !». J’avais alors à peine vingt ans. En effet, grâce à notre exploit, le titre du championnat était allé à l’EST. Le classement final a été le suivant : EST 63 points, CA 61, ESS 59.

Et votre plus beau but ?
Contre le Sfax Railways Sport, à El Menzah. Romdhane Toumi venait de rater un penalty. Tout de suite, notre gardien Kamel Karia me donne le ballon juste devant notre zone de réparation. Je pars de là comme une fusée, dribble deux ou trois défenseurs et bas Mohamed Karoui. Il faut être rapide pour réussir ces dribbles.

Quels furent vos entraîneurs ?
Chez les jeunes, Gabrane, Abderrazak Belkhodja, Zouari et Mustapha Jouili. Avec ce dernier, Dhib nous a pris dans la catégorie juniors. Nous avons été champions de Tunisie 1968-69. Chez les seniors, j’ai eu comme entraîneurs Hmid Dhib donc, Ammar Nahali, Mustapha Jouili, Amor Dhib, Jamaleddine Bouabsa, Bechir Ben Mime et Ali Chabbouh.

Pourquoi le COT n’a jamais remporté en votre temps un trophée alors que vous faisiez parfois la course devant durant le plus gros de la saison ?
C’est une question de moyens et d’effectif. La loi du plus fort. Que de fois, nous avons été sacrés champions d’automne. Mais à l’arrivée, on accuse le coup parce que l’entraîneur ne fait pas tourner l’effectif. Il faut reconnaître qu’il ne dispose pas d’un banc de qualité pour pouvoir se le permettre. A partir de 1977, il y eut une nouvelle génération qui arrivait chez les seniors que je voyais jadis évoluer dans les catégories minimes ou cadets. Jusqu’à la relégation en 1980. Je n’ai pas beaucoup joué cette année-là. Une fois Mohieddine parti aux Emirats, l’équipe a faibli. Tout le monde était parti dans d’autres clubs : Kamel et Jelassi à l’EST, Cassidy à El Omrane, Mohieddine dans le Golfe, donc. Par contre, j’étais resté fidèle aux mêmes couleurs de 1962 jusqu’à 1980 en tant que joueur.

Quel est le secret de la réussite de votre équipe ?
Nous avions de grands dirigeants qui imposaient le respect: Sadok Ben Jemaâ, Abdelkader Ben Cheikh, Mustapha Khaled, Abderrahmane Ben Messaoud, Khelifa Karoui… Nous étions parrainés par la Société nationale des transport.s Quant aux sociétés Tunisair et CTN, elles nous apportaient leurs subventions. Nous étions professionnels avant l’heure. A tout moment de la journée, nous pouvions nous entraîner. La SNT, où la majorité des joueurs travaillaient, nous mettait à la disposition de notre club. Et puis, nous étions tous formés par un grand technicien éducateur, passionné et compétent, «Baba» Hmid Dhib. Le soir, en rentrant chez moi, que de fois l’ai-je trouvé à m’attendre avec mes parents pour vérifier si je n’allais pas passer la nuit à faire la fête dehors. D’ailleurs, il faisait cela avec tout le monde et fréquentait les familles de tous les joueurs.

De qui se composait ce COT cinq Etoiles ?
Kamel dans les bois, Ouerfelli arrière droit, Ferchichi arrière gauche, Mohamed Ali Ben Brahim et Said Jomaâ à l’axe. Jelassi et Farouk à la récupération, moi en ailier droit, Ali Sassi à gauche, Chaâtani en avant de pointe derrière ou devant Mohieddine Habita. Abdeljabbar Bhouri, grand demi très fin, faisait également partie de l’effectif, mais il dut partir en Bulgarie pour un stage de technicien de télévision. Il sera par la suite le grand réalisateur que tout un chacun connaît. Ali Guizani et Houcine Ayari étaient là aussi.

Quel est votre meilleur souvenir ?
J’ai été trop malchanceux, rencontrant beaucoup d’obstacles. A 19 ans, j’ai joué contre un géant, Tahar Chaïbi, et convoqué en sélection olympique. Six mois plus tard, je faisais partie de la sélection «A» menée par le Yougoslave Radojica Radojicic. Deux ans durant, j’ai été remplaçant parce que Chaïbi était indétrônable. Mais, alors que je me préparais pour partir en Turquie pour les Jeux méditerranéens 1971, le coach national Ameur Hizem m’a écarté au tout dernier moment. A ma place, c’était Faouzi Dahmani, le beau-frère de Sadok Sassi Attouga, qui partait. Sans forfanterie, entre Dahmani et moi, toute comparaison est impossible. Mais le Stadiste a été retenu en guise de récompense…

A propos d’équipe nationale, que pensez-vous de celle d’aujourd’hui?
J’ai beaucoup d’estime pour le coach national Mondher Kebaier. C’est quelqu’un d’éduqué et qui a le sens de la communication. Dans le métier d’entraîneur, cela est très important. Une bonne communication aide en effet à passer l’information ou le message, sans nervosité, tension ou… une bonne paire de baffes… Le joueur ajoute même un plus lorsqu’il se sent aimé. De toute façon, les résultats sont là pour prouver que Kebaier fait du bon travail.

A votre avis, quel est le meilleur joueur tunisien de tous les temps ?
Noureddine Diwa, sans conteste. C’est mon idole comme je l’ai dit plus haut. Mais il y a aussi le grand Abdelmajid Chetali, Brahim Kerrit, Attouga, Tahar Chaïbi, Ahmed Mghirbi, Temime, Tarek Dhiab, Abdelmajid Ben Mrad, l’incomparable Hamadi Agrebi, Mohieddine Habita, Abdelhamid Hergal… S’ils avaient continué à jouer, ils seraient aujourd’hui recrutés par de grands clubs européens.

Et de l’histoire du COT ?
Mohieddine, Chaâtani, Chabbouh, Kaâbi…

Avec le COT mythique de feu Hmid Dhib. Ben Mansour est 4e accroupi à partir de la gauche.

A propos, quel sentiment vous inspire la situation actuelle du COT qui évolue en L3 amateur ?
«Kana Sarhane Fa Hawa», comme le chante si divinement Oum Kathoum dans «Al Atlal». C’était un monument, mais il s’est effondré. De grands dirigeants étaient passés par le COT, des ministres ou P.-D.G.: Sadok Ben Jemaâ, Abdelkader Ben Cheikh, Ferid Meherzi… A présent, ce sont des «étrangers» qui se trouvent aux commandes. Même la mentalité des supporters a changé. Certains ne viennent plus aux entraînements que pour soutirer de l’argent aux dirigeants. Vous savez, le COT, c’est ma première famille. Il m’a appris la discipline et m’a construit. Tous les joueurs de ma génération, Dieu merci, vivent bien aujourd’hui. Et le COT n’y est pas étranger.

Comment s’est faite votre reconversion d’entraîneur ?
En 1980, j’ai arrêté de jouer suite à un ulcère. J’en ai profité pour passer le stage d’entraîneur de premier degré que j’ai décroché au sein d’une promotion composée entre autres de Youssef Zouaoui, Khaled Hosni, Temime Lahzami, Abdelmajid Ben Mrad, Bechir Jabbès… Seulement, du fait de mon boulot au service financier de la Société nationale des Transports, je ne trouvais pas suffisamment de temps pour exercer le métier d’entraîneur qui exige de s’y consacrer à plein temps. Au COT, j’ai formé au sein des équipes des jeunes les Lotfi Chihi, Boubaker Zitouni, Abdelkader Belhassen… J’ai également fait l’adjoint des entraîneurs senior Raouf Ben Amor, Jules Accorsy et Bernard Blaut…

Parlez-nous de votre famille…
J’ai épousé Assia en 1975. Nous avons deux filles et un garçon: Naila, née en 1976, directrice d’une agence de voyages et mère de deux petits garçons, Belhassen, né en 1979, technicien dans le transport et père de deux petites filles, et Inès, née en 1988, master en commerce international, cadre à Tunisie Telecom et qui s’est mariée l’été dernier.

Comment passez-vous aujourd’hui votre existence de «jeune vieux» retraité ?
La santé est la chose la plus importante. En janvier 2018, j’ai été opéré des reins. Maintenant, cela va mieux. Tout mon temps, je le consacre à mes neveux qui me donnent de l’espoir et du bonheur: deux garçons et deux filles. A la télé, je regarde du foot. Le Bayern, c’est mon équipe préférée. Je ne rate devant la télé aucun de ses matches. Tiens, tout à l’heure (mercredi dernier), il joue contre Tottenham. Je m’y prépare comme si c’est moi qui vais jouer avec les copains de Robert Lewandowski.

Enfin, comment voyez-vous l’avenir de notre pays ?
C’est en pensant à ce que vont rencontrer nos enfants et neveux qu’une petite angoisse nous habite. Les politiciens doivent mettre de côté leurs luttes pseudo-idéologiques mesquines partisanes, et penser un peu à la Tunisie, à son intérêt suprême. Elle qui a accusé ces dernières années un déclin monstrueux ! Il faut surtout se soucier du sort des gens dans le besoin, et ils sont devenus très nombreux. Franchement, il y a de quoi avoir peur pour notre patrie tellement l’égoïsme le plus exécrable l’emporte à tous les niveaux.

Digest
Né le 31 mars 1949 à Tunis
Première licence : 1961 minimes COT
Premier match seniors : 1968-69 COT-EST (2-0)
Dernier match : 1979-80 ASM-COT (1-2)
Carrière internationale: 1970-73
Carrière d’entraîneur : 1980-2007: toutes les catégories de jeunes du COT, adjoint des head-coaches seniors Ben Amor, Accorsy, Blaut…
Ancien cadre de la SNT, sorti à la retraite en 2002
Marié et père de trois enfants.

Propos recueillis par Tarak GHARBI

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