Fonds de la zakat et des dons : Est-ce pour les pauvres ou pour les islamistes ?

Au moment où des délais impératifs exigeaient une adoption urgente du projet de loi de finances pour 2020, Ennahdha et ses insaisissables « alliés » de divers bords que l’on a peine à convaincre de rejoindre le gouvernement que s’évertue de constituer Habib Jemli, ont consacré une veillée au sein de la commission provisoire des finances à présenter et discuter pas moins de 70 projets d’articles destinés à amender la loi de finances 2020. Ce alors que les députés expérimentés savent parfaitement qu’une loi de finances est pratiquement impossible à amender, puisque chaque amendement doit obligatoirement désigner des ressources correspondantes au niveau du budget de l’Etat.

Le projet, qui met dans le même panier un rite religieux faisant partie des cinq obligations solennelles auxquelles s’engage le musulman, mélangé à d’ordinaires « dons » non définis, semble avoir sacrifié à une tentative de camouflage idéologique qui a fini, mardi, par être repérée et rejetée par 93 votes contre, alors que les voix favorables n’ont atteint que 74 suffrages correspondant aux groupes d’Ennahdha et d’Al Karama. Sachant que 17 députés se sont abstenus. A noter que Saïd Jaziri, leader radical du groupe parlementaire Er-rahma, a voté contre. Auparavant, le groupe parlementaire nahdhaoui avait fait une autre proposition relative à « l’activation » du Fonds Al Karama (Fonds de la dignité et de la réhabilitation des victimes de la dictature) qu’il avait présenté dans le projet de loi de finances 2020.

En jouant sur les deux libellés très proches et en les enveloppant de commentaires idéologiques islamistes prononcés, aussi bien Seïfeddine Makhlouf que des leaders d’Ennahdha comme le président de leur groupe parlementaire, Noureddine Bhiri, se promettent d’y revenir et l’imposer. Réagissant aux commentaires des députés centristes et modernistes, soulagés par le rejet de l’amendement mais qui condamnent les tentatives nahdhaouies d’insérer en douce de l’islamisme dans les institutions républicaines, Seïfeddine Makhlouf a dénoncé ceux qui sont allergiques à tout ce qui rappelle la religion.

De son côté, Abir Moussi, députée anti-islamiste déclarée, a indiqué que ce fonds est contraire au caractère civil des institutions de l’Etat et vise à porter atteinte aux dispositifs de solidarité nationale, par un amalgame entre religion et politique. Lors de sa présentation, le fonds proposé par des députés d’Ennahdha visait, selon son projet d’article, à promouvoir «l’action sociale destinée aux personnes et familles démunies, aux orphelins, aux sans-soutien et aux personnes portant un handicap ».

« Ses ressources sont constituées de la zakat (aumône légale) des personnes, des entreprises et des sociétés privées, ainsi que de dons ». Un mélange des genres qui ne cadre pas vraiment avec les clauses constitutionnelles âprement négociées entre modernistes et islamistes.
Alors que tout le monde reproche désormais à Ghannouchi et à son parti des décisions isolées peu judicieuses et une fuite en avant suicidaire, le parti islamiste donne l’impression de ne pas accorder à son rôle institutionnel en tant que premier parti des législatives la place qui sied.

Songer une nouvelle fois à dédommager les militants islamistes amnistiés par Mohamed Ghannouchi ou d’autres victimes de la répression serait une manigance inacceptable, à l’heure où l’opinion attend d’Ennahdha des comptes rigoureux et des explications sans détour. Entre autres à propos des réserves laissées par Ben Ali à Tunisie Télécom et de l’endettement faramineux accumulé depuis la Troïka.

Laisser un commentaire