«TranstyX» de Moncef Zahrouni à El Teatro : Quand Tina raconte…


Elle effeuille sa vie comme un calendrier. De sa naissance jusqu’à son arrivée aux portes de sa nouvelle existence, elle attire son spectateur vers toutes les dualités qui s’affrontent en elle et autour d’elle. Entre l’assignation sexuelle et l’identité genre, Tina raconte…


Tina est née à Tunis en 2011. En 2038, elle meurt à Londres à l’âge de 27 ans sur la table d’opération au cours d’une chirurgie de réattribution sexuelle.
«TranstyX» est la traversée d’une vie d’une femme dans un corps d’homme, un dialogue entre l’ici et l’ailleurs, ce que nous sommes d’apparence et le regard qui se pose sur nous. Une pièce qui, elle aussi, transgresse plein de tabous, raconte avec les artifices du théâtre l’humain avec ses complexités. Conception, dramaturgie et mise en scène par Moncef Zahrouni, interprétée par Sonia Hedhili et Amina Ben Doua, avec le soutien de l’espace El Teatro, l’Institut français de Tunisie et l’inconditionnel appui de l’association Zanoobya et sa fondatrice, Zeyneb Farhat.
Commençons tout d’abord par mettre au clair le titre de la pièce ; «TranstyX» se compose du préfixe «Trans» qui signifie au-delà, de l’autre côté de… exprimant l’idée de changement et de traversée. Et de Styx qui, dans la mythologie grecque, est la fille d’Erèbe (les ténèbres) et de Nyx (la nuit). Elle personnifie le Styx, l’un des fleuves et points de passage des Enfers.

C’est de ces deux idées directrices que Moncef Zahrouni construit sa pièce, l’idée de la traversée, du passage et de transcendance en sont les éléments essentiels. Tina, qui cherche une harmonie entre ce qu’elle est vraiment et son apparence, voit défiler la vie comme si elle effeuillait un calendrier. De sa naissance jusqu’à son arrivée aux portes de sa nouvelle existence, elle attire son spectateur vers toutes les dualités qui s’affrontent en elle et autour d’elle. La pureté et le péché, le paradis et l’enfer, la violence et la compassion, la norme et la marginalité, la lumière et l’obscurité, la vérité et le mensonge. La vie de Tina et son supplice se font l’écho d’un pays dans la souffrance. Sa marche sur la «via dolorosa» de sa vie, tel un Christ trébuchant sous le poids de sa croix, est celle de toute une société en devenir, qui cherche ses repères, qui aspire à réaliser sa révolution et qui perd en cours de route sa dignité et son intégrité citoyenne. Mais Tina est un être illuminé par sa force et sa détermination, s’accroche à la vie qu’elle désire et poursuit sa marche vers sa révélation. Son corps est sa chrysalide, son être s’y débat pour s’affirmer. Sa conversation avec Stella, mi-être de lumière, mi-ange des ténèbres, accompagne ses pas, souligne ses erreurs, encadre sa pensée tel un maître spirituel. L’élévation de Tina vers l’au-delà reste tributaire de ses actions et de ses choix, son Karma détermine son existence et le rejet de l’autre lui plante tant d’embûches.

Quand nous faisons la rencontre de Tina, elle est à la croisée des chemins, la scène est construite de cercueils plantés à la verticale en guise de portails qui mènent vers divers chemins. Et Tina, au beau milieu de ce no man’s land entre l’ici et l’ailleurs, se doit de trouver son chemin et retrouver le sens de sa vie.
L’expérience de la mort imminente nourrit l’écriture de Moncef Zahrouni, son personnage est à mi-chemin entre la vie et la mort. Ses références sont multiples dans ce registre, ce long tunnel lumineux, cette lueur éblouissante, la quête du sens de la vie ne sont pas des thèmes exclusifs à la question de l’identité sexuelle, ce sont des inquiétudes et des questionnements qui relèvent de l’humain, de son dessein, de sa pensée et de son être en solitaire et dans le groupe.

Sous le prisme du religieux, des mœurs, des tabous, le personnage évolue en slalomant, soutenu par la littérature, la poésie, les livres, la musique et la quête du bien-être et du bonheur. Car Tina est une fille comme les autres en quête d’amour de reconnaissance et de bonheur.
Entre les deux personnages «Tina» et «Stella», son guide ou conscience, le jeu est serré, il prend la forme d’un procès, ou plutôt d’une évaluation… Tel un jeu où l’on gagne des points pour atteindre le niveau le plus haut, Tina passe épreuve sur épreuve pour exister.
Dans ce corps frêle de Sonia Hedhili, qui joue le rôle de Tina, se cache une comédienne qui a su porter les stigmates de cette vie. Une comédienne qui se laisse habiter par son personnage, le porte et l’enfante. Amina Ben Doua apporte ce côté céleste à ce duo, une voix, une présence et une aisance.

La force de «TranstyX», c’est d’avoir ramené sous la lumière un débat sociétal, de liberté et de droit, d’avoir restitué à l’histoire de Tina toute sa dimension humaine loin des clichés et de l’anecdotique. D’avoir réussi à toucher chacun de nous au niveau émotionnel et aussi intellectuel. Et surtout d’avoir fait de l’histoire de Tina non plus une histoire de Trans, mais l’histoire de tous les exclus et les incompris.
La voie est ouverte par le théâtre, la question est mise sur le tapis et les portes du ciel n’ont jamais été fermées.

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