Hommage – 70e anniversaire du martyre du grand leader, le docteur Habib Thameur : La seringue, la plume et le fusil

Très intelligent, courageux, intègre, respecté par tous, Habib Thameur était à la fois un grand leader politique, l’une des têtes pensantes de la résistance armée contre l’occupant et un médecin compétent et humaniste Avec sa disparition précoce et violente dans une catastrophe aéronautique qui restera difficile à considérer comme un simple accident, la Tunisie a perdu l’un de ses plus valeureux chevaliers. Un parmi ceux qui avaient porté haut l’étendard de la lutte pour la libération de notre pays et du Maghreb d’une façon générale, du joug de l’occupation française.

La nuit du 13 décembre 1949, l’avion, qui transportait le Dr. Habib Thameur de Lahore à Karachi au Pakistan, heurta, en effet et selon la version officielle, le sommet d’une montagne. Etaient également parmi les victimes le leader Ali Hammami, représentant des militants algériens, et le leader Mohamed Ben Abboud, celui de leurs homologues marocains. L’explosion de l’arrière de l’appareil, où s’était installé Thameur, provoqua la désintégration totale de cette partie-là et les cendres du martyr se répandirent dans la nature. Les cadavres respectifs de ses deux compagnons ont été par contre retrouvés car ils occupaient, avant la survenue de la catastrophe, des sièges à l’avant.

Les trois leaders représentaient le Maghreb au congrès économique islamique qui venait d’avoir lieu, à quelques jours de la survenue de la catastrophe, à Karachi, et Thameur représentait aussi le Parti du Destour qui était l’une des plus grandes composantes du mouvement national. Très intelligent, courageux, intègre, sérieux, serviable, plein d’humilité, altruiste, respecté par tous, en Tunisie comme à l’étranger, Habib Thameur était à la fois un grand leader politique, l’une des têtes pensantes de la résistance armée et un médecin compétent et humaniste.

Le grand leader, qui a dirigé le mouvement national, avec détermination et bravoure, au cours d’une très délicate et très difficile époque, débordait d’activité et était un vrai rassembleur d’hommes. Même lors des moments difficiles, il affichait ce léger sourire qui ne le quittait jamais. Il se distinguait aussi par sa rectitude, sa franchise, sa rigueur, son attachement indéfectible à l’identité tunisienne, son esprit ouvert et sa grande culture. Démocrate par conviction et dans la pratique, il avait accompli toutes les missions dont il a été chargé, dans le calme, la discrétion, la transparence et la responsabilité.

Thameur a laissé bon nombre d’écrits journalistiques, des rapports, des discours et un ouvrage, en arabe intitulé «Hadhihi Tounès» (Voici la Tunisie). Clair et succinct, le livre, publié au Caire en 1948, a présenté la Tunisie, sa géographie, son histoire, sa culture et a dressé le réquisitoire des agissements et crimes de l’occupation française.

A la tête de tous les combats
Mohamed Lahbib Ben Hassan Ben Ali Thameur est né, à Tunis, le 4 avril 1909, au sein d’une famille proche de la dynastie régnante. Après des études primaires et secondaires au collège Sadiki, il s’inscrit au Lycée Carnot pour y obtenir son baccalauréat, en 1930.
La même année, il s’envola pour Paris pour y suivre des études en médecine, qu’il terminera en 1938, en soutenant sa thèse de doctorat en médecine, intitulée «La lutte antituberculeuse en Tunisie», pour rentrer quelques semaines plus tard en Tunisie pour y exercer son noble métier.

Dès son arrivée, en 1930 en France, Thameur s’employa, en compagnie de plusieurs de ses collègues tunisiens, algériens et marocains, à faire ressusciter l’Association des étudiants de l’Afrique du Nord, fondée en France, fin 1927. Mission qui aboutit grâce entre autres à la velléité de la puissance colonisatrice d’améliorer son image auprès des Maghrébins. L’association, qui avait pour principal objectif d’œuvrer pour de meilleures conditions de séjour et d’études, en faveur de ses membres, avait vu ses activités gelées, en 1929, par les autorités françaises car elles avaient constaté que ladite organisation était devenue la pépinière de futurs leaders maghrébins et aussi pour ses activités à caractère nationaliste.

Grâce à Thameur et ses collègues engagés tels que le futur grand leader Ali Belahouane, l’association reprendra la lutte et donnera du fil à retordre aux autorités de Paris. En 1935, Thameur deviendra le président de ladite association et il trouvera auprès de ses collègues tunisiens et autres le soutien qu’il fallait. Il intégrera aussi les rangs du Destour. Il militera, également, aussi au sein de l’Association culturelle arabe et de l’Association de l’unité arabe. Son action se distinguera tout au long de son séjour parisien par la défense de l’identité maghrébine contre la politique assimilationniste de la France et aussi en faveur de la généralisation de l’enseignement pour les Maghrébins tout en donnant la priorité à la langue arabe.

Il appellera aussi à l’unité des peuples du Maghreb et à ce que les Maghrébins apprennent à se prendre en charge et à ne rien attendre de la France, et il expliquera à plusieurs reprises, preuves à l’appui, que la France n’a jamais cessé d’œuvrer pour freiner la volonté des Maghrébins de réaliser des progrès dans tous les domaines.

De retour fin 1938, en Tunisie, le Dr. Thameur s’installa à Tunis pour y exercer son métier en tant que libre praticien, avec comme principe de soigner les Tunisiens toutes catégories confondues, sans considération aucune pour l’argent.
Le peuple tunisien vivait dans la misère et venait de subir la répression féroce et sanguinaire des mouvements populaires pacifiques d’avril de la même année. Répression qui s’est soldée également par la dissolution du Destour et l’incarcération de ses principaux dirigeants.

Le mouvement national résistera cependant à ces coups durs et se réorganisa dans la clandestinité. Ainsi, il sera parmi les jeunes dirigeants du parti et participera en tant que tel à la lutte clandestine, transformant ainsi son cabinet situé au quartier populaire de Bab Souika, en véritable siège du mouvement national. Thameur sera aussi la tête pensante et le meneur de la fameuse manifestation du 3 janvier 1939 à l’occasion de la visite en Tunisie d’Edouard Daladier, à l’époque chef du gouvernement français. A partir de février 1940, Thameur sera appelé à diriger le Néo-Destour et à veiller à ce que la flamme nationaliste reste toujours allumée et à ce qu’elle se prépare pour la lutte armée. Il le fera avec intelligence et bravoure.

Action qu’il mènera aussi bien en secret qu’au grand jour telle que sa rencontre, le 12 juillet 1940 à Hammam-Lif, du Bey, à la tête d’une délégation au cours de laquelle il remettra, au souverain, une liste de revendications à adresser à la France, dont celles de la nécessité d’accorder à notre pays son indépendance et de la libération sans conditions de tous les militants incarcérés. Ce qui lui vaudra d’être arrêté par les autorités coloniales et il ne sera libéré que le 3 août de la même année. Cela n’entamera en rien sa détermination à poursuivre sa lutte, action qui aura pour conséquence le début d’une arrestation en série des grands militants.

Pour le soulèvement du Maghreb
Cela poussera Thameur à prendre la décision de quitter le pays d’une manière clandestine. Le 21 janvier 1941, il sera arrêté lui et son compagnon de lutte et cousin, Taïeb Slim, à nos frontières avec la Libye. Il sera condamné, le 27 février par un tribunal militaire, à une très lourde peine, vingt ans de prison ferme et autant d’années d’éloignement.

Il continuera toutefois et malgré sa détention de diriger la lutte. Suite à l’invasion par la Tunisie des forces de l’Axe, en décembre 1942 et grâce à l’intervention du roi Moncef Bey, Thameur et les autres leaders seront libérés, en décembre 1943, et ce, malgré son refus catégorique de collaborer avec les Nazis et les Fascistes.

Après le débarquement des Alliés et leur entrée en Tunisie, Thameur et plusieurs de ses compagnons quitteront le pays, le 6 mai 1943, par voie maritime, au milieu même des affrontements entre les forces ennemies, pour débarquer en Italie, avec comme seul objectif de poursuivre la lutte pour l’indépendance.

Thameur s’activera à Rome puis à Berlin pour enfin retourner en France, avec un second intermède à Berlin, et quitter l’Hexagone en clandestinité pour l’Espagne, en juin 1944, juste après le débarquement des Alliés en Normandie. Il sera condamné par un tribunal français, par contumace, à la peine capitale.
Deux années plus tard, Thameur parviendra à rejoindre Le Caire, où séjournait à l’époque le chef du Néo-Destour, le grand leader Habib Bourguiba. Thameur poursuivra, en Egypte, mais aussi lors de ses déplacements dans les autres pays du Proche-Orient, sa lutte pour l’indépendance totale du Magreb.

En février 1947, il participera activement à la création du Bureau du Maghreb et sera désigné directeur de ladite structure par les représentants des mouvements nationaux respectifs algérien, marocain et tunisien. Tout en gardant un contact étroit avec ses compagnons de lutte dans le pays, Thameur n’épargnera aucun effort pour défendre la cause maghrébine et arabe d’une façon générale. Son engagement et ses sacrifices lui valurent d’être élu vice-président du Néo-Destour, lors de son congrès d’octobre 1948, à Tunis et ce, en reconnaissance de son patriotisme.

En décembre 1949, il sera chargé par le parti de le représenter, comme déjà dit, aux travaux du congrès sur l’économie islamique tenu à Karachi au Pakistan. Il profitera de son séjour dans ce pays frère pour donner plusieurs conférences au cours desquelles il dénoncera avec force arguments la politique colonialiste de la France au Maghreb.

La nuit du 13 décembre 1949 il tombera en martyr, victime de la catastrophe aéronautique déjà citée alors qu’il se préparait à regagner l’Egypte. Sa disparition laissera un grand vide au sein du mouvement national et maghrébin, sachant qu’il était en train de préparer le démarrage effectif de la lutte armée maghrébine contre l’occupation.

Par Foued ALLANI

Un commentaire

  1. Miled

    29/12/2019 à 16:39

    Un hommage louable par ces temps d’ ingratitude et de déni de l’histoire nationale et de ses hommes et femmes méritants! Merci La Presse de Tunisie.

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