Cycle Marginalité et documentaire à la cinémathèque tunisienne : Marginaux mais profondément humains


La marginalité dans le documentaire tunisien, tel est le nom de ce cycle organisé par la cinémathèque avec le concours de l’Association internationale des sociologues de langue française (Aislf). Il s’agit également d’ un prélude au congrès mondial de cette association qui se déroulera, en juillet 2020, à la Cité de la culture.


Cette rétrospective permettra de découvrir le documentaire tunisien sous l’éclairage des sciences sociales. Parmi les films documentaires présentés dans ce cycle, nous avons visionné le film de Nejib Belkadhi «Kahloucha» sorti en 2006 et projeté à Cannes dans le cadre de la semaine du film tunisien avant d’obtenir le prix du meilleur documentaire au festival de Dubai. Pourquoi récrire «Kahloucha» spécialement parmi cette foule de documentaires présentés à l’occasion ? D’abord parce que c’est un documentaire rare avant 2011, mais c’est aussi parce que c’est un film d’une grande notoriété, qui a marqué toute une génération et qui à sa sortie en salles a rapporté de véritables recettes pour un film documentaire. En effet, «Kahloucha» était le succès commercial de l’époque et qui risque de l’être encore aujourd’hui. 14 ans après sa sortie, on a toujours l’impression de le voir pour la première fois, tellement ses personnages sont frais. Une énergie de caractère, de la bonne humeur de la débrouillardise, la disposition à rêver mais surtout des personnages réels et stupéfiants qui sont vrais et qui ne font pas dans la représentation.

Kahloucha, grand fan du cinéma des années soixante-dix, est un peintre dans le bâtiment, un cinéaste qui bricole ses films et qui n’est pas sans nous rappeler certains grands bricoleurs du cinéma français comme Méliès et Michel Gondry. Mais Kahloucha est aussi acteur, décorateur, scénariste, graphiste, distributeur, exploitant… Un film dans le film où Nejib Belkadhi pose un regard tendre et amusé sur Moncef Kahloucha qui fabrique des films de «fortune» avec les habitants du quartier Kazemat à Sousse et pour les habitants du quartier. Un exemple parfait du cinéma fédérateur. Il arrive également que ses films soient vus à l’étranger par les immigrés qui revoient leur quartier comme théâtre d’une fiction inspirée de Clint Eastwood, Alain Delon, Lee Van Cleef ou Tarzan entre autres… L’irruption de la fiction, fût-ce sous la forme naïve des films de Kahloucha, dans le film de Belkadhi, n’a rien perdu de sa force. Et la projection du film dans un café est un joli moment de convivialité.

Au-delà de cette chronique de la fabrication d’un film, VHS Kahloucha passionne aussi par ce qu’on y voit de la vie quotidienne à Sousse. C’est une ville que tout le monde veut quitter, pour gagner l’Italie, à la fois proche et hors d’atteinte. C’est une ville où les femmes et les hommes vivent à part. Une ville où le désir de Moncef Kahloucha d’exister correspond à son désir de faire du cinéma.

En structurant intelligemment son film, Nejib Belkadhi est ainsi parvenu à lui faire dire bien plus que ce que l’on aurait attendu du portrait d’un original : VHS Kahloucha montre comment le cinéma peut resurgir malgré les impossibilités économiques, politiques, religieuses. Il montre également comment le cinéma peut naître de la marginalité dans ces conditions. Des portraits de la marginalité aussi bien dans «Kahloucha» que dans les autres films présentés dans le cycle qui, somme toute, nous donne de l’espoir. Pourquoi? Parce qu’ils nous dépeignent des marginaux profondément humains et généreux qui se battent pour des choses réelles et pas vicieuses. Un documentaire qui nous change un peu des documentaires de l’après-révolution où dans les quartiers pauvres les gens se mettent à geindre dès qu’ils voient une caméra…

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