La Tunisie et le monde sportif viennent de perdre un grand homme ayant mené un combat sans répit, sa vie durant, sur un double front. Une mine d’humour, de jovialité, de convivialité, de spontanéité et de tendresse va nous manquer à jamais !

Pour respecter scrupuleusement la chronologie, commençons par le commencement, par le passé de l’illustre bonhomme en pleine ère coloniale. Il était un nationaliste farouche ayant milité contre le colonialisme au sein de l’entreprenante équipe du Combattant Suprême, ayant compté parmi elle de grandes figures emblématiques et symboliques, telles que, entre autres, feu Taïeb Mehiri, Mongi Slim, Taïeb Sahbani, Mohamed Salah Belhaj, Azzouz Rebaï, etc. Ceux-ci, ayant tous, au même titre que le disparu, connu les ténèbres de la prison et souffert de l’exil, surtout à Borj Le Bœuf, dans l’extrême sud tunisien, le coin sournoisement choisi par la France coloniale pour museler lesdits «turbulents et pêcheurs en eau trouble» et faire geler l’encre de leurs percutantes plumes.

Un militant de la première heure

Lors du célèbre retour triomphal au bercail du non moins célèbre Zaïm (le 1er juin 1955), Mahmoud Ellafi, avec Taïeb Mehiri, ont été les premiers à accueillir Bourguiba au port de La Goulette, lui faire de chaleureuses accolades et veiller de près avec leurs hommes sur sa sécurité personnelle.

Le patriotisme et le sens du devoir ont valu à Si Mahmoud d’être désigné, au sein du premier gouvernement Bourguiba, chef de cabinet du ministre de l’Intérieur de l’époque, Taïeb Mehiri.

Une disgrâce imméritée

Mais la discipline et le zèle de Si Mahmoud, conjugués aux intrigues des opportunistes et âmes mal nées, ont tôt fait de précipiter sa disgrâce irréversible par Bourguiba. D’autant que l’ami fidèle qui savait apprécier la valeur et l’étoffe du compagnon vif argent avait été rappelé au Tout-Puissant. Et nul autre que Taïeb Mehiri ne pouvait alors éclairer Bourguiba, rectifier le tir, remettre les pendules à l’heure et faire rétablir le militant de la première heure dans ses bons droits. Et nous en arrivons ainsi au second front et la deuxième facette du défunt.

Le «soldat» du sport

Mais qu’à cela ne tienne, semblait se dire l’homme écarté injustement du giron politique ! Sportif né jusqu’à la moelle, il retroussa les manches et vite fit de constituer et avec de  proches amis, tels que, entre autres, feu Mustapha Khaled, Hmid Dhib, Marcèle Tobolène, etc. la société «Le Sport», un  monument sportif dont la bonne réputation devait, au fil du temps, dépasser nos frontières.

Le premier numéro parut précisément au mois d’avril 1958. Son premier rédacteur en chef était feu Mohamed Bedir puis l’inoubliable Raouf Ben  Ali qui, appâté par la  radio et le micro, quitta le modeste appartement de l’ex-rue Besançon (actuelle rue du Caire) pour se faire relayer par son frère feu Hached Ben Ali, une plume classique qui excellait dans l’application rigoureuse du subjonctif et du conditionnel, dans la métaphore et l’allégorie. C’est ensuite au tour d’autres brillants éléments de cordonner la rédaction tels que Ameur Bahri, Fethi Houidi, Ridha Najjar, etc.

Mais tous les pouvoirs étaient centralisés par le fondateur et responsable de la rédaction.

Le directeur fonceur !

Et toutes les grandes décisions étaient prises collégialement avec le numéro 2 du journal, plutôt le numéro 1’:  Ameur Bahri, la tête pensante de l’organe, qui, avec le concours de feu Mustapha Zoubeïdi, l’homme au calme olympien, calmaient le jeu et mettaient de l’eau dans le vin du directeur fonceur. Celui-ci était un  véritable bulldozer, ne craignait pas la polémique à travers des titres audacieux qui dérangeaient bien que souvent atténués par le duo précité.

Une ligne éditoriale qui dérange

Lorsqu’il se sentait frustré et injustement attaqué, ils tiraient à boulets rouges sur ses détracteurs qui le taxaient sans fondement d’être insuffisamment objectif dans la ligne éditoriale de son journal. Et qu’il n’ôtait guère son chapeau d’espérantiste. L’homme était certes un fervent supporter de l’Espérance. Les victoires de ce club lui faisaient aussi vendre le journal jusqu’à l’épuisement du tirage. Mais Si Mahmoud savait faire la part des choses pour ménager les Clubistes et les Etoilés, à l’époque les plus grands concurrents directs de l’équipe de Bab Souika.

Le seul cavalier du lundi

Nos jeunes générations devraient savoir que l’hebdomadaire de Mahmoud Ellafi, qui a disparu de nos kiosques de distribution en 1983, était l’unique source d’information sportive,  l’unique organe de presse écrite paraissant chaque lundi, en dehors de notre orpheline radio nationale. Une simple signature d’un papier au journal Le Sport valait grand-chose et beaucoup plus que de l’argent.

La mort a été plus rapide

En outre, ce que je regrette surtout, c’est de n’avoir pas eu le temps d’exécuter mon projet d’entretien avec Si Mahmoud pour publier une longue série sur le phénoménal journal Le Sport , si méconnu par nos jeunes générations. Le destin en a décidé autrement… La mort a été plus rapide que moi…

Mon souhait : exaucer son souhait

Quant à moi, j’espère, malgré tout, exaucer le souhait du grand monsieur à titre posthume, avec Si Ameur Bahri et Si Abdelaziz Dahmani (alias Zougou et Daâziz) cette fois-ci. Celui-ci ayant long temps fait le bonheur des lecteurs du journal Le Sport  et simultanément des pages sportives du journal La Presse.

A l’âme de Si Mahmoud, je finis par dire que les vieux sportifs ne t’oublieront jamais et feront tout pour graver ton nom dans la mémoire des sportifs des temps présents.

J’ose aussi espérer que les responsables actuels des destinées de nos sports attribueront le nom du militant et combattant sportif à une institution sportive nationale, en signe de reconnaissance de la valeur ajoutée par le disparu à toutes nos disciplines sportives. Que l’âme du disparu repose en paix. «Nous sommes à Dieu et c’est à Lui que nous retournons».

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