Taux d’abandon scolaire élevé dans le gouvernorat de Kairouan : Un fléau difficile à endiguer


Malgré l’existence d’une stratégie nationale, le taux d’abandon scolaire reste élevé en milieu rural car il s’agit d’un problème aux causes mutifactorielles.


Les questions scolaires qui suscitent un vif intérêt dans l’opinion publique sont généralement développées dans les médias et concernent notamment le contenu des programmes, le décrochage scolaire, les méthodes d’enseignement, l’assiduité des enseignants, les grèves à répétition et surtout l’infrastructure des établissements éducatifs (salles de classe, clôtures, dortoirs, réfectoires, blocs sanitaires, etc.).

Si on prend l’exemple de l’abandon scolaire, on constate que ce fléau ne cesse d’augmenter dans le gouvernorat de Kairouan qui détient, de nos jours, le taux le plus élevé à l’échelle nationale, à savoir 33,89%. Et les délégations les plus touchées sont Bouhajla (46,3%) et El Ala (43,3%).
En effet, malgré la stratégie nationale de prévention et de lutte contre l’abandon et l’échec scolaire, adoptée en 2016 par le ministère de l’Education, la gratuité de l’enseignement public et les nombreux programmes d’alphabétisation et d’enseignement pour adultes, chaque année, de nombreux élèves du gouvernorat de Kairouan quittent d’une manière précoce leurs établissements éducatifs à cause d’un vécu social difficile, d’une infrastructure défaillante, de l’absence du transport scolaire dans les zones reculées, de la mentalité rétrograde des parents souvent analphabètes, de l’échec du système éducatif, de l’absence répétée des enseignants, ainsi que de l’état vétuste de beaucoup d’écoles où il n’y a ni cantine, ni eau potable, ni blocs sanitaires, ni clôture.

4.500 élèves parcourent tous les jours cinq kilomètres à pied
Ainsi, le taux de décrochage scolaire s’élève à 17% dans les écoles primaires, 16% dans les collèges et 12% dans les lycées.
D’après la Ligue tunisienne des droits de l’homme à Kairouan, 4.500 élèves font chaque jour 5 km à pied pour aller à leur école. L’absence de moyens de transport, surtout dans les zones rurales reculées, constitue un vrai handicap car, en cours de route, été comme hiver, les jeunes élèves peuvent faire de mauvaises rencontres avec la présence de sangliers, de chiens errants et de délinquants.

C’est dans ce contexte que le 27 janvier 2020, au village de Bir El Wassfen (délégation de Bouhajla), deux jeunes écoliers (une fillette et un garçon âgés de 10 ans) ont failli être kidnappés alors qu’ils se rendaient à leur école située à 4 km de chez eux. En effet, une Toyota noire s’est arrêtée à leur niveau et les deux occupants leur ont demandé de monter rapidement à bord. Face à leur refus, l’un d’eux est descendu du véhicule pour les obliger à monter de force dans la voiture. Pris de peur et de panique, les deux élèves ont pris la fuite à travers les champs agricoles où on cueillait les olives.

Plus récemment, le 3 mars courant, deux jeunes collégiennes à El Kabbara (délégation de Nasrallah) ont été kidnappées par un contrebandier dont le véhicule était sans immatriculation.
En route, alors que l’une d’elles a réussi à prendre la fuite, il a essayé de violer la deuxième fille qui s’est mise à crier et à pleurer. Devant son refus de lui céder, il a fini par l’emmener à Sidi Bouzid et l’a déposée près d’une station de louage.

Par ailleurs, les cantines existantes créées il y a quelques décennies sont dans un état vétuste. D’ailleurs, il suffit de se rendre dans quelques cantines pour se rendre compte de la négligence de la restauration. L’hygiène y fait défaut d’où le nombre élevé de cas d’intoxication alimentaire.
Samia Methnani, 18 ans et qui a interrompu ses études en 2e année sciences expérimentales, nous confie dans ce contexte : «Ici à Bouhajla, en milieu rural, non seulement nous souffrons de mauvaises conditions socioéconomiques et de la marginalisation, mais de plus, nous déplorons l’absence de moyens de transport, d’eau potable et de cantines. Cela sans oublier les grèves et les absences des enseignants et le diktat des syndicalistes qui ne cessent de mettre la pression et d’exiger la satisfaction de toutes leurs revendications. D’ailleurs, beaucoup de mes camarades ont fini par désespérer et par quitter le lycée…».

Ceux qui décrochent choisissent de travailler pour un salaire de misère
Son amie Khadija Khalfaoui, les yeux embués de larmes, renchérit : «Je n’ai pas en la chance de terminer mes études à cause des conditions difficiles et indignes dans lesquelles on se déplace pour rejoindre le collège et de la misère de mes parents qui n’ont pas pu assurer les charges de mes dépenses scolaires».

«Actuellement, je travaille dans les champs agricoles pour un salaire de misère. Quand je vois par exemple mes voisines, dont les parents sont âgés, poursuivre leurs études et s’apprêtent, cette année, à passer le bac, le regret et le désespoir m’envahissent car seule l’éducation m’aurait permis de connaître des lendemains meilleurs…».

Quelques vingtaines de mètres plus loin, nous rencontrons une de leurs voisines, Aïcha Fleïhi, 19 ans, inscrite en 7e année lettres, et qui faisait sauter ses petites sœurs à la corde : «Comme nous n’avons pas cours à cause des mesures prises pour lutter contre la propagation du virus Corona, j’en profite pour réviser mes leçons durant toute la matinée, ensuite je m’occupe de mes sœurs afin de les divertir puisqu’elles sont aussi en vacances. J’espère décrocher mon bac afin d’aller étudier à l’université, à voir des activités culturelles et intéressantes, regarder des films récents et des pièces de théâtre…».
Ses cheveux courts, sa veste vert pomme bien coupée, sa jupe à plis creux, son allure sportive, sa voix hardie et son rire étincelant dénotent qu’elle a une forte personnalité et qu’elle vit dans une ambiance familiale épanouie.

Des écoles sans eau potable
Le gouvernorat de Kairouan compte 313 écoles dont uniquement 160 sont alimentées en eau potable par le biais de la Sonede. Le reste des établissements est approvisionné par des groupements hydrauliques, or comme les villageois ne s ‘acquittent pas de leurs dûs auprès de ces groupements, ces derniers coupent l’eau dans toute la zone, ce qui prive les établissements scolaires d’eau potable pendant des mois. D’où la colère des enseignants et leurs sit-in répétés vu l’insalubrité des salles de classe et des toilettes, ce qui augmente le nombre d’élèves atteints d’hépatite.
Ainsi, à titre d’exemple, l’école «El Ajabna» (délégation de Nasrallah, créée en 1958), compte actuellement 171 élèves, 7 salles de classe, 9 instituteurs, un directeur et un gardien. Néanmoins, aucun employé pour le nettoyage des locaux n’y a été affecté. En outre, l’absence de clôture expose les élèves au dangers des chiens errants, des sangliers, des reptiles et des délinquants.
Enfin, cela fait 4 mois que cette école est privée d’eau suite à sa coupure par le groupement hydraulique.

Cri d’alarme des instituteurs à cause de l’absence d’eau dans les établissements scolaires
Résultat : les instituteurs apportent avec eux chaque jour des bidons d’eau pour leurs besoins quotidiens et les élèves frêles et sous-alimentés sont obligés d’apporter des bouteilles d’eau en plus de leurs cartables bien chargés. Salem, un jeune instituteur, nous confie dans ce contexte : «En cette période difficile où notre pays est confronté à la contamination par le coronavirus et où les spots publicitaires et les responsables à tous les niveaux nous incitent à l’importance de l’hygiène pour nous prémunir contre cette épidémie, nous voilà en train d’enseigner dans des écoles sans aucune goutte d’eau. Est-ce normal? Franchement, il faudrait que l’Etat assume pleinement ses responsabilités!».

A côté de ce tableau peu reluisant, on pourrait évoquer les agressions répétées visant le corps enseignant ainsi que les vols que connaissent beaucoup de collèges et d’écoles qui ont été récemment visités la nuit par des bandits qui ont volé des ordinateurs et autres équipements coûteux. D’autres établissements ont été saccagés et souillés par de l’urine et des excréments humains.
La protection des fenêtres par du fer forgé, la construction de clôtures, et le renforcement du gardiennage s’avèrent donc très urgents, si on veut sauver nos établissements. Par ailleurs, il faudrait améliorer les pistes menant aux écoles, changer l’horaire scolaire et augmenter le nombre d’internats et de cantines pour limiter les cas de décrochage scolaire.

Laisser un commentaire