Des artistes au temps du Corona: «Infiniment petite, cette comète a réussi l’œuvre ultime : arrêter le monde»


Le coronavirus et la culture? Le confinement et l’art font-ils bon ménage ? Distanciation sociale, isolement et création? Nous avons adressé virtuellement (confinement oblige) une série de questions (les mêmes ou presque) à des artistes et autres intellectuels de différents univers. Tous et toutes ont pris le temps de la réflexion…

Le psychologue clinicien et écrivain Aymen Daboussi s’est prêté au jeu. Deux livres en langues arabes publiés à Beyrouth aux éditions Al-Jamal : « Intissab aswad » (Erection noire) en 2016, où sur fond de révolution et à coups d’autofiction, il fait durer le plaisir et l’euphorie du moment en déchargeant à l’extrême des situations sexuelles… et «Akhbar al Razi» (Chroniques du Razi) en 2017, qui avait provoqué l’ire du personnel de l’établissement… Récits de perplexités, exhibition du mal, protestation contre la «lucidité» et un retour à la fiction salutaire. «Inkileb al ain» (Révulsions) est le titre de son prochain livre.

Comment se passe votre confinement ?

Ce qui est intéressant, pour moi, dans cette expérience du  confinement, c’est que j’ai pu expérimenter les ressentis de certains de mes patients qui souffrent d’agoraphobie. «Même si mon monde est devenu plus grand, rien n’a changé pour moi», a ironisé une de mes patientes. Une autre (femme au foyer et mère de trois enfants) m’a dit qu’elle avait perdu «sa solitude» avec le confinement.

Le confinement est une expérience psychologique et sociale à étudier de plus près. De mon côté, j’essaye d’appréhender cela du point de vue du psychologue et de l’écrivain, prendre un tant soit peu de recul pour m’en affranchir. Cela nécessite donc un peu de créativité… Faire des voyages immobiles à la Gilles Deleuze.

Je passe mon temps, entre autres, à lire et à voir des films. J’essaye au maximum de ne pas suivre l’actualité et il m’arrive d’oublier complètement ce confinement, surtout le soir.

Du positif dans notre situation actuelle ?

Jusqu’à maintenant, je trouve l’expérience positive et je ne veux pas qu’elle prenne fin. Je ne ressens pas de peur vis-à-vis de «l’extérieur» mais plutôt une sorte d’excitation. Le corona est pour moi, de l’ordre de la fiction, un scénario que l’on suit, avec inquiétude, derrière nos écrans. L’expérience serait, évidemment, différente si l’on est soi-même contaminé, à ce moment-là, le corona deviendra réel.

Le premier livre qui vous vient à l’esprit en pensant à ce virus ?

Le premier livre qui me vient à l’esprit est «L’Homme sans qualités» de Robert Musil. Le livre que je ne pourrai finir qu’en confinement.

Le corona vous inspire-t-il ?

Corona m’inspire en tant que mouvement général de désœuvrement. Il a court-circuité le système. Tout est bon lorsqu’il ne se passe rien.

Pour l’art, est-il nocif ou pas ?

Corona est nocif pour le système, mais dans son essence la plus intime, Corona est Art. Un Art du sublime. Un Happening. Infiniment petite, cette comète a réussi l’œuvre Ultime : «Arrêter le monde». Invisible et éphémère, ce virus capte toute l’attention et fait parler de lui mieux qu’une quelconque œuvre dans l’histoire. C’est une puissance impersonnelle qui refonde le monde tout en le détruisant. Et pour reprendre la formule nietzschéenne :»Il est l’innocence du devenir». Il relance l’Histoire.

L’après-corona, comment vous le voyez ?

J’espère que le Mouvement Corona continuera, mais sous d’autres formes. Le monde ne doit pas revenir à sa temporalité ennuyeuse et mortifère. Le système est à genoux et on ne doit pas lui offrir l’occasion de se remettre sur pied.

Des lectures ou autres à nous suggérer ?

Je recommande vivement de voir des films, tels que «Melancholia» de Lars Von Trier ou «Satantango» de Béla Tarr, sinon les nouvelles de Poe ou de lovercraft.

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