Cinéma arabe et pandémie: Quand Taoufik Salah en parlait


Le cinéma arabe a rarement traité les pandémies. Et même s’il les a traitées, c’est dans une assise politique et idéologique qui critique le pouvoir en place.


En 1962, Taoufik Salah réalise «La lutte des héros» un long métrage avec Chokri Sarhane en tête d’affiche, et qui évoque l’épidémie de Choléra qui a envahi l’Egypte dans les années 40 (1947-1948) ce qui a coïncidé avec la Nakba en Palestine. Une période difficile pour l’Egypte.

C’est l’histoire de Chokri, un jeune médecin qui débarque dans une bourgade pauvre de l’Egypte pour exercer son métier. Un village d’agriculteurs exploités par l’occupant anglais, noyés dans la pauvreté et dont le seul recours envers les maladies est une guérisseuse revêche et pleine de fiel envers Chokri. Le médecin remarque alors les syndromes d’une maladie qui commence à avoir raison de plusieurs vies humaines et dont l’origine est la sous-nutrition de ces agriculteurs pourtant producteurs de richesses alimentaires. Il découvre également que ces agriculteurs sont vampirisés par un exploitant qui prend toutes leurs productions et les revend aux Anglais et en retour il ramène aux habitants les «restes» alimentaires des Anglais. Pris entre le marteau du colon anglais et l’enclume de l’exploitant local, le village est de surcroît attaqué par le Choléra. Il nous a pourtant fallu quarante minutes pour que le nom de cette maladie soit prononcé, tellement la mise en place de l’intrigue amoureuse mêlée à la situation sociale et politique du pays s’est étirée. C’est d’ailleurs en ce sens que nous sommes enclins de dire que dans ce film tout comme dans le film «Le sixième jour» sur lequel on reviendra, le côté politico-social domine. Le réalisateur est considéré comme l’un des maîtres du réalisme à une époque où le cinéma de ses contemporains traitait les sujets de l’avant-révolution pendant que, lui, il traitait des sujets plus actuels de l’après-révolution.

Une œuvre qui part d’une écriture de soi quelque part de Taoufik Salah dont le père était médecin qui veillait sur les quarantaines dans les ports égyptiens. Réalisateur rebelle au parcours atypique, Taoufik Salah découvre la littérature russe pendant ses pérégrinations en France, ce qui éveille en lui ses sympathies communistes qu’on remarquera dans toutes ses œuvres. Notons qu’en Egypte, à l’école Victoria, il a fréquenté les mêmes bancs que Youssef Chahine. Avec seulement sept films, les œuvres qui ont vu le jour étaient peu nombreuses au vu d’une quarantaine d’années de carrière. En fait, le réalisateur faisait l’objet de beaucoup de censures dans son pays parce qu’il dérangeait le pouvoir. Notons aussi que la Tunisie lui a rendu hommage deux fois avec un Tanit D’or pour son film «Les dupes» et en lui accordant la médaille du mérite culturel en 1988 . Un auteur de pointure dont le cinéma est adapté de romans comme celui de Ghassan Kanfani «Pour les dupes» par exemple. Mais peu importe, «La lutte du héros» est là et nous pensons qu’elle est d’une grande actualité aujourd’hui. On sera tenté de dire aussi «Les» luttes du héros puisque le médecin dans ce film ne lutte pas seulement contre la maladie, mais aussi contre les causes de la maladie qui sont la pauvreté ou l’appauvrissement du peuple. Selon l’auteur, cette maladie est causée par des pays industrialisés et puissants qui nous exploitent.  Une œuvre qui met également en avant le personnage du médecin en tant que figure de proue lors des grandes crises de ce genre.

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