Affaire des masques de protection: Les principes de la bonne gouvernance malmenés       

Le verdict est tombé avant-hier avec la publication du rapport de synthèse préliminaire qui a épinglé le gouvernement et relevé une suspicion d’orientation de l’offre publique, de conflit d’intérêts et de la fuite d’une information privilégiée. Une première car les enquêteurs n’ont pas botté en touche mais le débat autour de l’affaire n’est pas pour autant clos.

Conflit d’intérêts, suspicion de corruption et manque de transparence sont venus prolonger le suspense dans l’affaire dite des masques de protection qui a tenu en haleine tout le monde. Les esprits se seront-ils calmés et la polémique prendra-t-elle fin avec la publication avant-hier des résultats préliminaires de l’enquête menée par le Haut comité de contrôle administratif ? Le ministre d’Etat chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, Mohamed Abbou, en guise de mise en bouche, a parlé avant la publication du rapport de « dépassements » commis autour de la loi sur la concurrence mais pas de « corruption ». Toutefois, « le souci de fournir des masques sur la base d’une demande urgente du Chef du gouvernement ne justifie pas certains dépassements », fait-il savoir.

Rappel des faits

S’apprêtant à entamer une nouvelle phase, celle du déconfinement ciblé à partir du 04 mai prochain, et selon la stratégie mise en place  à cet effet, l’Etat était appelé à favoriser le volet de la prévention et disposer d’une grande quantité de masques de protection. Pas moins de deux millions de bavettes lavables et réutilisables pour être plus précis pour lutter contre le coronavirus. Jusque-là tout allait bien et le gouvernement a bien géré le dossier.

Les choses ont pris une autre tournure, celle par ailleurs que tout le monde redoutait dans de pareilles occasions, quand le ministre de l’Industrie, Salah Ben Youssef, contacta Jalel Zayati, propriétaire d’une usine,  pour lui passer la commande des bavettes en question. Le ministre ne savait pas que Zayati était député à l’ARP et qu’il était en plus membre de la Commission de l’industrie, de l’énergie, des richesses naturelles, de l’infrastructure et de l’environnement au sein du parlement. Une flagrante violation de l’article 25 du règlement intérieur de l’ARP qui interdit à tout député de conclure des accords commerciaux avec l’État ou des institutions et établissements publics. Le conflit d’intérêts est on ne peut plus flagrant.

Il faut signaler qu’à l’origine du déclenchement de l’affaire, c’est l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) qui a reçu plusieurs alertes autour d’une suspicion de corruption autour de ce marché et en a informé le Chef du gouvernement.  

Le Chef du gouvernement s’explique

C’est au moment où tout le monde jetait l’anathème sur le ministre de l’Industrie et le député en question et que la récupération politique de ce dossier battait son plein que les déclarations du Chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, ont pris de court la majorité des observateurs et même certaines personnalités politiques.  

En effet, lors d’une interview télévisée, Elyes Fakhfakh s’est emporté et départi de son flegme coutumier. Défendant la cause du ministre de l’Industrie, arguant de la situation de guerre menée contre le coronavirus pour prendre des mesures urgentes sans passer par les procédures complexes comme l’exigent les conditions des marchés publics.

Le Chef du gouvernement assume et endosse toute la responsabilité en précisant que c’est lui qui a contacté le ministre et lui a demandé d’accélérer la procédure. La précipitation et l’intérêt national seraient donc derrière cette erreur monumentale ou disons cette bourde.

Le ministre de l’Industrie entendu

Suite à l’ampleur qu’avait prise cette affaire, le ministre de l’Industrie, Youssef Ben Salah, a été entendu par la Commission de lutte de la réforme administrative, de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption à l’ARP pendant plus d’une heure. Le ministre a expliqué lors d’un point de presse organisé à l’issue de son audition qu’il a présenté ses excuses devant les membres de cette commission concernant la polémique créée.

« Je me suis excusé pour la polémique suscitée. Qu’elle soit intentionnelle ou non, il fallait que je présente mes excuses », a-t-il déclaré.

Les excuses du ministre ainsi que du député ne peuvent en un aucun cas clore cette étrange affaire autour d’un marché estimé à 3.8 millions de dinars. Ceci explique par ailleurs l’enquête menée par le Haut comité de contrôle administratif qui a remis un rapport de 27 pages jeudi dernier 23 avril au ministre d’Etat, Mohamed Abbou. Ce rapport a été soumis par la suite à la présidence du gouvernement.

Le verdict est tombé

Avant-hier, lundi 27 avril, un rapport de synthèse préliminaire de la mission d’inspection concernant la demande de confection de masques a été publié, mentionnant « plusieurs dépassements et manquements ayant ponctué l’opération dont la présence de plusieurs commissions et une absence de détermination des responsabilités ayant conduit à une dispersion et à une confusion, ce qui est contraire aux principes généraux de la bonne gouvernance ».

La Pharmacie centrale qui est, en vertu de l’accord initial, l’acheteur public, n’a pas été directement chargée pour piloter l’opération demandée. Cela n’accorde pas au ministère de l’Industrie la qualité de prendre certaines décisions ne faisant pas partie de ses prérogatives, outre les structures professionnelles et industrielles ayant été impliquées dans les travaux des commissions, relève aussi le rapport. Ajoutant que « leur contribution dans la mise au point des caractéristiques techniques des masques de protection et la détermination du prix a conduit à une suspicion d’orientation de l’offre publique, de conflit d’intérêts et de la fuite d’une information privilégiée ».  

L’accord verbal conclu entre le ministre de l’Industrie et des PME et l’un des fournisseurs pour accélérer la production d’un premier lot de 2 millions de masques « contredit les règles régissant les achats et les commandes publics ». A cet effet, l’équipe d’inspection a  présenté six recommandations dont certaines consistent à charger la Pharmacie centrale d’acheter les masques, à informer l’opinion publique du processus d’achat des masques en question, à charger un comité restreint au sein du ministère de la Santé, ou de celui de l’Industrie et des PME de suivre l’opération d’approvisionnement de la Pharmacie centrale en masques. Avec la publication des résultats de ce rapport de synthèse préliminaire qui a épinglé le gouvernement, ce dernier se trouve aujourd’hui dans une mauvaise posture et confronté au  problème de la fourniture de deux millions de masques de protection réutilisables avant le passage à la phase du confinement ciblé prévue pour le 4 mai prochain.    

Un commentaire

  1. Liberte

    29/04/2020 à 10:12

    On ne plaisante pas avec ce genre de marchandise, n’importe qui ne peut pas s’improviser en expert de fabrication et de confection d’accessoires médical, tout doit passé par une certification à la norme. Celui qui est complice dans ce genre de trafic doit être sanctionné sévèrement et sans pitié.

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