Sahbi Ben Fredj, cardiologue et ancien député à La Presse : «Le système de soins est aujourd’hui verrouillé»

Dans un article publié sur sa page Facebook le 24 avril, le cardiologue et ancien député Sahbi Ben Fredj s’inquiète du taux anormalement haut de la mortalité que la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) a relevé parmi ses affiliés pour le mois de mars et avril. Un lien avec le Covid-19? Il présente dans cet entretien ses diverses hypothèses quant à cet accablant constat.

Comment vous êtes-vous rendu compte de la surmortalité des patients des hôpitaux et des cliniques privées affiliés à la CNSS malgré la décroissance des décès liés au coronavirus?

Pour être honnête et juste, j’ai relevé, comme je l’ai écrit, une augmentation du nombre des décès parmi les retraités qui reçoivent une pension de la CNSS. C’est un service au niveau de la CNSS, son programme informatique de décès mensuels, qui a fait ce constat inhabituel.

Par quoi expliquez-vous ce nombre de décès en augmentation?

J’ai présenté trois hypothèses. Primo, il s’agirait d’un retard dans la communication des chiffres de décès à la CNSS, des décès qui auraient eu lieu les mois de février et mars et qui sont arrivés au système informatique de la CNSS au mois d’avril à cause d’une administration tunisienne fonctionnant au compte-gouttes depuis la propagation de la pandémie. Honnêtement, je ne donne pas beaucoup de crédit à cette hypothèse, mais elle existe.

Secundo, ce constat serait lié aux effets du Covid-19. C’est improbable que le virus en soit la cause d’autant plus que si on avait enregistré une croissance de la maladie, cela aurait entrainé une occupation importante des lits dédiés à la réanimation. Or, ces lits ne sont occupés aujourd’hui qu’à 5 ou 10% au maximum. Ce qui démontre que le Corona n’est pas très répandu en Tunisie, du moins quand il atteint les situations de complications létales ou mortelles, chose qui s’explique tant par l’anticipation dans la prise en charge du virus par les autorités sanitaires que par des prédispositions génétiques des Tunisiens, les effets climatiques, la couverture du vaccin BCG au niveau la population. Toutefois, ces faits restent à vérifier par les études épidémiologiques.

La troisième hypothèse à laquelle je crois le plus concerne la mortalité hors Covid. Les malades qui consultent en chirurgie, en cardiologie, en pneumologie n’ont plus accès au système de soins, les hôpitaux ayant arrêté les consultations externes. Ce système est aujourd’hui cadenassé, verrouillé. Il est pratiquement à l’arrêt. Il n’y a que les urgences qui fonctionnent et encore!  Les malades eux-mêmes ne veulent pas consulter par peur de se voir contaminés par le virus. Du coup, nous nous retrouvons avec un dispositif de soins qui fonctionne au ralenti, des malades qui sont paniqués et refusent d’y recourir, des médecins du privé qui ont diminué leurs activités et fermé leurs cabinets. Donc c’est très probable que la surmortalité provienne des cas de malades dépourvus du Covid.

Les raisons de la mortalité, selon vous, découleraient plus des malades réticents à s’adresser aux urgences malgré leur situation extrême ou à cause de la crainte du personnel soignant de prendre en charge des patients qui portent des signes du virus sans être forcément Corona positifs comme cela est arrivé dans plusieurs cas?

Les deux peurs se croisent ici, celle du malade et celle du corps médical et paramédical. Le patient a peur de consulter et quand il y va quand même il se trouve face aux réticences du personnel soignant qui est souvent peu et mal protégé et sous-outillé pour faire face à la pandémie. D’où la réticence dans certaines conditions des personnels hospitaliers pour entre en contact avec la maladie, d’autant plus que certains symptômes, comme ceux d’une bronchite chronique ou d’une grippe aigue – toux et fièvre – ressemblent beaucoup au Covid.

De toute façon, tout le système de santé est grippé actuellement : il ne fonctionne qu’à 20 à 25%, que ce soit à l’hôpital où toutes les énergies sont dirigées pour lutter contre le Covid +, ou en privé. Redémarrer ce système va demander beaucoup de temps et d’argent. Justement, je voudrais alerter les autorités pour qu’elles remettent la machine en marche pour que cette panique disparaisse. D’autant plus que nos chiffres concernant l’évolution du virus sont excellents, il faudrait donc redonner la possibilité aux malades d’être traités, examinés et opérés comme auparavant.

A Sfax, un jeune homme vient de perdre la vie pour cause d’un problème d’insuffisance rénale qui a connu une complication subite due à une négligence médicale dans l’hôpital où il s’est adressé. Ce drame ne confirme-t-il pas votre hypothèse?

-Un seul mot : je trouve cet incident scandaleux!

Un commentaire

  1. Liberte

    30/04/2020 à 09:35

    Cher collègue, ta observation est très intéressante concernant la mortalité due au coronavirus, la CNAv s’en fiche carrément et trouve que c’est une bien qu’il y a moins de vieux pour payer moins de retraités.

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