Nouvelle mission de vérification approfondie des autorisations d’exploitation d’hydrocarbures: La dernière sera-t-elle la bonne ? 

C’est dans un contexte national marqué par une crise sanitaire et économique inédite que les autorités ont décidé d’ouvrir le grand dossier des richesses nationales et des contrats d’exploitation des hydrocarbures en Tunisie. En effet, après avoir décidé une opération «mains propres» dans le corps de la douane qui a conduit à la mise à la retraite obligatoire de 21 cadres douaniers, le ministère d’Etat auprès du chef du gouvernement en charge de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption a décidé d’opérer ce qu’il appelle une mission de vérification approfondie, une sorte d’audit approfondi, des autorisations d’exploitation d’hydrocarbures. Une énième mission d’audit du secteur des hydrocarbures en Tunisie pourra-t-elle dire la vérité aux Tunisiens et déboulonner certains mythes ou sera-t-elle vouée à l’échec comme les précédentes ? 

Les services du ministre d’Etat auprès du chef du gouvernement en charge de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption ont annoncé qu’une mission d’audit approfondie a été autorisée en ce qui concerne les autorisations d’exploitation d’hydrocarbures.

La mission a été confiée à des organes de contrôle et d’inspection avec la participation de la société civile, représentée par un membre du Réseau tunisien pour la transparence dans l’énergie et les mines, pour mener à bien la mission. C’est en tout cas ce qui ressort du communiqué de ce département, conduit par Mohamed Abbou.

«Nous tenons nos engagements et nous œuvrons à obtenir la confiance des citoyens dans les institutions de l’Etat et la confiance de tous dans l’économie tunisienne et l’avenir du pays», conclut le ministère de Mohamed Abbou, sans donner plus de détails quant aux sociétés concernées par cet audit du secteur pétrolier et gazier en Tunisie, ni la période qu’il va couvrir. Va-t-on auditer tous les contrats conclus par l’Etat tunisien portant sur l’exploitation des hydrocarbures ou cette opération sera-t-elle limitée à la période post-révolution ?

Pour avoir plus de détails, nous avons contacté les services de la présidence du gouvernement, le département des services du ministre d’Etat auprès du chef du gouvernement en charge de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, et aussi le Courant démocratique, parti de Mohamed Abbou, mais toutes les portes étaient fermées, silence radio. Il semble que cette opération sera menée, en effet, dans le cadre du silence absolu et de la réserve sans aucun éclaircissement au profit de l’opinion publique. Mais dès son annonce, l’opération a eu l’effet escompté d’autant plus qu’elle intervient au milieu d’une tension politique et d’une effervescence sociale.

Une énième inspection

C’est dans ce sens que l’expert en énergie Imed Derouiche a mis en garde contre la politisation d’un tel dossier, celui des richesses nationales en Tunisie. L’ancien directeur général de Petrofac pense qu’il s’agit de la énième mission d’audit du secteur pétrolier et gazier en Tunisie et que les résultats ne seront pas garantis. Lui qui reconnaît que de soupçons de corruption pourraient exister dans ce secteur rappelle qu’une dizaine de missions d’inspection, d’audit ou de vérification avaient été opérées dans ce secteur depuis la révolution sans qu’elles ne portent leurs fruits. «Je crains que nous soyons face à une deuxième opération douane», a-t-il dit à notre journal, faisant allusion à la dernière décision de mise à la retraite obligatoire de 21 cadres douaniers. Il a à cet effet estimé que cette inspection vise à détourner «l’opinion publique d’un grand dossier, celui de l’accord d’Al-Kamour qui n’a pas été respecté par le gouvernement». Car, en effet, cette annonce intervient alors que le sit-in d’Al-Kamour dans le gouvernorat de Tataouine a été réorganisé, une route principale a été d’ailleurs fermée jeudi dernier par des protestataires. Ces derniers appellent à la mise en œuvre de tous les points de l’accord d’El Kamour, portant notamment sur le recrutement de 1.500 personnes dans les sociétés pétrolières, de 500 personnes dans la société de l’environnement et de jardinage à Tataouine et l’investissement de 80 millions de dinars pour le développement dans la région.

Le secteur énergétique et notamment celui des richesses nationales et de l’exploitation des hydrocarbures a toujours fait l’objet d’un débat politique en Tunisie. Certaines parties l’ont même exploité pour parvenir au pouvoir et gagner en popularité. En effet, depuis le déclenchement de la révolution tunisienne, ce dossier a été au centre des débats publics et constitue toujours l’une des raisons des mouvements sociaux. Rappelant notamment la campagne Winou El Pétrole lancée en 2015, les protestations dans le champ gazier de Petrofac à Kerkennah, l’affaire du champ El Menzel et ayant conduit à la suppression en 2018 du ministère de l’Energie. Tout cela pour dire qu’il s’agit d’un dossier polémique et qui ne fait pas l’unanimité en Tunisie, surtout si on sait que certains pensent toujours que la Tunisie «baigne dans le pétrole» à l’instar de ses voisins. Ce contexte a conduit les différents gouvernements depuis la révolution à mener des enquêtes et des missions d’inspection dans ce secteur, mais qui sont restées en majorité sans suite.

Publication des contrats pétroliers

Mais une chose est sûre, la production pétrolière en Tunisie a considérablement baissé depuis 2010. Publiée en 2018, une étude sur «Les dessous des contrats d’hydrocarbures» fait observer que la Tunisie a perdu environ 50% de ses capacités de production en pétrole, notamment en raison de la baisse notable des investissements dans cette activité.

En effet, les performances du secteur énergétique, et notamment le secteur pétrolier, ne sont pas satisfaisantes. Au début du mois, le ministère de l’Énergie, des Mines et de la Transition énergétique avait révélé que les dettes des entreprises pétrolières auprès de l’Etat tunisien s’élèvent à 67 millions de dollars. «Dans le cadre du suivi de l’engagement du secteur de l’exploration, de la recherche et de la production d’hydrocarbures à ses obligations, certaines sociétés qui ont obtenu des permis d’extraction n’ont pas payé leur dû à l’État, ce qui a entraîné l’imposition d’une amende compensatoire comme le stipule l’article 36 du code minier», peut-on lire dans le communiqué du ministère, un constat qui prouve que ces sociétés ne connaissent pas une période d’aisance financière et de stabilité économique.

Il faut rappeler dans ce contexte que le département de l’Energie avait lancé la publication des documents sur tous les accords pétroliers conclus en Tunisie. Ces accords, avait-il indiqué, sont au nombre de 82, dont 29 autorisations et 53 avantages d’exploitation régis par des conventions spécifiques et des annexes qui datent de 1960.

Plus récemment, le ministère de l’Energie, des Mines et de la Transition énergétique a annoncé le lancement d’un grand portail électronique de données ouvertes sur le secteur. Ce portail a pour objectif de consacrer le principe de la transparence, en mettant à disposition des citoyens et tous les intervenants toutes les données relatives aux richesses minières et énergétiques du pays ( lois, indicateurs…).

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