Mounir Baaziz, réalisateur et président de la mutuelle tunisienne des artistes, à La Presse : «Pas facile d’unir des gens connus pour leur ego»

Président de la Mutuelle tunisienne des artistes, réalisateur, mais aussi technicien qui a accompagné les plus grandes œuvres qui ont fait l’histoire du cinéma tunisien, Mounir Baaziz était présent lors de la discussion autour du projet du statut de l’artiste. Nous avons eu avec lui cet entretien.

Pendant plus d’une semaine, cette question du statut de l’artiste a fait débat. Que pensez-vous de cette démarche ?

La démarche est très importante, mais malheureusement, elle a trop traîné. Cela fait plusieurs années qu’on se bat pour donner un statut à l’artiste en Tunisie. Là où il y a du nouveau, c’est que la question de la carte professionnelle a soulevé de fortes polémiques.

Qu’est-ce qu’il y a derrière cette polémique autour de la carte professionnelle ?

Derrière cela il y a des intérêts particuliers de ceux qui considèrent que la carte professionnelle est un instrument de répression contre la créativité et la liberté d’expression, alors que cette carte est nécessaire pour définir le statut de l’artiste et surtout pour tous ceux qui ont choisi de vivre de leur métier artistique. Ce sont des gens qui n’ont pas d’autres revenus à part ce travail artistique. C’est ce qu’on appelle aussi le statut de l’intermittent du spectacle qui n’existe pas dans la loi tunisienne. De l’autre côté on garde les lois répressives parce que même si l’intermittent ne travaille pas tout le temps, il est obligé de payer la sécurité sociale. Or, la Cnss reste sourde au fait qu’il faut s’adapter à la réalité du secteur culturel. Ce qu’il y a donc à réformer, c’est le code du travail qui doit intégrer le travail intermittent.

Il y a ceux qui sont pour l’élimination de la carte professionnelle… Qu’en pensez-vous ?

C’est de l’hypocrisie que de dire qu’on n’a pas besoin de carte professionnelle. Les métiers artistiques peuvent être faits par n’importe qui, mais il y a un besoin de technicité et de diplômes qui doivent être prouvés. Pour les techniciens, cela veut dire qu’il ne faut plus travailler dans le noir, exiger son assurance et sa sécurité sociale et avoir un régime adapté au ministère des Finances pour les impôts.

Que pensez-vous de l’idée de créer une caisse pour les intermittents du spectacle ?

C’est un acte nécessaire à mon sens. La Mutuelle tunisienne des artistes est un pas qu’on a fait dans ce sens déjà. L’idéal, c’est de cotiser pour garantir la sécurité sociale pour les intermittents du spectacle surtout pendant les périodes creuses où ils ne travaillent pas. C’est l’esprit de notre mutuelle que nous avons créée depuis presque trois ans. L’idée est d’installer une solidarité à l’intérieur du secteur et on a commencé par la nécessité vitale d’une assurance complémentaire à la Cnss. Le problème, c’est qu’il y a des artistes qui ne se soignent plus parce qu’ils ont des pénalités de retard à la Cnss. Ce qui est un droit constitutionnel devient un bâton dans les roues.

Où en est la mutuelle aujourd’hui ?

La mutuelle est un mécanisme qui existe légalement et je trouve que c’est un moment historique que la création de cette mutuelle, puisqu’on a une structure adaptée à recevoir des subventions et des cotisations en attendant de réformer la Cnss pour les lois spécifiques au travail intermittent. On a intégré cette idée dans le statut de l’artiste et elle doit passer dans la foulée de ce marathon qu’on est en train d’effectuer depuis deux semaines.

Etes-vous optimiste pour l’avenir de ce projet ?

Oui, je suis profondément optimiste. Il faut convaincre les gens que c’est la dignité de l’artiste qui est en jeu. De plus cette fois il y a la bonne volonté de la ministre des Affaires culturelles qui tient à faire aboutir ce projet. Cela dit, il n’est pas facile d’unir des gens qui sont connus pour leur ego parfois démesuré. Déjà à l’intérieur des différents métiers, il y a des différends et des susceptibilités. Mais le fait d’avoir pu réunir à la Mutuelle les gens du théâtre, du cinéma, des arts plastiques et de la musique entre autres, c’est déjà une réussite.

Quel est votre regard sur le cinéma tunisien, ces cinq dernières années ?

Il y a un renouveau, mais il y a un état d’esprit et une magie du cinéma qui est en train de se perdre. Le côté économique qui constitue aujourd’hui une course y est pour quelque chose aussi. Le fait d’avoir multiplié les écoles privées du cinéma est pour moi un mauvais choix. Parce que la motivation des écoles privées n’est pas la même. Dans ces écoles, le côté «Gadget» camoufle le manque de créativité. Ce qui manque, c’est l’exigence artistique… Il vaut mieux à mon sens améliorer le secteur pour les débouchés des écoles en multipliant les salles de cinéma et en obligeant les télévisions à produire pendant toute l’année.

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